ISF et « cash box »

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

SOURCES :  

Loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 art. 7

Art. 885 V bis du CGI

Cons. Const. n° 2016-744 DC du 29 décembre 2016

L’article 885 V bis nouveau du CGI introduisant une subtilité venant s’ajouter au millefeuille des complications du contribuable assujetti à l’ISF, il nous a paru nécessaire d’envisager de procéder à un rappel orienté des règles de l’ISF (I), avant de rappeler les outils de gestion patrimoniaux modernes tels que la holding (II) qui nous paraissent être un préalable à l’examen de la clause contre l’abus de plafonnement instaurée par l’article 7 de la LF 2017.

I – ISF et plafonnement

Nos lecteurs savent depuis longtemps ce qu’est l’ISF qui selon le Conseil Constitutionnel[1] a été voulu comme un impôt destiné à « frapper la capacité contributive que confère la détention d’un ensemble de biens et de droit ».

Cette capacité contributive ayant une limite… celle des revenus du contribuable, le plafonnement de l’impôt (sur la base des revenus) a été instauré dès sa création par l’article 26 de la LF 1989 qui a limité le montant de l’ISF et des impôts dus en France et à l’étranger au titre des revenus et produits de l’année précédente à 70 % du total des revenus nets de frais professionnels de l’année précédente.

Ce taux a été porté à 85 % par la LF 1991. En revanche, l’article 6 de la Loi de Finance pour la LF 96 instituait un « plafonnement du plafonnement ». Celui-ci limitait la réduction de l’ISF à la moitié du montant de la cotisation que le contribuable aurait normalement dû ou, s’il est supérieur au montant de l’impôt correspondant à un patrimoine taxable, égale à la limite supérieure de la troisième tranche du barème de l’ISF.

Des aménagements ont ensuite été opérés par les LF 1999 à 2004, avant l’intervention de la LFR du 30 juillet 2011 qui a procédé à une vaste refonte de l’ISF (simplification du barème et mécanisme de décote pour lisser les effets de seuil) et supprimé les deux mécanismes de plafonnement d’une part, et « plafonnement du plafonnement », d’autre part.

Saisi de ce texte (et la référence n’est pas anodine), le Conseil Constitutionnel a jugé que respectait la prise en compte de cette faculté contributive, la modification du barème de l’ISF concomitante de la suppression du plafonnement de l’ISF, ainsi que celle du « bouclier fiscal »[2].

Les lecteurs noteront que l’ISF et surtout son plafonnement, sont rarement épargnés par une Loi de Finance ou une Loi de Finance Rectificative, avec parfois bonheur et malheur, puisque le Conseil Constitutionnel a été amené à plusieurs reprises, à déclarer certaines modifications de plafonnement contraires à la constitution[3].

Il faut désormais retenir qu’aux termes de cette évolution, le plafonnement fonctionne aujourd’hui de la manière suivante, en application du § I de l’article 885 V bis du CGI :

– pour le calcul du numérateur, les impositions prises en compte sont pour l’essentiel l’ISF, l’Impôt sur le Revenu (IR), la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et les contributions sociales ;

 

– pour le calcul du dénominateur, les revenus pris en compte sont tous les revenus français ou étrangers réalisés au cours de l’année précédente, celle de l’imposition à l’ISF après la déduction des déficits catégoriels dont l’imputation est autorisée par l’article 156 du CGI, ainsi que les revenus exonérés d’IR et les produits soumis à un prélèvement libératoire réalisé au cours de la même année en France ou hors France.

Cette division ne peut excéder 75 % si un excédent est constaté, celui-ci vient en déduction de l’ISF.

II – HOLDING PATRIMONIALE ET PLAFONNEMENT DE L’ISF

Pour maximiser l’effet de ce dispositif de plafonnement, certains redevables ont mis en œuvre un schéma consistant à interposer une société holding patrimoniale (appelée « cash box » par certains praticiens) entre eux et des sociétés distributrices de revenus. En procédant ainsi par capitalisation de leurs revenus mobiliers dans une société holding, ces contribuables minorent les revenus pris en compte dans le calcul de leur plafonnement, déclenchant ou majorant ainsi celui-ci.

