La responsabilité d’une société mère vis-à-vis des filiales de son groupe

Laurent Turon
Laurent Turon

 

            I – Définir un groupe de sociétés : une tâche pas toujours évidente

 

Selon l’INSEE, le groupe de sociétés est une entité économique formée par un ensemble de sociétés qui sont soit des sociétés contrôlées par une même société, soit cette société contrôlante. La définition statistique française retient ainsi comme critère de contrôle pour définir les contours des groupes, la majorité absolue des droits de vote qui donne le pouvoir de nommer grâce à cette majorité des dirigeants.

 

On définit :

 

– le contour restreint ou « noyau dur » du groupe comme l’ensemble des sociétés détenues directement ou indirectement à plus de 50 % par une société mère, tête de groupe. Dans cette hypothèse, la société mère ne doit pas être détenue majoritairement ni directement, ni indirectement par aucune autre société ;

 

– le contour élargi d’un groupe comme l’ensemble des sociétés dont le groupe détient les participations quel que soit le taux de détention. De ce fait, le contour élargi des différents groupes ne forme pas une partition, et une société peut appartenir au contour élargi de plusieurs groupes.

 

La définition statistique est en elle-même révélatrice de l’hétérogénéité des critères entrant dans la définition du groupe qui ne sert in fine qu’à une seule fin : statistique, puisqu’il faut bien reconnaître que le groupe ne sera pas défini de la même manière suivant la matière abordée.

 

Ainsi :

 

Pour les relations collectives au sein d’un groupe

 

L’article L 2331-1 du Code du Travail définit le groupe pour l’institution d’un comité de groupe comme la formation par une entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle[1].

 

Et sans cette matière, le contrôle va au-delà des critères posés par le Code de Commerce, puisqu’est considérée comme « entreprise dominante », celle qui exerce « une influence dominante » sur une autre entreprise dont elle détient au moins 10 % du capital, lorsque la permanence et l’importance des relations de ces entreprises établissent l’appartenance de l’une et de l’autre à un même ensemble économique. Bien entendu… l’appréciation des éléments de preuve permettant de conclure à l’existence d’une influence dominante relève du pouvoir souverain des Juges du fond[2].

 

A RETENIR :

En droit social, le groupe est formé d’une entreprise dominante, des entreprises qu’elle contrôle et d’autres entreprises sur lesquelles elle exerce une influence dominante. 

 

Groupe de société et droit fiscal

 

L’impérieuse nécessité d’assurer la neutralité de la fiscalité à l’égard des structures économiques et de renforcer la compétitivité des entreprises, ont conduit le législateur à créer un régime fiscal des groupes de sociétés codifié aux articles 223 A à 223 U du CGI.

 

Ce régime de groupes de sociétés permet à une société de se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû à l’ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l’exercice, directement ou indirectement, par l’intermédiaire de sociétés du groupe. Il s’agit alors d’un groupe dit « vertical ». Mais ce régime permet aussi à une société de se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû sur l’ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et ses sociétés sœurs dont le capital est détenu à 95 % au moins directement ou indirectement par une même mère désignée « entité mère non résidente », et établie dans un Etat membre de l’Union Européenne ou dans un autre Etat, partie à l’accord sur l’espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d’assistance en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale. Il s’agit alors d’un groupe dit « horizontal ».

 

A RETENIR :

 

En droit fiscal, le groupe peut être vertical, et constitué par un râteau et/ou une cascade de sociétés contrôlées à 95 % par la société mère, ou horizontal, lorsqu’une société mère dite « désignée » détient 95 % au moins du capital d’un ensemble de sociétés sœurs.

 

En droit pénal

 

Le Code Pénal ne définissait pas le groupe de sociétés ce qui a contraint la Chambre Criminelle, pour les besoins de sa juridiction à élaborer sa propre définition :

 

« Le groupe de sociétés à objets commercial et financier, est formé par une société dominante et par des sociétés qui dépendent étroitement d’elle, dans un intérêt commun, peu importe la forme juridique extérieure, de la société dominante »[3].

 

Cette définition assez empirique du groupe se construit à mesure des décisions rendues. Ainsi, par exemple, pour caractériser l’intérêt d’un groupe, on se réfèrera à l’arrêt Rozemblum de 1985[4], dans une affaire où le dirigeant était actionnaire de plusieurs sociétés très disparates. Alors que l’une de ces sociétés était en difficulté, celui-ci a utilisé une autre en meilleure forme financière dont l’activité était totalement différente, pour venir en aide à la première.

