La clause attributive de compétence contenue dans les conditions générale de FACEBOOK est abusive

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : TGI Paris, CH4 S2, Ord JME du 5 mars 2015, Frédéric X / Facebook Inc

 

L’Origine du monde est un tableau de nu féminin réalisé par Gustave Courbet en 1866, exposée au musée d’Orsay depuis 1995, représentant le sexe, le ventre et la poitrine d’une femme nue allongée sur un lit[1].

 

Selon le musée d’Orsay L’Origine du monde échappe cependant au statut d’image pornographique en raison de la grande virtuosité de Courbet et au raffinement d’une gamme colorée ambrée[2].

 

Tel n’est pas l’avis de la société FACEBOOK qui, en février 2011, a désactivé le compte d’un professeur des écoles quinquagénaire, passionné d’art, qui avait posté sur son « mur » une photo du célèbre tableau et conduit l’internaute, après de vaines tentatives de résolution amiable du litige, à saisir le Tribunal de Grande Instance de Paris de la difficulté[3].

 

FACEBOOK Inc a contesté la compétence des juridictions françaises, en raison de l’existence, dans ses conditions générales, d’une clause attributive de compétence au profit des tribunaux de Californie, siège de l’entreprise, qui ne dispose d’aucun établissement en France depuis 2012 :

 

« Loi applicable : attribution de juridiction

En visitant ou en utilisant le site et/ou les services, vous acceptez, que la loi du Delaware sans considération des principes de conflit de loi, régisse ces conditions d’utilisation ainsi que tout litige de toute nature qui pourrait survenir entre vous et la société ou l’une quelconque de ses affiliées. En ce qui concerne les litiges ou plaintes qui ne sont pas sujet à arbitrage (voir ci-après), vous acceptez de ne pas engager d’action ailleurs que devant les tribunaux de Californie (Etats-Unis) et vous consentez par la présente à la compétence des tribunaux de Californie. Vous renoncez également à toute défense basée sur la compétence personnelle et le forum non conveniens. »

 

L’article 48 du Code de procédure civile n’étant pas applicable en matière de litige international, le Juge de la Mise en Etat (JME) s’est référé aux dispositions de l’article L132-1 du Code de la consommation, expressément qualifié d’ordre public :

 

« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

 

Un décret en Conseil d’Etat (…) détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse.

 

Un décret pris dans les mêmes conditions détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu’elles portent à l’équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa. (…) le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat. (…) »

 

Et aux dispositions de l’article R132-2 du même code :

 

« Dans les contrats conclus entre des professionnels et des non-professionnels ou des consommateurs, sont présumées abusives au sens des dispositions du premier et du deuxième alinéas de l’article L. 132-1, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de :

10° Supprimer ou entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges. »

 

Pour en déduire que :

 

FACEBOOK est un professionnel et l’internaute utilise le site sans lien avec son activité professionnel ;

 

 Si le service proposé par FACEBOOK est gratuit pour l’utilisateur, la société en tire indirectement un bénéfice ;

 

Le contrat signé par l’internaute est un contrat d’adhésion ;

 

Donc, que le contrat est soumis à la législation sur les clauses abusives, et que :

 

La clause litigieuse à pour effet de priver, en pratique, le consommateur ou non professionnel français d’une demande portée à l’encontre de FACEBOOK, eu égard aux frais engagés à cette fin;

 

Alors que FACEBOOK a toute possibilité de se défendre devant les juridictions françaises.

 

La clause attributive de juridiction crée donc « un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Elle a également pour effet de créer une entrave sérieuse pour un utilisateur français à l’exercice de son action en justice », et doit, en conséquence, être réputée non écrite.

 

Le JME, par application des articles 4 du règlement du 22 décembre 2000, 46 du Code de procédure civile, et L141-5 du Code de la consommation, retient la compétence du TGI de Paris, puisqu’il s’agit du Tribunal du lieu d’exécution de la prestation et du lieu ou le demandeur demeurait au moment de la conclusion du contrat.

 

L’affaire sera donc soumise à l’appréciation du Tribunal de Grande Instance de Paris.

 

La Cour d’appel de Pau avait déjà pu statuer, en 2012, sur une affaire « similaire » de fermeture de compte mais en se fondant à l’époque sur le contenu de la clause, en retenant qu’ « il ne peut être considéré [que le consommateur] s’est engagé en pleine connaissance de cause et la clause attributive de compétence doit être réputée non écrite ».[4]

 

Le JME du Tribunal de Grande Instance de Paris va ici plus loin, en se fondant, pour retenir la compétence des juridictions françaises à traiter un litige « facebook », sur le caractère abusif du principe de la clause attributive de compétence territoriale de FACEBOOK, quelle qu’en soit sa rédaction.

 

FACEBOOK semble avoir pris la mesure de la difficulté, et à modifié depuis sa politique relative aux publications d’internautes, en acceptant, par principe, les nudités liées à l’art, limitées à la peinture et la sculpture (les photographies restent en débat) en précisant que [5] :

 

« Les utilisateurs partagent parfois des scènes de nudité dans le cadre de campagnes de sensibilisation ou de projets artistiques. Nous limitons l’affichage de scènes de nudité, car certaines audiences au sein de notre communauté mondiale peuvent être sensibles à ce type de contenu, en particulier de par leur culture ou leur âge. Afin de traiter les utilisateurs de façon juste et de répondre rapidement aux signalements, il est essentiel pour nous de mettre en place des règles que nos équipes internationales peuvent appliquer uniformément et facilement lors des examens de contenus. En conséquence, nos règles peuvent parfois être plus formelles que nous l’aurions souhaité et limiter le contenu partagé à des fins légitimes. Nous travaillons constamment pour améliorer l’évaluation de ce contenu et appliquer nos Standards.

 

Nous supprimons les photographies présentant des organes génitaux ou des fesses entièrement exposées. Nous limitons également certaines images de poitrines féminines si elles montrent le mamelon, mais nous autorisons toujours les photos de femmes qui défendent activement l’allaitement ou qui montrent les cicatrices post-mastectomie de leur poitrine. Nous autorisons également les photos de peintures, sculptures et autres œuvres d’art illustrant des personnages nus. Les restrictions sur l’affichage de nudité et d’activité sexuelle s’appliquent également au contenu créé numériquement, sauf si le contenu est publié à des fins éducatives, humoristiques ou satiriques. Les images illustrant explicitement des rapports sexuels sont interdites. Les descriptions verbales d’actes sexuels qui entrent dans les détails peuvent également être supprimées. »

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats

 


[1]Pour plus de détails sur l’œuvre, cf L’Origine du monde, wikipedia

[2]Cf site internet du musée d’Orsay et son commentaire de l’oeuvre

[3]Source : Métronews, édition du 5 mars 2015

[4] Sur ce thème, cf notre article Condition de validité d’une clause attributive de compétence territoriale

[5] https://www.facebook.com/communitystandards/

 

 

 

 

Partager cet article
Vivaldi Avocats