Le commandement de payer doit toujours être délivré de bonne foi, quand bien même le preneur bénéficierait-il d’une procédure collective

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : 3ème civ, 14 septembre 2017, 16-18.840, Inédit

 

Afin de faciliter la résiliation du bail et l’expulsion d’un preneur indélicat, les baux commerciaux contiennent généralement une clause dite résolutoire, permettant au bailleur de faire constater, sur ordonnance du juge des référés, la résiliation du bail au titre d’un manquement qui se poursuit plus d’un mois à compter de la délivrance d’un commandement[1]. A défaut d’une telle stipulation, le bailleur serait contraint de s’en remettre à l’appréciation souveraine juges du fond, pour obtenir le prononcer de la résiliation, dans le cadre d’une procédure beaucoup plus longue.

 

L’automaticité de la sanction peut toutefois s’avérer très relative, puisque le juge, privé de son pouvoir d’appréciation sur le contenu du manquement, pourra analyser le comportement du bailleur si le preneur lui en fait la demande. En effet, en application de feu l’article 1134, alinéa 3, devenu 1104) du code civil, les « conventions doivent être exécutées de bonne foi ». Aussi est-il de jurisprudence constante que le bailleur est tenu d’invoquer la clause résolutoire de bonne foi de sorte qu’il ne saurait :

 

Solliciter l’exécution de travaux conséquents dans le mois lorsque le délai est manifestement impossible à respecter[2] ou encore que l’état de l’immeuble est imputable à sa propre carence[3] ;

 

Enjoindre au preneur de respecter des horaires d’ouvertures lorsqu’une tolérance existait pour les autres cellules et que le bailleur envisageait la démolition de la galerie marchande, la laissant à l’état d’abandon[4] ;

 

Enjoindre au preneur de respecter la destination contractuelle de garage mécanique, alors que l’activité nouvelle de contrôle technique résultait de la cession de fonds précédemment acceptée par le bailleur[5] ;

 

Solliciter dans le mois le paiement de charges non régularisées depuis de très nombreuses années[6].

 

Il appartient au preneur de prouver que le bailleur a agi avec une intention malicieuse, et au tribunal de se prononcer sur l’usage déloyal, par le bailleur, de sa prérogative contractuelle. A défaut, sa décision encours la censure.

 

En l’espèce, un bailleur avait délivré tant au preneur qu’aux organes de la procédure collective, commandement de payer les loyers postérieurs au jugement d’ouverture du redressement judiciaire du preneur.

 

Les causes du commandement demeurant en souffrance dans le mois de la délivrance de l’acte, le bailleur saisissait le juge commissaire par requête à l’issu du délai « de grâce » de trois mois de l’article L622-14 du Code de commerce, applicable au redressement au visa de l’article L631-14.

 

La défense du preneur et de sa procédure collective semblait s’orienter vers la mauvaise foi du bailleur, qui aurait :

 

Fait commandement de payer un loyer trimestriel, alors qu’un accord tacite portant sur un règlement mensuel du loyer existait entre les parties ;

 

Attendu l’expiration du délai d’un mois pour remettre le chèque du preneur à l’encaissement[7] ;

 

Le Juge commissaire rejette la demande du bailleur, contrairement à la Cour d’appel de CHAMBERY qui considère qu’il n’y a pas à tenir compte de la bonne ou mauvaise foi du bailleur dans le cadre de la délivrance du commandement post procédure collective, « les dispositions de l’article L622-14 du Code de commerce instaurant un mécanisme particulier destiné à protéger les intérêts du bailleur lorsque le preneur fait l’objet d’une procédure collective (…) ».

 

L’arrêt est cassé par la Cour de cassation, qui rappelle au juge du fond que la clause résolutoire doit toujours être mise en œuvre de bonne foi, même en procédure collective, de sorte qu’il appartiendra à la Cour d’appel Lyon, statuant en Cour de renvoi, d’apprécier si le bailleur a délivré, ou non, son commandement de mauvaise foi.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats


[1] Article L145-41 du Code de commerce

[2] 3ème civ, 27 octobre 2010, n° 09-69.820

[3] Civ. 3e, 27 mai 1987, Bull. civ. III, n° 108

[4] Civ. 3e, 5 nov. 2015, n° 14-11.024 ; 3ème civ, 13 mai 1997, n° 95-17.172

[5] Aix-en-Provence, 24 mars 2015, n° 13/16216, Dalloz jurisprudence

[6] 3ème civ, 5 novembre 2015, 14-11.024, Inédit

[7] Sur le règlement des causes d’un commandement par chèque, cf notre article « Règlement des causes du commandement de payer par chèque : attention à la résiliation ! »

 

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