SOURCE : Cass. 1re civ., 30 avr. 2014, n° 12-21.484, P+B+I
Faits et procédure
Le divorce de M. X… et de Mme Y… est prononcé le 10 février 2000 sur assignation du 14 juin 1995. Le notaire chargé des opérations de liquidation et de partage de la communauté ayant existé entre les époux dresse un procès-verbal de difficultés. Le tribunal statue alors au vu d’un rapport d’expertise ordonné par le premier juge. Devant la cour d’appel, Mme Y… soulève la nullité de ce rapport. En outre, elle demande l’intégration à l’actif de la communauté de la somme de 445 000 euros correspondant à la valeur d’un contrat de retraite complémentaire, l’intégration au passif de la communauté de l’impôt afférent aux seuls revenus perçus antérieurement à la dissolution de la communauté ainsi que l’attribution préférentielle de la propriété B….
Le 20 mars 2012, la cour d’appel d’Aix-en-Provence déclare irrecevable la demande de nullité de l’expertise. Elle rejette les autres demandes de Mme Y… et décide que celle-ci devra, à compter du 13 avril 2000, une indemnité pour l’occupation d’un immeuble commun. Mme Y… se pourvoit en cassation.
Solution
Le deuxième moyen est rejeté. En effet, si la demande de nullité d’une expertise ne constitue pas une exception de procédure mais une défense au fond, elle est soumise, en application de l’article 175 du Code de procédure civile, aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure. En l’espèce, Mme Y… ayant présenté des défenses au fond avant de soulever la nullité du rapport d’expertise, la cour d’appel a décidé à bon droit que la nullité était couverte.
Le troisième moyen est également rejeté. En effet, ayant relevé que le contrat, au titre duquel les sommes étaient réclamées, ouvrait droit à une retraite complémentaire de cadre à laquelle le bénéficiaire ne pourrait prétendre qu’à la cessation de son activité professionnelle, la cour d’appel, qui a ainsi caractérisé un propre par nature, a rejeté, à bon droit, la demande tendant à inclure dans l’actif de la communauté le montant des sommes litigieuses.
En revanche, la première chambre civile accueille le quatrième moyen au visa de l’article 262-1 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, et de l’article 1409 du même code. En effet, seuls les revenus déclarés jusqu’au jour de l’assignation, soit le 14 juin 1995, devaient être pris en compte pour déterminer la part d’impôt sur le revenu à la charge de la communauté.
L’arrêt est également cassé sur le cinquième moyen. Pour décider que Mme Y… doit une indemnité pour l’occupation d’un immeuble commun à compter du 13 avril 2000, l’arrêt retient que les parties s’accordent pour faire démarrer celle-ci à la date de l’arrêt d’appel ; en se déterminant ainsi, la cour d’appel a dénaturé les conclusions qui lui étaient soumises par lesquelles Mme Y… faisait valoir que l’indemnité d’occupation ne courrait qu’à partir de l’arrêt définitif de divorce, soit à partir du 16 mai 2000 et a violé l’article 4 du Code de procédure civile.
Enfin, le dixième moyen est accueilli. Pour débouter Mme Y… de sa demande d’attribution préférentielle de la propriété B…, l’arrêt se borne à énoncer que celle-ci apparaît prématurée en l’état, l’expert ayant à juste titre rappelé que les comptes définitifs seront établis par le notaire chargé des opérations de liquidation de la communauté ; en se déterminant par un tel motif impropre à justifier sa décision, la cour d’appel a privé celle-ci de base légale au regard de l’article 1476 du Code civil.
Analyse
Le présent arrêt, rendu à la suite d’un pourvoi particulièrement riche, mérite de retenir l’attention sur au moins deux points : d’une part, il apporte des précisions importantes relatives au régime procédural de la demande de nullité d’une expertise. D’autre part, il précise le sort d’une retraite complémentaire sous le régime de communauté.
