SOURCE : 2ème civ, 27 septembre 2018, n° 17-22.013 F-P+B+I
Une personne, deux patrimoines : telle est l’équation magique de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Un patrimoine affecté comprenant a minima les biens nécessaires à l’activité professionnelle et répondant exclusivement du passif professionnel, coexiste avec un patrimoine non affecté comprenant les autres biens qui, lui, est le gage exclusif des créanciers « privés ».?
Quid si cet entrepreneur d’un nouveau temps juridique est en difficulté ? la logique de la pluralité de patrimoines impose de raisonner patrimoine par patrimoine et de rechercher quelle est la nature du passif : s’agit-il de dettes nées à l’occasion de l’activité professionnelle ? Le débiteur pourra en théorie se tourner vers les procédures collectives du code de commerce qui n’auront d’effet que sur le patrimoine affecté ; s’agit-il de dettes privées ? Il faudra alors regarder du côté des procédures de traitement du surendettement qu’organise le code de la consommation (v. par exemple notre étude « la procédure collective de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée », Defrénois 2011, article 39191 ; adde P -M Le Corre, L’heure de vérité de l’EIRL : passage sous la toise du droit des entreprises en difficulté : D. 2011, p. 90 ; C. Saint-Alary-Houin : EIRL et procédures collectives : Dr. et patrimoine avr. 2011, p. 63 ; V. Legrand, JCL not. Form. Fasc 250 : EIRL en difficulté, n° 4).?
C’est cette solution que consacre sans surprise la Cour de cassation dans un arrêt du 27 septembre 2018 (n°17-22013) estampillé P+B+I.
En l’espèce, Mme X, qui vit dans le sud, crée une EIRL X blue vacances et loue deux mobiles homes ; elle saisit la commission de surendettement des particuliers qui déclare sa demande recevable. Le Crédit municipal de TOULON forme un recours et le tribunal d’instance de DRAGUIGNAN « déclare Madame X irrecevable à la procédure de surendettement des particuliers », pour deux raisons : D’une part, Madame X exerce son activité professionnelle sous le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, ce qui la rend éligible aux procédures collectives ; d’autre part, elle serait de mauvaise foi car elle déclare être propriétaire de deux mobile homes d’une valeur de 22.600 euros et 23.600 euros mais Mme Y…, non comparante, ne fournit aucune explication sur ces éléments et a ainsi sciemment caché la réalité de sa situation patrimoniale et financière.?
Le jugement sera cassé sur ces deux points : au visa des articles L. 526-6 du code de commerce et L. 333-7 du code de la consommation, devenu l’article L. 711-7, il sera d’abord rappelé que selon le premier de ces textes, « tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale ; qu’il résulte du second, que les dispositions régissant le traitement des situations de surendettement sont applicables au débiteur qui a procédé à une déclaration de constitution de patrimoine affecté conformément à l’article L. 526-7 du code de commerce ; que ces dispositions s’appliquent à raison d’une situation de surendettement résultant uniquement de dettes non professionnelles ; qu’en ce cas, celles de ces dispositions qui intéressent les biens, droits et obligations du débiteur doivent être comprises, sauf dispositions contraires, comme visant les seuls éléments du patrimoine non affecté ; que celles qui intéressent les droits et obligations des créanciers du débiteur s’appliquent dans les limites du seul patrimoine non affecté » ; la Cour de cassation en déduit que « la seule circonstance que le patrimoine affecté de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée relève de la procédure instituée par les titres II à IV du livre VI du code de commerce relative au traitement des difficultés des entreprises n’était pas de nature à exclure le patrimoine non affecté du débiteur de la procédure de traitement des situations de surendettement ».?
Il sera ensuite jugé au visa des articles L. 330-1 et L. 333-7 du code de la consommation, devenus les articles L. 711-1 et L. 711-7, que « pour déclarer irrecevable la demande de traitement de la situation de surendettement de Mme X… en raison de son absence de bonne foi, le jugement retient d’une part, qu’est versé aux débats un document intitulé « modèle de déclaration d’affectation par un entrepreneur à responsabilité limitée » aux termes duquel Mme X… indique être propriétaire de deux mobiles homes ayant vocation à être loués dans le cadre de l’EIRL X… blue vacances et d’autre part, qu’elle a sciemment caché la réalité de sa situation patrimoniale et financière en ne déclarant pas en être propriétaire ; en statuant ainsi sans rechercher si les mobiles homes n’étaient pas affectés au patrimoine professionnel de Mme X…, le juge du tribunal d’instance a privé sa décision de base légale ».?
L’arrêt mérite pleine approbation (v. nos obs. in Rép. Defrénois 2019, n°5). L’article L711-7 du code de la consommation prévoit que « les dispositions (relatives au traitement des situations de surendettement) sont applicables au débiteur qui a procédé à une déclaration de constitution de patrimoine affecté conformément à l’article L. 526-7 du code de commerce, sous les réserves énoncées par le présent article ». Le texte ajoute que : « elles s’appliquent à raison d’une situation de surendettement résultant uniquement de dettes non professionnelles. En ce cas, celles de ces dispositions qui intéressent les biens, droits et obligations du débiteur doivent être comprises, sauf dispositions contraires, comme visant les seuls éléments du patrimoine non affecté. Celles qui intéressent les droits et obligations des créanciers du débiteur s’appliquent dans les limites du seul patrimoine non affecté ».?
Le texte ne fait ainsi que consacrer la logique de l’affectation et de la compartimentation : il faut raisonner patrimoine par patrimoine ; si le passif est professionnel, seules seront applicables les dispositions du livre VI du code de commerce, lesquelles ne produiront effet que sur le patrimoine affecté ; si en revanche le passif est privé et résulte « uniquement de dettes non professionnelles », le débiteur sera éligible aux procédures du code de la consommation et pourra ainsi déposer un dossier de surendettement. Le juge du tribunal d’instance ne pouvait donc pas se contenter d’affirmer que la débitrice, en tant qu’EIRL, « était éligible aux procédures collectives » (du code de commerce) ; elle l’était aussi aux procédures du code de la consommation, mais seulement au titre de ses dettes extra-professionnelles. C’est toute la différence entre un EI et un EIRL : seul le premier reste soumis à la logique de l’unité du patrimoine ; en cas de difficulté, quelle qu’en soit la nature, il est nécessairement soumis aux procédures prévues pour les entreprises en difficulté.?
Quant à la bonne foi du débiteur, il faut encore tirer les conséquences de la dualité qui caractérise l’EIRL : le débiteur qui dépose un dossier de surendettement, doit en principe « déclarer les éléments actifs et passifs de son patrimoine », mais l’EIRL, comme le souligne l’article L 711-7 doit se borner à déclarer « les seuls éléments du patrimoine non affecté » : eux seuls sont concernés par la procédure de surendettement. La débitrice n’avait donc à déclarer les mobiles homes qu’elle louait dans le cadre de l’EIRL que si elle les avait affectés. D’où la critique faite au juge du tribunal d’instance : il lui appartenait de rechercher si les mobiles homes avaient ou non été affectés. Apparemment tel était le cas ici (puisque dans le modèle de déclaration d’affectation, sont visés les deux mobiles homes). On peut d’ailleurs se demander à cet égard si la débitrice avait le choix ; ne s’agit-il pas de biens qui s’agissant d’une activité de location, sont nécessaires, auquel cas ils doivent nécessairement être affectés en application de l’article L 526-6, sachant qu’à défaut, l’EIRL perd en principe le bénéfice de la compartimentation ?