Le non-respect des règles comptables n’interdit pas le bénéfice du régime de faveur des plus-values à long terme

Clara DUBRULLE
Clara DUBRULLE

Source CE 9e et 10e ch., 23 déc. 2016, n° 375746, Sté CAP GEMINI 

 

Le litige qui oppose la société CAP GEMINI à l’administration fiscale concerne l’application du régime de faveur des plus-values à long terme à un titre de SCI non inscrit au bilan de la société cédante.

 

Plus précisément, la société CAP GEMINI a un inscrit à son bilan un titre de la SCI DE L’ETOILE pour une valeur de 100 F, titre qu’elle a revendu le jour même pour une valeur de 3 180 000 F.

 

La société CAP GEMINI a considéré que la plus value dégagée relevait du régime d’imposition à taux réduit applicable aux plus-values à long terme, ce qu’a remis en cause l’administration fiscale.

 

L’administration considérait quant à elle que ce régime était inapplicable au motif que seule l’inscription au bilan donne date certaine à l’entrée du titre dans l’actif de l’entreprise et que c’est dont à compter de cette date que doit être calculée la durée de détention.

 

Une question inédite était donc posée au Conseil d’Etat : le bénéfice du régime de faveur des plus-values à long terme est-il subordonné à l’inscription des titres cédés à l’actif du bilan de la société pendant une durée d’au moins 2 ans ?

 

La réponse du Conseil d’Etat, conforme aux conclusions du Rapporteur public, est négative.

 

I. LES PLUS-VALUES A COURT TERME ET LES PLUS-VALUES A LONG TERME

 

Les plus-values professionnelles sont divisées en deux catégories :

 

Les plus-values à court terme, imposées au taux de droit commun ;

 

Les plus-values à long terme, bénéficiant d’un régime particulier selon le régime d’imposition de la société (IR ou IS).

 

Les plus-values à long terme sont déterminées par opposition aux plus-values à court terme. En effet, l’article 39 duodecies 3 du CGI dispose « le régime des plus-values à long terme est applicable aux plus-values autres que celles définies au 2 ».

 

Pour comprendre la décision rendue par le Conseil d’Etat, il suffit de retenir que le 2 de l’article 39 duodecies du CGI prévoit que le régime des plus-values à court terme est applicable aux plus-values provenant de la cession d’éléments acquis ou créés depuis moins de 2 ans (c’est-à-dire d’éléments de l’actif immobilisé de l’entreprise).

 

A contrario, le régime des plus-values à long terme s’applique aux plus-values générées par la cession d’éléments acquis ou créés depuis plus de deux ans.

 

On soulignera que le CGI n’indique pas littéralement que l’élément cédé doit avoir fait l’objet d’une inscription comptable pendant deux ans pour que lui soit applicable régime des plus-values à long terme mais seulement qu’il doit être détenu depuis plus de 2 ans.

 

L’interprétation retenue par l’administration fiscale est donc contraire à la lettre du texte.

 

II. UNE SOLUTION DANS LA LIGNEE DE LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL D’ETAT

 

Le Rapporteur public prend soin dans ses conclusions de rappeler d’anciennes décisions du Conseil d’Etat ayant déjà jugé que la notion « d’élément de l’actif immobilisé » ne se limite pas aux seules immobilisations enregistrées comme telles dans la comptabilité de l’entreprise.

 

En effet, le Conseil d’Etat fait habituellement dépendre la qualification d’actif immobilisé de la nature du bien cédé, indépendamment de son inscription à l’actif du bilan de la société cessionnaire.

 

A titre d’exemple, le Conseil d’Etat a jugé qu’un fonds de commerce, bien que ne figurant pas au bilan de la société, doit être regardé comme un élément de l’actif immobilisé[1].

 

De même, le droit au bail commercial, tout comme la licence d’un débit de boissons, font aussi partie par nature des éléments de l’actif immobilisé, même s’ils ne sont pas inscrits au bilan de l’entreprise[2].

 

Ainsi, si l’inscription du bien à l’actif immobilisé de la société cédante est un indice important, cela ne constitue par un critère de qualification d’élément de l’actif immobilisé au sens de l’article 39 duodecies du CGI.