I – Le régime procédural de la demande de nullité d’une expertise
En l’espèce, Mme Y… invoquait la violation du principe de la contradiction lors des opérations d’expertise. Selon la Cour de cassation[1], la partie qui fait état de l’irrégularité des opérations d’expertise ne peut se contenter de soutenir que la mesure d’instruction lui est inopposable ; elle doit en demander la nullité qui, en vertu de l’article 175 du Code de procédure civile et sous réserve de l’application des articles 176 à 178 du même code, est régie par les dispositions relatives à la nullité des actes de procédure. Dans le présent arrêt, les hauts magistrats apportent des précisions quant à la qualification procédurale de la demande de nullité de l’expertise tout en confirmant que l’article 175 du Code de procédure civile lui est applicable.
A – La qualification procédurale de la demande de nullité d’une expertise
La partie qui demande au juge d’annuler une expertise invoque-t-elle une exception de procédure et, plus précisément, une exception de nullité d’un acte au sens des articles 112 et suivants du Code de procédure civile ? À la suite de la deuxième chambre civile[2], la première chambre civile répond à cette question par la négative. Cette solution peut être justifiée par la nature même de l’exception de procédure qui est définie comme « tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours » (CPC, art. 73). Or, la partie qui conteste la régularité des opérations d’expertise n’a pas pour objectif de remettre en cause la régularité de la procédure au cours de laquelle l’expertise a été ordonnée.
Dans le présent arrêt, la première chambre civile précise que la demande de nullité de l’expertise doit être qualifiée de « défense au fond ». La qualification procédurale retenue peut être justifiée par la nature même de l’expertise judiciaire. Mesure d’instruction, l’expertise judiciaire peut être ordonnée dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour « statuer » (CPC, art. 144). Elle est donc utile pour « éclairer » (CPC, art. 263) le juge sur « les faits dont dépend la solution du litige » (CPC, art. 143). En tant qu’élément probatoire, le rapport d’expertise va donc influer sur le processus décisionnel[3].
En conséquence, la demande de nullité de l’expertise ne relève pas de la compétence du magistrat de la mise en état[4] ; elle doit être examinée par la juridiction de jugement.
Si elle constitue une défense au fond, la demande de nullité de l’expertise n’en est pas moins régie par l’article 175 du Code de procédure civile.
B – L’application de l’article 175 du Code de procédure civile
Avant 2012, la Cour de cassation avait parfois choisi l’article 16 du Code de procédure civile comme fondement de la sanction de la violation par l’expert du principe du contradictoire[5]. Ce choix permettait de faire respecter efficacement ce principe directeur du procès. Cependant, depuis 2012[6], « toutes les irrégularités de l’expertise doivent désormais passer par les fourches caudines des règles de nullité »[7] qui sanctionnent un vice de forme (CPC, art. 112 et suiv.) ou une irrégularité de fond (CPC, art. 117 et suiv.) affectant un acte de procédure.
Selon la demanderesse au pourvoi, qui invoque la violation par la cour d’appel des articles 16 et 175 du Code de procédure civile et de l’article 6. 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la nullité d’une mesure d’instruction résultant de ce qu’elle a été réalisée en méconnaissance du principe de la contradiction peut être soulevée en tout état de cause. Cependant, les irrégularités de fond sont limitativement énumérées à l’article 117 du Code de procédure civile[8]. En conséquence, en dehors des cas prévus par ce texte, toutes les irrégularités susceptibles d’être invoquées doivent être qualifiées de « vices de forme ». En l’absence de texte, encore faut-il que l’irrégularité constitue l’inobservation d’une formalité substantielle[9] ou d’ordre public et que la partie établisse l’existence d’un grief résultant de l’atteinte au principe de la contradiction. En l’espèce, Mme Y… devait démontrer qu’elle n’avait pu se défendre en raison de l’irrégularité de l’expertise.
En outre, l’irrégularité doit être soulevée avant toute défense au fond (CPC, art. 112). En l’espèce, Mme Y… a reconnu que devant le tribunal, elle avait seulement fait état des manquements de l’expert alors qu’elle aurait dû demander, in limine litis, la nullité de l’expertise. Sa demande, formulée au second degré de juridiction, était donc vouée à l’échec.