 

La Cour de Cassation relève l’abus de bien social, mais profite de sa décision pour expliquer dans quelles circonstances l’aide intragroupe accordée peut ne pas être abusive, et ainsi définir la notion d’intérêt commun :

 

« Le concours financier apporté par les dirigeants de fait ou de droit d’une société à une autre entreprise d’un même groupe dans lequel ils sont intéressés directement ou indirectement, doit être dicté par un intérêt économique, social ou financier commun apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble de ce groupe, et ne doit être ni démuni de contrepartie ou rompre l’équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées, ni excéder les possibilités financières de celles qui en supportent la charge. »     

 

A RETENIR :

 

Le droit prétorien pénal définit un groupe par référence à une entité dominante (personne physique ou morale) qui lui permet d’exercer un lien de dépendance étroit en vue de la poursuite d’un intérêt commun.

 

En droit commercial

 

Le Code de Commerce, par ses articles L 233-1 à L 233-40 consacre un chapitre 3 aux filiales et participations qui donne une approche du groupe de sociétés avec en fil conducteur, la domination d’une société mère sur ses filiales qu’elle contrôle parce qu’elle dispose de la majorité du capital social au sens de l’article L 233-3 du Code de Commerce ou qu’elle bénéficie de la majorité des droits de vote au sens de l’article 233-10 du même Code.

 

A RETENIR :

 

Le Code de Commerce ne donne pas de définition de groupe, lequel s’induit par la recherche d’une entité juridique qui se présente comme actionnaire majoritaire en termes de capital social, ou en termes de droit de vote d’un ensemble constitué d’une ou plusieurs filiales.

 

On pourrait multiplier les définitions à l’infini, notamment dans le cas d’une approche environnementale de la problématique ou, toujours en droit social mais cette fois sous l’angle de l’hygiène et la sécurité, etc. mais on parviendrait toujours à la même conviction : la référence à un groupe, et corrélativement à la société mère qui le contrôle, reste une opération complexe qui doit être abordée de manière pragmatique, en fonction de la matière traitée.

 

Cet usage souvent désordonné de la référence à un groupe conduit forcément à une approche elle-même disparate des obligations des sociétés mères par le droit prétorien (II), la législation française (III) à l’origine de difficultés et surtout d’incertitudes sur les obligations d’une mère à l’égard des sociétés qu’elle contrôle (au sens de quel droit ?) (IV).

 

            II – Les obligations de la société mère examinées par le droit prétorien

 

Si la responsabilité de la société mère en reconnaissance de la notion de groupe avait été appréciée avec un certain laxisme, force est aujourd’hui de constater, à la lecture des décisions récemment rendues par la Cour de Cassation, que la société mère est en quelque sorte une société comme une autre, ce qu’exprime clairement une décision de la Cour d’Appel de PARIS, qui résume assez bien nous semble-t-il, l’esprit de nos Magistrats :

 

« Le regroupement capitalistique ne saurait à lui seul anéantir l’autonomie des personnes morales et établir entre ces différentes sociétés, une solidarité. »[5]

 

Ainsi, par exemple, pour qu’une mère engage sa responsabilité à côté de la fille, la Cour de Cassation exige-t-elle dans son arrêt Markinter[6] plus qu’un contrôle, la preuve d’une apparence susceptible d’égarer un créancier de bonne foi « propre à lui permettre de croire légitimement que cette société était aussi son cocontractant ».

 

Même la Chambre Sociale de la Cour de Cassation, qui a parfois tendance à diverger dans son analyse avec les 5 autres Chambres, est revenu à une analyse très restrictive de la responsabilité de la mère, notamment par son arrêt Molex[7], en jugeant qu’une société « faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur à l’égard d’une personne employée par une autre hors l’existence d’un lien de subordination que s’il existe entre elles au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêt, d’activité et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière. »

 

En définitive, c’est dans le domaine du droit de la concurrence que la responsabilité de la société mère est le plus exposée. En effet, selon la CJUE, une filiale contrôlée à 100 % est présumée constituée avec sa mère une même entreprise[8]. Et sur ce point, la Chambre Commerciale lui a récemment emboité le pas avec son arrêt du 18 octobre 2017[9], en jugeant que :

 

« Dans le cas où une société mère détient la totalité ou quasi-totalité du capital de sa filiale, ayant enfreint les règles de concurrence, la présomption référable selon laquelle la société mère exerce effectivement une influence déterminante sur sa filiale, peut être renversée par la preuve contraire rapportée par la société mère, prenant en considération l’ensemble des éléments pertinents relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui les unissent, établissant que sa filiale se comporte de manière autonome sur le marché, et ne constitue donc pas avec elle, une unité économique. »

 

Ainsi, en Droit de la Concurrence, la domination capitalistique conduit à une présomption simple d’exercice d’une immixtion (ou d’influence déterminante de la mère dans la fille), avec la possibilité d’en apporter la preuve contraire, par la démonstration de l’autonomie de la filiale par rapport à la mère.