Cette considération qui est issue de la réflexion de l’Administration fiscale, a tendance à placer une étiquette « abus de droit » sur toutes les holdings, ce que nous contestons, la holding étant selon nous, un outil d’administration du patrimoine personnel et professionnel performant et tout à fait moderne[4].

Mais selon l’Administration fiscale, la holding est aussi utilisée par les bénéficiaires du plafonnement de l’Impôt Sur la Fortune dans le cadre de stratégie d’optimisation fiscale abusive aux fins de détourner le dispositif de sa finalité. Ainsi :

« Certains redevables diminuent leur faculté contributive (revenus imposables) par capitalisation des Revenus de Capitaux Mobiliers (RCM) dans une société holding patrimoniale interposée (« cash box »).

 

Leur train de vie courant peut alors être assuré par l’utilisation des liquidités ou l’épargne disponible, ou encore en ayant recours à l’emprunt. En effet, à partir d’un certain niveau de patrimoine, les banques ouvrent les lignes de crédit qui sont   garanties sur les actifs imposables à l’ISF des recevables emprunteurs (principalement des contrats d’assurance vie) et qui ne sont remboursables qu’in fine.

 

Certains redevables peuvent également faire financer par la holding des dépenses se   rattachant à leur train de vie. »

L’article 7 de la LF 2017 visait donc à « lutter plus efficacement contre ces pratiques de contournement de la loi dans lequel l’interposition des sociétés holdings vise principalement à optimiser le plafonnement alors que les capacités contributives du contribuable sont accrues notamment par le recours à certains types d’endettement. »

III – LE DISPOSITIF ISSU DE LA LF 2017 / CONSEQUENCES / DIFFICULTES

            II – 1. Le dispositif

L’alinéa 2 de l’article 885 bis du CGI dispose désormais :

« Les revenus distribués à une société passible de l’impôt sur les sociétés contrôlées   par le redevable, sont réintégrés dans le calcul prévu au premier alinéa du présent I (calcul de l’ISF) si l’existence de cette société et le choix d’y recourir ont pour objet principal d’éluder tout ou partie de l’impôt de solidarité sur la fortune, en bénéficiant d’un montage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité même du premier alinéa. Seul est réintégrée la part des revenus distribués correspondant à une diminution artificielle des revenus pris en compte pour le calcul prévu audit   premier alinéa. »

Ce texte est sans nul doute inspiré de l’abus de droit dont la définition est posée à l’article L 64 du Livre des Procédures Fiscales, dont la définition est quand même sensiblement différente. Elle doit être ainsi reprise pour la discussion qui va suivre :

« Afin de restituer le véritable caractère, l’Administration est en droit d’écarter comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit parce que ces actes ont un caractère fictif, soit que recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou  d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés   ou réalisés, auraient normalement supporté eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. »

Ainsi l’abus de droit suppose soit une fictivité d’un acte, soit un motif exclusivement fiscal (« n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que »).

L’article 885 emprunte l’esprit, mais en dévoie le texte, puisque désormais d’une recherche de gains exclusivement fiscale, on passe à un « objet principal d’éluder tout ou partie de l’impôt de solidarité sur la fortune » et donc à un but essentiellement fiscal.

Et à cet égard, si la recherche d’un but exclusivement fiscal est une mesure saine de protection du contribuable, seul susceptible de qualifier l’abus de droit, la notion de but principalement fiscal va laisser béante une porte de la contestation au profit de l’Administration et d’interprétation au profit des juridictions civiles en charge des litiges sur l’ISF.

Et on sent bien à travers cette modification, une nouvelle approche cette fois-ci fructueuse de l’Administration pour transformer ce but « exclusivement fiscal » en essentiellement fiscal.

C’est pour ce motif et d’autres, à débattre, que le Conseil Constitutionnel a été saisi.