Le moyen tiré de la nullité d’une expertise constitue donc une défense au fond soumise à un régime procédural spécifique puisque l’article 72 du Code de procédure civile ne lui est pas applicable.
Le message délivré par la haute juridiction est clair : le prononcé de la nullité d’une expertise, mesure d’instruction souvent longue et coûteuse, doit être exceptionnel. Cette solution pragmatique fait du principe de la contradiction « un principe à géométrie variable »[10] dont la violation n’est plus systématiquement sanctionnée.
II – La question de la retraite
Il y a cinquante ans, les auteurs se querellaient sur la nature commune ou propre des gains et salaires. Le débat est aujourd’hui tranché -les gains et salaires sont communs- mais ils demeurent, dans le silence des textes, des interrogations à propos de ce que la Cour de cassation appelle des substituts de salaires. Tel est le cas des pensions de retraite sur lesquelles, la Cour de cassation a déjà statué dans le passé ; l’intérêt de l’arrêt rapporté est de préciser les choses, du moins en partie, en présence d’une retraite complémentaire.
A Les précédents
Dès lors que l’on doit poser en principe que les substituts de salaires sont, comme les salaires qu’ils remplacent, des biens communs, la question est a priori simple à régler : les pensions de retraite sont communes. Ce que le retraité commun en biens percevra durant le mariage alimentera la communauté. C’est ce que la Cour de cassation a jugé en 2009 à propos d’un militaire : les arrérages de la pension de retraite, qui sont des substituts de salaires, entrent en communauté. Mais à cette occasion, il fut ajouté : « le titre d’une pension militaire de retraite, exclusivement personnel, constitue un bien propre par nature »[11].
L’application en la matière de la distinction du titre et de la finance a étonné plus d’un commentateur[12], mais son intérêt fut rapidement illustré par un arrêt postérieur de 2010 rendu à propos du régime de retraite Suisse : « les droits acquis au titre d’un régime de prévoyance professionnelle obligatoire, attribués en considération de la situation personnelle de leur titulaire, constituent des biens propres par nature et seul le capital représentatif de la prestation de libre passage dont le versement est demandé avant la dissolution du régime constitue un substitut de rémunération et entre en communauté »[13]. En conséquence, si les époux divorcent avant la retraite, le futur retraité exercera la reprise de son titre (ou de ses droits) et la communauté n’aura droit à rien.
Mais quid s’il s’agit d’un contrat de retraite complémentaire constitué à l’aide de deniers communs ?
B le sort de la retraite complémentaire
Telle est la question que règle l’arrêt sous examen, l’épouse demandant que soit intégrée à l’actif de communauté une somme de 445.000 euros correspondant à la valeur d’un contrat de retraite complémentaire MEDERIC. Devant les juges du fond, l’épouse avait tenté de tirer profit de la jurisprudence PRASLICKA en soutenant que la valeur, au jour de la dissolution de la communauté, d’un contrat de retraite complémentaire fait partie de l’actif de la communauté. Elle fût déboutée au motif que « c’est à bon droit que l’intimé fait valoir qu’il ne s’agit pas d’un contrat d’assurance mais une retraite complémentaire à laquelle il ne pourra prendre qu’à la cessation de son activité et qu’il ne constitue pas un actif de communauté ». Critique du pourvoi : la valeur, au jour de la dissolution de la communauté, d’un contrat de retraite complémentaire, dont les cotisations ont été payées avec des fonds communs, fait partie de l’actif de la communauté.
Le moyen du pourvoi sera rejeté : « ayant relevé que le contrat, au tire duquel les sommes étaient réclamées ouvraient droit à une retraite complémentaire de cadre dont le bénéficiaire ne pourrait prétendre qu’à la cessation de son activité professionnelle, la cour d’appel, qui a ainsi caractérisé un propre par nature a rejeté, à bon droit, la demande tendant à inclure dans l’actif de la communauté le montant des sommes litigieuses ».
