Un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris permet de fournir un cas d’illustration rare pour lequel la nullité d’une assemblée peut être retenue : l’annulation d’une assemblée s’étant tenue en dépit d’une décision d’ajournement.
Cour d’appel de Paris, 12 septembre 2024, 22/02179
I – Faits et procédure
Dans une SARL détenue à 95 % par l’associé majoritaire et à 5 % par son gérant associé, un litige est apparu à l’occasion de la convocation, de l’ajournement et du maintien de la tenue d’une assemblée générale.
A l’origine, l’associé majoritaire demande au gérant de convoquer une assemblée générale ayant pour objectif l’étude de la situation actuelle de la société et son administration, convocation qui sera envoyée le 16 mars 2021 pour une assemblée prévue au 31 mars 2021.
Par lettre recommandée en date du 29 mars 2021, l’associé gérant ajourne l’assemblée générale en raison de la crise sanitaire du covid.
L’associé majoritaire maintient l’assemblée fixée au 31 mars, en l’absence donc du gérant, et prend une série de décision en sa qualité d’associé majoritaire, notamment sa nomination aux fonctions de gérant unique de la SARL corrélativement à la révocation de l’associé minoritaire des mêmes fonctions.
Postérieurement à cette assemblée, par la voie de leurs conseils respectifs, le minoritaire conteste la régularité de l’assemblée tandis que le majoritaire argue d’un ajournement injustifié, mais également du fait que le courrier l’informant de l’ajournement aurait été distribué le lendemain de la tenue de l’assemblée et qu’en raison de sa qualité d’associé majoritaire elle était en droit de prendre les décisions prises durant l’assemblée précitée.
Le minoritaire, autorisé à assigner à bref délai, saisit le tribunal de commerce de Paris afin d’annuler l’assemblée générale et les décisions qui en découlaient, ce que le tribunal n’accorde pas. Le minoritaire fait appel.
La Cour d’appel infirme le jugement de première instance et annule l’assemblée générale de la SARL, l’assemblée générale aurait dû être présidée par le gérant de la SARL puisque ce dernier était également l’un des associés.
II – L’ajournement comme fondement de l’annulation de l’assemblée
Tout d’abord, la Cour d’appel de Paris rappelle que l’ajournement d’une assemblée consiste à reporter celle-ci à une date ultérieure, et nécessite que les formalités et délais de convocation soient renouvelés. L’ajournement doit être portée à la connaissance des associés selon les mêmes formalités que celles de la convocation et ne peut être réalisée que par ceux ayant pris l’initiative de la convoquer, soit le gérant associé.
Le majoritaire, peu importe son importance dans le capital social, ne saurait ignorer une décision d’ajournement sans encourir la nullité, à la seule exception que l’assemblée maintenue rassemblerait tous les associés, ou leurs représentants.
Enfin, aucun délai, sous réserve qu’elle intervienne entre la convocation et la date initialement prévue pour la tenue de l’assemblée, ni motif n’est imposé pour que l’ajournement d’une assemblée produise ses effets.
III – Pour aller plus loin
Dans l’arrêt à l’étude, la Cour d’appel prend la peine de mettre en lumière la violation d’un article des statuts de la SARL, article reprenant les dispositions de l’article R. 223-23 du Code de commerce, relatif à la présidence de l’assemblée. Lorsque le gérant de la SARL est également associé, l’assemblée doit être présidée par ce dernier.
Il semble dès lors légitime de s’interroger sur la véritable raison ayant conduit la Cour d’appel de Paris à annuler l’assemblée et les décisions qui en découlent en raison.
Est-ce en raison de la validité formelle de l’ajournement ? Est-ce en raison de l’irrespect des règles de l’article R. 223-23 du Code de commerce ? Ou est-ce parce que les règles de l’article précité ont été reprises dans les statuts, ce dernier ayant donc été violé ?
Un arrêt récent de la Cour d’appel de Bordeaux[1] a annulé l’assemblée générale d’une SAS qui avait été tenue malgré l’ajournement décidé par une ordonnance du juge des référés. On comprend ici que l’annulation trouve directement son fondement dans la violation d’une décision du juge, l’ajournement judiciaire.
On sait que selon le second alinéa de l’article L235-1 du Code de commerce : “l’annulation des actes ou délibération d’une assemblée générale ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent livre”. De plus, au cas particulier des SARL, l’article L.223-37 du même code impose que la convocation émane du gérant et permet l’annulation de toute assemblée irrégulièrement convoquée.
Au cas d’espèce, on pourrait raisonner de la manière suivante : le gérant, qui a valablement convoqué une première fois l’assemblée, en ajournant valablement celle-ci (il est d’ailleurs le seul à pouvoir le faire comme le rappel la cour d’appel), a annulé cette première convocation, puisque la date de tenue de l’assemblé n’est plus la bonne. L’assemblée maintenue s’est donc tenue sur les bases d’une convocation devenue caduque. L’assemblée maintenue mais irrégulièrement convoquée tomberait donc sous le coup de l’annulation prévue par l’article L.223-37 du Code de commerce.
[1] CA Bordeaux 10-1-2023 no 22/01177