CE 11 déc. 2015, Commune de Colmar, req. n° 383625
On assimile, pour simplifier, la procédure de référé à la situation d’urgence. Justice rapide, d’évidence, la juridiction des référés est évidement utile aux justiciables.
La question de la portée de la décision qui trouve son origine dans une procédure de référé est une autre question.
Qu’elle soit utile et nécessaire, est incontestable ; la juridiction des référés, dans l’ordre judiciaire comme administratif, est irremplaçable.
Il reste qu’une justice rapide peut être imparfaite. C’est pourquoi, les décisions rendues en référé n’ont pas l’autorité de chose jugée.
C’est pourquoi, le créancier qui obtient une décision en référé, dotée, de plein droit de l’exécution par provision, ne s’affranchira pas de saisir à nouveau le juge, cette fois-ci au fond, aux fins d’obtenir une décision qui soit revêtue de l’autorité de la chose jugée.
Inversement, le débiteur, condamné en référé, pourra tenter remettre en cause la décision de référé devant le juge statuant au fond.
Quelle est la marge de manœuvre du juge saisi au fond après qu’une décision ait été rendue en référé ou en la forme des référés ?
Cette marge de manœuvre est totale. Ne s’applique en effet pas, la présomption sus évoquée de vérité, irréfragable, attachée aux décisions de justice rendues au fond : Res judicate pro veritate habetur.
La décision du 11 décembre 2015, présentement commentée, illustre cette question.
Rendue à propos du référé provision, cette décision emprunte, il convient de le préciser, le sillon préalablement creusé par les Juges du Quai de l’Horloge au sujet du référé suspension.
On sait que le référé suspension, anciennement « sursis à exécution ») est prévu à l’article L.521-1 du code de justice administrative a pour objet – et en cas de succès, pour effet, de suspendre l’exécution d’une décision administrative manifestement illégale.
En 2003, le Conseil d’Etat (CEt. 5 novembre 2003, Association Convention vie et nature pour une écologie radicale, Publié au Lebon, AJDA 2003. 2253) a posé le principe de l’autorité de chose ordonnée en référé.
Mais cette autorité n’est que simple, et donc susceptible d’être remise en cause, ce que vient confirmer la décision « Commune de Colmar » rendue le 11 décembre 2015, à propos du référé provision.
La procédure du référé provision, prévue aux articles. R.541-17 à R.541-6 du Code de Justice administrative, permet d’obtenir une provision de la part de l’administration si l’existence d’une obligation n’est pas sérieusement contestable.
En l’espèce, la commune de Colmar a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg de condamner l’Etat à lui verser, à titre de provision, la somme de 523 973,71 euros au titre des frais de fonctionnement de la régie de recettes de l’Etat créée auprès de la police municipale pour percevoir le produit des amendes forfaitaires de la police de la circulation et des consignations émises par les agents de la police municipale.
Par une ordonnance n° 1003148 du 14 mars 2011, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a condamné l’Etat à verser à la commune de Colmar une provision de 495 775,28 euros.
Le ministre de l’intérieur – dans l’intérêt de l’Etat, et donc du débiteur – a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, sur le fondement de l’article R. 541-4 du code de justice administrative, de fixer définitivement sa dette à l’égard de la commune de Colmar en soutenant que l’Etat ne lui était redevable d’aucune somme au titre des frais de fonctionnement de la régie de recettes.
Par un jugement n° 1102825 du 20 février 2013, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à sa demande.
Cette décision devait être confirmée le 12 juin 2014 par la Cour administrative d’appel de Nancy.
Le Conseil d’Etat rejette le pourvoi au terme de la motivation suivante :
« si elles sont exécutoires et, en vertu de l’autorité qui s’attache aux décisions de justice, obligatoires, les décisions du juge des référés n’ont pas, au principal, l’autorité de la chose jugée ; que les dispositions précitées de l’article R. 541-4 du code de justice administrative ouvrent à la personne condamnée au paiement d’une provision, dans les conditions qu’elles fixent, la faculté de saisir le juge du fond, auquel il incombe, ainsi que l’a jugé à bon droit la cour, de statuer tant sur le principe que, le cas échéant, sur le montant de sa dette ; que, lorsque le juge du fond est ainsi saisi pour fixer définitivement la dette, l’ordonnance du juge du référé provision ne peut, alors même que, faute d’appel dans les délais, elle est devenue définitive, être regardée comme passée en force de chose jugée pour l’application d’une loi qui, ayant pour objet la validation d’actes administratifs, réserve l’hypothèse des décisions passées en force de chose jugée »
Une décision de référé peut ainsi disposer d’une autorité – solution constante depuis l’arrêt précité de 2003 -, être devenue définitive (dès lors qu’appel n’a pas été interjeté ou de façon infructueuse) et malgré tout être susceptible d’être remise en cause.
Cette « fragilité » de la décision rendue en référé peut être regardée comme porteuse d’insécurité juridique pour celui qui a obtenu gain de cause, elle est le prix à payer pour préserver la qualité de justice, celle qui ne se dessine qu’après une instruction plus aboutie.
Stéphanie TRAN
Vivaldi-Avocats