Source : Cass. Com., 24 janvier 2018, pourvoi n° 16-23.649 F-P.
L’arrêt ici commenté n’a pas eu les honneurs de la publication au Bulletin. Il comporte pourtant un rappel utile des conditions de mise en œuvre d’une action en sanction à l’encontre d’un dirigeant de fait et apporte une précision intéressante sur la faute parfois reprochée aux dirigeants poursuivis en sanction d’un manquement à la reconstitution des capitaux.
1° Sur la direction de fait.
C’est ici l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler que pour être poursuivie en sanction une personne qui n’a pas la qualité de dirigeant de droit doit tout d’abord être qualifiée de dirigeant de fait, dans des conditions maintenant bien établies. La Cour de cassation rappelle ainsi qu’il convient de relever à l’encontre du dirigeant de fait des actes positifs de gestion qui en l’espèce n’ont pas été caractérisés par les Juges du fond. Plus précisément, la Cour reproche aux Juges du fond de ne pas avoir démontré « l’accomplissement, en toute indépendance […] d’actes positifs de gestion et de direction de la société […] excédant ses fonctions de Directeur commercial ».
En l’occurrence, la Cour d’Appel, suivant en cela le Tribunal, avait caractérisé la passivité totale du dirigeant de droit et, à l’inverse, l’activité du Directeur commercial, alors qualifié de dirigeant de fait. La Cour d’Appel s’était appuyée uniquement sur une attestation du comptable de la société, qui « faisait ressortir qu’il [le Directeur commercial] assurait de fait les fonctions de dirigeant, dans la mesure où il gérait la partie commerciale de l’activité, ainsi que la recherche, le développement et la communication de l’entreprise ». Très clairement, cette caractérisation était manifestement impropre à démontrer la direction de fait, qui suppose un véritable dépassement des fonctions et une indépendance à l’égard de la Direction de droit.
A l’inverse, le simple exercice de fonctions importantes dans l’entreprise (ici un Directeur commercial aux pouvoirs relativement larges) n’est pas équivalent à la démonstration d’actes positifs de gestion.
La Cour de cassation censure donc assez logiquement l’arrêt d’appel.
2° Le défaut de recapitalisation de la débitrice n’est pas une faute de gestion.
Si le premier volet de l’arrêt est un rappel assez classique, le second est plus intéressant : la non reconstitution des fonds propres de l’entreprise ne constitue pas une faute de gestion du dirigeant.
Cette décision était pressentie, mais il manquait encore la dernière pierre à l’édifice jurisprudentiel : la Cour de cassation a depuis quelques années tracé la voie vers notre arrêt, en jugeant que seuls les associés ont le pouvoir de permettre à la société de disposer d’une capitalisation suffisante, en affirmant notamment que « l’insuffisance des apports consentis à une société lors de sa constitution, qui est imputable aux associés, ne constitue pas une faute de gestion[1] », puis en rappelant que l’absence de régularisation effective, dans le délai légal de la situation des capitaux propres, n’était imputable qu’aux actionnaires et ne pouvait donc constituer une faute de gestion[2].
Le complément est ici intéressant : « l’absence de régularisation effective dans le délai légal de la situation des capitaux propres d’une S.A.R.L. ne peut être imputée qu’aux associés et non aux dirigeants, auxquels il ne peut être reproché que leur abstention de convoquer les associés afin qu’ils se prononcent sur les conséquences de cette situation ».
Dit autrement, le dirigeant a pour seule obligation de prendre en considération la situation financière de sa société, mais n’est pas responsable de la sous-capitalisation, qui relève des associés, ou du défaut de recapitalisation par les associés, décision qui ne peut être prise qu’en Assemblée Générale. Pour autant, on pourra lui reprocher de n’avoir pas fait le nécessaire pour tenter d’obtenir les financements nécessaires, notamment dans le cadre de la convocation d’une Assemblée Générale, ou plus généralement dans la recherche de financements extérieurs.
Dernière remarque qui n’est pas prise en compte par l’arrêt, mais qui, compte tenu du dossier aurait pu se poser : quid d’une faute de gestion imputée à un dirigeant de fait, qui légalement n’a pas qualité pour convoquer une Assemblée Générale… ?
Etienne CHARBONNEL
Associé
Vivaldi-Avocats
[1] Cass. Com., 10 mars 2015, pourvoi n° 12-15.505.
[2] Cass. Com., 13 octobre 2015, pourvoi n° 14-15.755.