            II – 2. Le Conseil Constitutionnel

Le Conseil Constitutionnel rappelle tout d’abord que la réintégration des revenus distribués à une société n’est possible que :

si elle est contrôlée par le recevable de l’ISF ;

s’il est démontré l’existence de cette société et le choix d’y recourir caractérise « un montage dont le but principal est d’éluder tout ou partie de l’impôt de solidarité sur la fortune en bénéficiant d’un avantage fiscal (…) ».

Ces principes énumérés, le Conseil Constitutionnel écarte le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques, mais estime nécessaire compte tenu de la rédaction du texte déféré, d’assortir celui-ci d’une réserve d’interprétation afin que ne puisse être méconnu le principe d’égalité devant les charges publiques lors de l’application de ce texte. Voici in extenso la réserve posée :

« Toutefois, ces dispositions ne sauraient, sans que soit méconnu le respect des capacités contributives des contribuables, avoir pour effet d’intégrer dans le revenu du contribuable pour le calcul du plafonnement de l’impôt de solidarité sur la fortune, des sommes qui ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de la même année d’imposition. En conséquence, la réintégration dans le calcul du plafonnement des revenus distribués à la société contrôlée par le contribuable implique que l’administration démontre que les dépenses ou les revenus de ce dernier, sont au cours de l’année de référence du plafonnement et à hauteur de cette réintégration, assurés directement ou indirectement par sa société, de manière artificielle. »

Ouf… presque sauvé.

            II – 3. Comment lire le texte après la réserve de constitutionnalité ?

La première sanction tient au fait qu’un contribuable pourrait être taxé à l’ISF sans pouvoir bénéficier du plafonnement de 75 %. Et telle que la règle est écrite, rien n’interdit que cette proportion passe à 100 ou 200 % des revenus à intégrer au dénominateur.

Il appartiendra au contribuable de faire face à ce surcroît d’impôt, soit en puisant sur ses économies personnelles, et si malheureusement toutes ces économies sont dans sa « cash box », de procéder à une distribution de dividendes pour payer son ISF, ce qui entraînera par ricochet une taxation au titre des revenus de valeur mobilière et de la CSG-CRDS. Cela peut être un sujet de préoccupation pour le contribuable, et d’intérêt pour l’Administration fiscale.

Le seul rempart à opposer est la réserve de constitutionnalité, il faut tout d’abord que l’Administration démontre que les dépenses ou les revenus du contribuable sont partiellement (rappel partiel ISF) ou totalement (rappel total d’ISF) assurés directement ou indirectement par cette société.

Cela veut dire quoi ? Avis aux volontaires. On pourrait évidemment citer :

– l’utilisation du compte courant pour la prise en charge des dépenses personnelles, mais dans ce cas, comptablement il s’agit d’une créance de l’associé sur la société et donc il ne s’agit pas de l’utilisation des moyens de la société permettant la prise en charge de certaines dépenses ;

 

– de la mise à disposition de moyens matériels tels qu’un logement, un véhicule, un téléphone de fonction, mais théoriquement, la mise à disposition de ces biens constitue des avantages en nature à intégrer dans la déclaration de revenus, et donc sont à intégrer au numérateur du calcul ISF.

En résumé, on se demande si cette réserve de constitutionnalité n’aurait pas, d’une manière opérationnelle, pour effet de neutraliser la règle.

En effet, soit le contribuable bénéfice d’avantages fiscalisés et dans ce cas, c’est bien là le montant taxable qui rentre au numérateur, soit le contribuable fraude, et dans ce cas, les charges fictives sont déjà considérées par l’Administration et la jurisprudence, comme des revenus occultes qui, de toute façon, entraient déjà dans la base taxable de l’ISF.

Affaire à suivre donc.

Eric DELFLY

VIVALDI-Avocats


[1] Décision n° 2010-99 QPC du 11/02/2011

[2] Décision n° 2011-638 DC du 28/07/2011

[3] Voir notamment décision n° 2012-654 DC du 09/08/2012 (LF 2013) ou décision n° 2013-685 DC du 29/12/2013 (LF 2014)

[4] Voir en ce sens Holding animatrice bateau ivre de la fiscalité Chronos 13 décembre 2016 ; La holding patrimoniale et actionnariat en huit points VIVALDI-Chronos 17/012/2014 

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