 

Mais la preuve contraire reste difficile à apporter. A été ainsi jugée inefficace, la démonstration selon laquelle la mère n’est qu’une holding non opérationnelle dont le rôle est simplement de coordonner la direction financière et les investissements. Il en est de même pour la démonstration de la non-immixtion de la société holding dans les activités de sa filiale, de l’éloignement géographique de la société mère et de sa fille, de la présence d’une direction locale au sein de la filiale qui dispose de ses propres moyens et qui définit sa stratégie de façon autonome, et notamment d’un service juridique (que ne dispose pas la holding).

 

On cherche encore l’argument qui serait de nature à démontrer la pertinence de l’autonomie de la fille par rapport à la mère.

 

Sur ce point, force est de constater l’influence déterminante de la CJUE dans la position de la Chambre Commerciale.

 

Pour autant, et mis à part le droit de la concurrence, l’analyse restrictive de la responsabilité de la mère par rapport à la fille est en décalage avec les évolutions législatives récentes, qui place la société mère en pivot central du respect de nouvelles obligations à l’intérieur du groupe.

 

            III – Une évolution législative qui place la société mère en gardien du respect de nouvelles obligations légales

 

                        III – 1.

 

Une première approche de la responsabilité de la société mère vis-à-vis des sociétés qu’elle contrôle a été insérée dans le dispositif dit Grenelle 2 sur l’environnement[10], qui permet à la société mère de prendre volontairement en charge la dette de dépollution de sa filiale et dans certaines hypothèses, être obligée à l’égard de la filiale sans capacité financière, de réparer le dommage environnemental qu’elle a causé.

 

S’agissant de la responsabilité à proprement parler, le texte ajoute un article L 512-17 au Code de l’Environnement qui dispose que :

 

« Lorsque l’exploitant est une société filial au sens de l’article L 233-1 du Code de Commerce, et qu’une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à son encontre, le liquidateur, le Ministère Public ou le représentant de l’Etat dans le département, peut saisir le Tribunal ayant ouvert ou prononcé la liquidation judiciaire pour faire établir l’existence d’une faute caractérisée commise par la société mère qui a contribué à une insuffisance d’actif de la filiale et pour lui demander lorsque telle faute est établie, de mettre à la charge de la société mère, tout ou partie du financement des mesures de remise en état ou des sites en fin d’activité. »

 

Mais le pont juridique entre la mère et la fille reste difficile à établir, puisqu’il appartient au demandeur de démontrer l’existence d’une faute caractérisée en lien direct avec l’insuffisance d’actif de la filiale. Sur ce point, la confrontation entre le droit nouveau et la doctrine prétorienne, laisse songeur sur la capacité du demandeur à étendre la responsabilité de la mère vis-à-vis de la fille, notamment en ce qui concerne la démonstration d’une faute caractérisée commise par la société mère. Ainsi, par exemple, dans l’affaire Metaleurop[11], la Cour de Cassation censure telle la Cour d’Appel de DOUAI pour avoir qualifié de relation financière anormale constitutive d’une confusion de patrimoine de la société mère avec celui de sa filiale, les éléments suivants :

 

« La gestion de la couverture du risque de change par le trésorier par la mère ayant entraîné un manque à gagner important (…), l’organisation au sein du groupe de lignes de produits (insuffisamment traduites) par un ajustement de conventions de refacturation de services inter-sociétés (…), une autonomie décisionnelle (…) particulièrement réduite du fait de la direction de la production de plomb sur le site de la SAS par un salarié d’une autre société du groupe en charge de la direction de la ligne plomb dans l’intérêt de l’ensemble des sociétés du groupe (en l’absence d’accord sur) les modalités de mise à disposition de ses salariés (…), la poursuite d’avances très importantes alors que la situation financière de la fille continuait à se dégrader (…). »

 

On peut dès lors raisonnablement admettre que la jurisprudence ne s’est pas emparée de ce nouvel outil législatif pour amender sa jurisprudence.