 

III. LA SOLUTION

 

Conformément à sa jurisprudence, le Conseil d’Etat juge que la Cour administrative d’appel de Versailles a dans son arrêt du 19 décembre 2013 commis une erreur de droit en faisant de l’inscription au bilan d’un actif cédé une condition impérative à l’application du régime de faveur des plus-values à long terme.

 

La Cour aurait du rechercher si la société était en mesure d’établir, par tous moyens, qu’elle détenait le titre de la SCI DE L’ETOILE depuis plus de deux ans.

 

Le Conseil d’Etat énonce :

 

« alors qu’il résulte des termes précités du 1 et du a du 2 de l’article 39 duodecies du code général des impôts que le bénéfice des règles particulières d’imposition qu’il prévoit est subordonné aux seules conditions que la cession porte sur un élément de l’actif immobilisé de l’entreprise, quand bien même il ne figurerait pas au bilan de l’entreprise, et que cet élément soit cédé après un délai de deux ans à compter de son acquisition ou de sa création par l’entreprise, la cour a commis une erreur de droit »

 

Attention, comme l’écrit le Rapporteur Public, avec cet arrêt le Conseil d’Etat ne consacre pas une nouvelle définition de l’actif immobilisé, mais refuse de tirer des conséquences fiscales défavorables au contribuable du défaut d’inscription d’un actif dans la rubrique comptable où il aurait dû figurer, dans une hypothèse où la loi fiscale ne subordonne pas le bénéfice du régime de faveur qu’elle prévoit à une telle inscription en comptabilité.

 

Le Conseil d’Etat censure le refus de principe opposé par l’administration fiscale puis la Cour administrative d’appel sur le seul motif du traitement comptable appliqué, l’appréciation des critères posés par l’article 39 duodecies du CGI ne pouvant se faire sur la seule base des écritures comptables.

 

On retiendra donc qu’un élément de l’actif immobilisé peut être déterminé à la lecture du bilan comptable mais également par sa nature, son utilisation ou son affectation à l’activité de l’entreprise. Par ailleurs, la date d’enregistrement comptable constitue un indice fort pour apprécier la durée de détention de l’élément cédé mais l’entreprise peut prouver le respect de cette condition de détention par tout autre moyen.

 

Finalement, on notera que le Conseil d’Etat ne prononce pas sur la nature du titre cédé. Ainsi, cette décision marque la fin de la discussion sur le traitement comptable appliqué au titre de la SCI DE L’ETOILE mais certainement pas la fin du litige concernant l’application du régime des plus-values à long terme…

 

IV. MAIS CE N’EST PAS LA FIN DU LITIGE ENTRE LA SOCIETE CAP GEMINI ET L’ADMINISTRATION FISCALE

 

En effet, la position de l’administration fiscale se justifiait par le fait que le titre de la SCI DE L’ETOILE ne peut être regardé comme affecté à l’exploitation de la société CAP GEMINI. De même, cet unique titre de la SCI ne peut constituer un actif nécessaire ou affecté à la réalisation de l’objet social de la société.

 

Ainsi, la nouvelle question qui se pose à la Cour administrative d’appel de renvoi est de déterminer si le titre de la SCI DE L’ETOILE constitue un titre immobilisé ou une valeur mobilière de placement.

 

Les titres immobilisés permettent l’application du régime des plus-values à long terme, ils se définissent comme les titres que l’entreprise a l’intention de conserver durablement. Ils représentent un placement à long terme.

 

Par opposition, les cessions de valeurs mobilières de placement sont imposables comme des produits d’exploitation. Elles sont acquises par l’entreprise en vue de réaliser un bénéfice à brève échéance.

 

Faute d’avoir inscrit le titre de la SCI DE L’ETOILE à son bilan, la société CAP GEMINI devra démontrer par tout autre moyen qu’elle a détenu ce titre pendant plus de deux ans et qu’il constitue donc un titre de placement immobilisé.

 

Clara DUBRULLE

Vivaldi-Avocats



[1] CE 10 juin 1970, n° 75161

[2] CE 17 octobre 1990, n° 56991

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