SOURCE : CE, 23 juillet 2014, Société d’éditions et de protection route, n° 354365, A.
En l’espèce, la société d’éditions et de protection route (SEPR) avait été condamnée par les juridictions judiciaires au versement de sommes s’élevant à un total de 920 606 euros au profit de certains de ses salariés à la suite de l’annulation de plusieurs procédures de licenciement.
Considérant que les condamnations prononcées à son encontre trouvaient leur origine dans le manque de clarté de l’article L. 321-1-3 du code du travail alors en vigueur, la société requérante avait demandé la condamnation de l’Etat, d’une part, sur le fondement de sa responsabilité sans faute du fait des lois et, d’autre part, sur le fondement de la méconnaissance par la France de ses engagements internationaux.
Les deux cas de responsabilité du fait de lois étaient ainsi invoqués par la requérante, tous deux rejetés tant en première instance qu’en appel.
Le premier cas de responsabilité, fondé sur la rupture d’égalité devant les charges publiques et donc sur la responsabilité sans faute, permet d’engager la responsabilité de l’État du fait de l’adoption d’une loi dès lors qu’est constaté un préjudice anormal et spécial directement causé par cette loi, même « légale », laquelle ne doit pas avoir exclu, au demeurant, tout principe d’indemnisation (CE, 14 janvier 1938, Société anonyme des produits laitiers « La Fleurette », req. n° 51704).
Aussi, seules des situations exceptionnelles peuvent donner lieu à indemnisation. A noter que pour ce cas de responsabilité, ne sont discutées ni la constitutionnalité, ni la conventionnalité de la loi.
Le second cas de responsabilité, fondé sur la contrariété d’une loi à un engagement international, et donc sur le terrain de la responsabilité pour faute, permet d’engager la responsabilité de l’État, sans que l’existence d’un préjudice anormal et spécial n’ait à être établie (Conseil d’État, Assemblée, 8 février 2007, Gardedieu, req. n°279522).
Dans la présente affaire, la Haute Assemblée a validé la position adoptée par les juges du fond, considérant que :
– d’une part, la responsabilité de l’Etat du fait des lois n’était pas susceptible d’être engagée sur le fondement de l’égalité devant les charges publiques, dans la mesure où les dispositions de l’article L. 321-1-3 du code du travail, issues de l’article 26 de la loi du 29 juillet 1992, s’appliquaient à l’ensemble des employeurs envisageant, dans le cadre d’une restructuration, le licenciement de plus de dix salariés à la suite de leur refus d’une modification substantielle de leur contrat de travail.
Dans ces conditions, la requérante n’était pas fondée à se prévaloir d’un préjudice spécial.
– d’autre part, la responsabilité de l’Etat du fait des lois n’était pas susceptible d’être engagée sur le fondement de la contrariété d’une loi à des engagements internationaux au nombre desquels figure le respect des principes de sécurité juridique et de confiance légitime invoqués par la requérante.
En effet, le Conseil d’Etat avait estimé que la requérante critiquait non pas la loi elle-même mais en réalité la portée qui lui avait été ultérieurement conférée par la jurisprudence, celle-ci ayant fait valoir qu’elle n’avait pas été en mesure d’anticiper l’interprétation des dispositions litigieuses par la Cour de Cassation.
A l’évidence, un tel raisonnement aurait été également adopté s’agissant du premier fondement de responsabilité, en présence d’un préjudice anormal et spécial.
Aussi, le Conseil d’Etat refuse clairement d’engager la responsabilité de l’Etat du fait des lois en raison de l’interprétation qui en serait donnée par le juge national, alors même qu’un telle interprétation générerait un préjudice anormal et spécial, ou s’inscrirait en violation d’un engagement international.
Stéphanie TRAN
Vivaldi-Avocats