 

La vraie césure est intervenue en 2016 et 2017 par la création d’un magistère dans le domaine de la compliance et du devoir de vigilance.

 

                        III – 2.

 

Dans la loi dite « Sapin 2 » du 9 décembre 2016[12] qui instaure un dispositif de prévention, de corruption et de trafic d’influence, la société mère devient l’acteur essentiel du processus de prévention.

 

Ainsi, l’article 17 de la loi impose un certain nombre d’obligations aux Présidents Directeurs Généraux et gérants d’une société employant au moins 500 salariés ou appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France, et dont l’effectif comprend au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 M€ destinés à « prévenir et à détecter la commission en France ou à l’étranger, de fait de corruption ou de trafic d’influence (…). »

 

Ainsi, ces dirigeants doivent-ils mettre en œuvre les procédures suivantes :

 

1) Un code de conduite définissant et illustrant les différents types à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence. Ce code de conduite est intégré au Règlement Intérieur de l’entreprise et fait l’objet à ce titre de la procédure de consultation des représentants du personnel prévue à l’article L 1321-4 du Code du Travail ;

 

2) Un dispositif d’aide interne destiné à permettre le recueil des signalements émanant d’employés et relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la société ;

 

3) Une cartographie des risques prenant la forme d’une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d’activités et des zones géographiques dans lesquelles la société exerce son activité ;

 

4) Des procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires au regard de la cartographie des risques ;

 

5) Des procédures de contrôle comptable interne ou externe destinées à s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence (…) ;

 

6) Un dispositif de formation destiné aux cadres et au personnel les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d’influence ;

 

7) Un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société ;

 

8) Un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre. Le manquement au respect de ces 8 obligations engage tout autant le dirigeant, que la personne morale.

 

Dans la lutte contre la corruption et le trafic d’influence, le groupe est ici défini dans son périmètre de consolidation. La responsabilité est quant à elle retenue à chaque fois qu’il est établi le non-respect de l’une ou de plusieurs des obligations posées par le texte.

 

Et sur ce point, la loi Sapin 2 s’est fortement inspirée du dispositif de compliance déjà présent au sein des établissements financiers ou des sociétés cotées.

 

La faute disparaît peu à peu au profit d’une notion plus complexe : le manquement. Le manquement caractérise la responsabilité du dirigeant et la personne morale qu’il contrôle, en cas de non-respect formel de la réglementation, mais également et surtout, lorsqu’il est constaté une insuffisance de moyens matériels et humains utiles à obtenir un respect de la réglementation.

 

Ainsi, le comportement d’une filiale pourrait à notre avis, engager la responsabilité de sa société mère, malgré la démonstration de la mise en place des 8 points d’obligations précédemment décrits, s’il était établi l’insuffisance de dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre visées au point 8 de l’article 17-II.

 

Si l’on admet ce principe, on doit également reconnaître que la société mère engagera sa responsabilité, même lorsqu’il n’est pas démontré un fait de corruption ou de trafic d’influence par l’une des filiales du groupe, mais simplement une insuffisance du dispositif destiné à lutter contre le trafic d’influence ou la corruption.

 

Et à l’aune de ces explications, on parvient plus nettement à comprendre l’importance de cette responsabilité de la société mère, qui sera sous le contrôle de l’agence française anti-corruption, laquelle a été dotée d’une commission des sanctions, qui peut prononcer une sanction dont le montant ne peut excéder 200 000 € pour les personnes physiques et 1 M€ pour les personnes morales.

 

            II – 3.

 

La loi de vigilance du 27 mars 2017[13] transforme les principes de la soft law posés par les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises nationales, en une obligation légale, instaurant un devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneurs d’ordre par la création des articles L 225-102-3 et L 225-102-5 du Code de Commerce.

 

Le groupe est ici défini par référence aux dispositions du Code de Commerce et un seuil de 5 000 salariés sur le territoire français ou au moins 10 000 salariés lorsqu’on étend le périmètre géographique à l’étranger.

 

A la différence de la loi dite Sapin 2, ce sont les « filiales ou sociétés contrôlées qui dépassent les seuils mentionnés » qui sont tenues de mettre en œuvre un plan de vigilance relatif à l’activité de la société et de l’ensemble des filiales ou sociétés qu’elle contrôle.