Comme dans l’arrêt de 2010, même si la formulation n’est pas tout à fait la même, la Cour de cassation invite donc à distinguer d’un côté le contrat (qui serait un propre par nature, en raison de son caractère personnel, au sens de l’article 1404 du Code civil, comme le sont d’autres contrats, par exemple un bail rural) ; de l’autre côté (même si la Cour de cassation ne le dit pas en l’espèce), la prestation versée en en vertu du contrat qui, elle, serait commune : la pension de retraite complémentaire tombera le moment venu dans la communauté.
La construction nous parait être dans la lignée des arrêts précédents ; pratiquement, si l’époux concerné n’a pas cessé son activité professionnelle lorsque le mariage prend fin, rien ne figure à l’actif de la communauté. On pourra trouver que c’est normal car le cotisant ne profitera pas forcément de cette retraite (il suffit qu’il décède avant). Mais s’il en profite et si c’est la communauté qui a cotisé, ne devrait-elle pas avoir droit à une récompense calculée à partir de la valeur du contrat au jour de la dissolution (sur cette question, voir les notes précitées de B Vareille qui répond non et Alice Tissserand qui se montre favorable à une récompense ? Ce serait logique de retrouver, sur le plan financier, ce qui se passe en cas de contrat de capitalisation : si j’épargne en vue de ma retraite sur un contrat d’assurance-vie, et si je divorce avant, la communauté sera indemnisée par le biais de la prise en compte de la valeur de rachat (c’est l’un des enseignements de la célèbre jurisprudence (PRASLICKA). Si je cotise avec mes revenus en vue d’une retraite complémentaire, il ne serait pas juste que la communauté soit dépouillée sans avoir droit à récompense (calculée à partir de la valeur du contrat au jour de la dissolution). La formulation de l’arrêt de 2014 ne permet pas de trancher ce point crucial. Il faudra donc attendre une autre décision….
Frédérique Eudier Maître de conférences (HDR) à l’Université de Rouen, CUREJ-EA 4703 |
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Frédéric Vauvillé Professeur à l’Université de Lille-II Conseiller scientifique du Cridon Nord-Est Avocat associé au barreau de Lille Vivaldi-Avocats |
[1] Cass. ch. mixte, 28 sept. 2012, n° 11-11.381, Bull. ch. mixte n° 1 ; Cass. 2e civ. 29 nov. 2012, n° 11-10.805, JCP G 2013, 15, note D. Cholet.
[2] Cass. 2e civ., 31 janv. 2013, n° 10-16.910, JCP G 2013, 263, note X. Vuitton.
[3] Cf. note X. Vuitton préc.
[4] Cass. 2e civ., 31 janv. 2013, n° 10-16.910, préc.
[5] Cf. par ex. Cass. 2e civ., 24 févr. 2005, n° 03-12.226, Bull. civ. II, n° 46.
[6] Cass. ch. mixte, 28 sept. 2012, n° 11-11.381, préc.
[7] D. Cholet, note préc.
[8] Cass. ch. mixte, 7 juill. 2006, n° 03-20.026, Bull. ch. mixte n° 6.
[9] Cf. Cass. 2e civ. 29 nov. 2012, n° 11-10.805, préc., pour l’absence d’établissement d’un pré-rapport en méconnaissance des termes de la mission d’expertise ; Cass. 1re civ. 6 juin 2013, n° 12-13.682, pour l’absence de communication du pré-rapport et du rapport.
[10] D. Cholet, note préc.
[11] Civ. 1ère, 8 juillet 2009 : Bull. civ. I, n° 167 ; D. 2009. AJ 1974 ; JCP 2009. 391, n° 13, obs. Simler ; JCP N 2009 1322 note Vassaux ; AJ Famille 2009. 405, obs. HIlt ; RTD civ. 2010. 803, obs. Vareille.
[12] Voir « Retraite et régime matrimonial de communauté » parVéronique Barabé-Bouchard in Mélanges.
[13] Civ. 1ère 3 mars 2010, Bull. civ. I n° 56, D 2010. Pan 2396, obs. Revel ; JCP 2010, n° 487, n°19, obs. Tisserand-Martin, AJ famille 2010. 241, obs. Hilt ; RTD civ. 2010. 806, obs. Vareille.