 

A y regarder de plus près, on pourrait considérer que cette obligation est due de premier chef, par la mère, mais en cascade, par toutes les filiales, jusqu’à ce que l’on parvienne à un des deux seuils de 5 000 en France ou 10 000 à l’étranger.

 

Il s’agit cette fois pour le « groupe », de mettre en œuvre un plan de vigilance relatif à l’activité de la société, de l’ensemble des filiales propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers « les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes, ainsi que leur environnement résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle au sens du 2 de l’article L 233-16 directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels elle a entretenu une relation commerciale établie lorsque ses activités sont rattachées à cette relation. »

 

Et pour le coup, le périmètre de la compliance est relativement large et assez proche somme toute de celle dont sont débiteurs les établissements financiers dans le cadre de la garantie financière.

 

Mais pour ce texte, il est difficile de faire à nouveau référence à la notion de manquement, puisque la responsabilité n’est pas caractérisée par la constatation d’une absence ou d’une insuffisance de moyens matériels et humains propres à faire respecter la règle précitée, mais sur le fondement de la responsabilité délictuelle désormais codifiée aux articles 1240 et 1241 du Code Civil (anciennement article 1382 et suivants du Code Civil) qui instaurent un principe de responsabilité pour faute, de sorte que la responsabilité de la mère dans le cadre de la loi vigilance suppose la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

 

On imagine assez facilement un scénario judiciaire par lequel une victime tente de démontrer la faute d’une filiale et par ricochet, appelle en garantie les sociétés qui la contrôlent, à charge pour les mères ou… grand-mères, de tenter de s’exonérer de leurs responsabilités en démontrant avoir satisfait aux obligations de l’article L 225-102-4 Nouveau du Code de Commerce.

 

Et sur ce point, il ne fait aucun doute que si la loi vigilance avait été promulguée bien plus tôt, la holding de la société Metaleurop, à l’origine d’une pollution grave des sols au plomb dans la région du Nord, n’aurait pas échappé à une condamnation.

 

Ceci posé, il faut bien reconnaître qu’en 2016, pas plus qu’en 2017, le législateur n’a fait un effort pour identifier ou définir une société mère et encore plus un groupe.

 

            IV – Les obligations imposées à la mère et la difficulté d’appréhender la notion de groupe

                        III – 1.

 

Dans la cartographie des interrogations, la première tient certainement à la nationalité de la mère. Ainsi, nous savons par la lecture de la loi Sapin 2 que la mère doit être une société dont le siège social est situé sur le territoire français. Mais la mère est-elle la société qui se trouve tout en haut du périmètre de consolidation. Dans ce cas, la loi Sapin n’est pas applicable à tous les groupes dont la holding de tête n’a pas la nationalité française.

 

L’ANSA[14] a pour sa part un avis plus nuancé. Selon elle, « Le texte doit en effet s’appliquer conformément à l’article L 233-1 : une société qui possède une ou plusieurs filiales est une société dite mère au regard de la réglementation française, peu importe qu’elle soit elle-même contrôlée par une société étrangère. »[15]

 

Le comité juridique de l’association ajoute que d’un point de vue strictement national, la définition de la mère découle de celle de la filiale : « L’article L 233-1 définit a contrario la notion de société mère, terme inventé par la pratique pour désigner la société possédant une filiale. »[16]

 

On pourrait rétorquer que ce raisonnement pourrait heurter celui développé par la directive dite mère/filiale[17] qui instaure des règles de neutralité fiscale au regard de la concurrence en ce qui concerne les dividendes et bénéfices distribués par des filiales à leur société mère qui créent au profit d’une société mère ou d’un établissement stable, la possibilité de percevoir des bénéfices, même hors période de liquidation, avec une obligation pour les Etats de l’Union Européenne de s’abstenir d’imposer ses bénéfices, ou à défaut, en autorisant la société mère et l’établissement stable, à déduire du montant de leur impôt, la fraction de l’impôt sur les sociétés afférente à ces bénéfices, et acquittée par la filiale ou toutes ses filiales.

 

D’aucun argueront à bon escient vraisemblablement l’argument de l’autonomie du droit fiscal par rapport aux autres droits, mais cette autonomie a fait long feu si l’on considère que progressivement tous les droits créent l’un par rapport à l’autre une certaine tranche d’autonomie, mais surtout qu’il n’y a qu’un pas à franchir entre les règles comptables de la consolidation et la fiscalité qui devra ressortir de ce traitement comptable (même si encore, il faut admettre qu’un résultat comptable n’équivaut pas à un résultat fiscal).

 

Cet exercice a donc pour démérite d’inviter le lecteur à une interprétation de la loi Sapin 2 vraisemblablement en contrariété avec la jurisprudence de la Cour de Cassation, illustrée notamment par son arrêt du 11 mai 2017[18] qui rappelle que le Juge ne peut pas interpréter un texte clair « tel qu’il résulte de sa rédaction », c’est-à-dire qu’il n’est « ni obscur, ni ambigu, et doit par conséquent être tenu pour certains (…) ».

 

Ainsi, la loi Sapin 2 se posant en principe de l’existence d’une société mère ayant son siège en France, il faut exclure toute possibilité de société mère du sous-groupe national français.

 

Ainsi résumé, on peut observer que si le texte d’un point de vie technique, constitue une véritable avancée dans la responsabilité intragroupe, son application crée une incertitude pour les groupes transnationaux dont le siège se situe en dehors de la France.

 

                        III – 2.

 

La loi vigilance n’améliore pas la compréhension du groupe lorsque le critère de contrôle pour définir l’entité débitrice de l’élaboration du plan est celle de l’article L 233-3 du Code de Commerce, mais pour définir le contour du périmètre de plan, c’est l’article L 223-16 qui est opérationnel, et certains auteurs d’écrire à ce sujet[19] :

 

« Ceci va conduire inévitablement les entreprises à faire deux raisonnements différents pour appliquer une même loi, mais cela paraît comme un élément transactionnel entre for antagonistes qui ont dominé un débat. Il eut été logique de ne retenir ici que le seul critère de l’article L 223-16. »

 

On retiendra de cette libre pensée, une sensation de flou dans l’appréciation d’un groupe, de la société mère et de ses obligations à l’intérieur de ce groupe.

 

Et si les avancées des lois Sapin 2 et vigilance constituent un progrès qu’il convient de saluer, il faut quand même parler de « marche en crabe » tant ces évolutions ajoutent un élément de complexité supplémentaire dans un environnement juridique dont on ne cesse de nous dire qu’il faut le simplifier.

 

Peut-être cette situation est-elle liée au conflit entre notre droit national, celui de l’Union Européenne, et plus largement encore le droit international. Une seule certitude, la tendance va aller à l’hypertrophie des départements juridiques et à leur alter ego de la compliance.

 

Eric DELFLY

VIVALDI-Avocats


[1] Pour déterminer la nature et l’intensité des liens qui doivent exister entre l’entreprise dominante et les entreprises contrôlées pour que l’on puisse considérer qu’un groupe existe, le Droit du Travail s’est ici référé aussi bien aux définitions juridiques du contrôle de l’article L 233-1 (définition de la filiale) et de l’article L 233-3 du Code de Commerce, qu’à la notion retenue pour la consolidation des comptes de l’article L 233-16 de ce même Code.

[2] Cass soc 26/01/2005, n° 02-31.051

[3] Cass crim 27/06/1972, n° 72-92.608

[4] Cass crim 04/02/1985 n° 84-91581

[5] CA PARIS, Pôle 5, Ch. 5, 20/03/2014, n° 1201371

[6] Cass com 12/06/2012, n° 11-1609

[7] Cass soc 02/07/2014, n° 15-15208, bull civ V

[8] CJCE 10/09/2009, n° C-97108 ou plus récemment CJUE 27/03/2017 n° C-516-15

[9] Cass com 18/10/2017, n° 16-19120

[10] Loi du 12/07/2010, n° 2010-788

[11] Cass com 19/04/2005, n° 05-10.094

[12] Loi du 09/12/2016, n° 2016-1691

[13] Loi du 27/03/2017, n° 2017-399

[14] Association Nationale des Sociétés par Actions

[15] Communiqué juridique de l’ANDSA du 03/05/2017 n° 17-029

[16] Avis précité p 3

[17] Directive 2011-98 UE du Conseil du 30/11/2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mère et filiales d’Etats membres différents et directive 2014-86 UE du Conseil du 08/07/2014 modifiant la directive 2011-96 UE.

[18] Cass 1ère civ 11/05/2017, n° 16-15.549

[19] Voir Alain Couret « Les obligations des sociétés mères à l’épreuve de vents contraires », bull JOLY SOCIETE novembre 2017, p 712

 

 

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