SOURCE : Cass. com. 9 juillet 2013, n° 11-27.235, FS-P+B
I –
Revenons à notre litige entre nos 2 associés majoritaires et minoritaires, qui a fait l’objet d’un précédent commentaire[1]. Très succinctement, rappelons que le minoritaire reprochant au majoritaire de détourner les biens de la société dans laquelle ils étaient associés, le majoritaire avait imaginé sans succès, mettre en place diverses procédures pour parvenir à l’exclusion de son associé, trop encombrant.
C’est ainsi que contestant devant les juridictions consulaires la légalité de son exclusion prononcée par l’assemblée sur le seul vote de son associé majoritaire, celui-ci expliquant que l’exclusion dont il était victime, était une réponse au moyen qu’il développait selon lequel le majoritaire abusait des biens et des crédits de la société, avait sollicité et obtenu, tant en première instance, qu’en appel, la désignation d’un expert, avec mission d’examiner la légitimité des différents détournements portés au passif du majoritaire.
Le Tribunal de Commerce va confirmer l’exclusion de l’associé minoritaire, mais en revanche, au visa de l’article 145, ordonner une mesure d’expertise, en reprenant à l’identique le projet de mission proposé par le minoritaire. En cause d’appel, la Cour d’Appel de DOUAI réformait la décision en ce qu’elle avait légitimé l’exclusion et au contraire, annulait l’assemblée générale qui avait prononcé l’exclusion du minoritaire, mais corrélativement, confirmait la décision de la juridiction consulaire sur la mesure d’expertise qui avait été ordonnée.
Mécontent, le majoritaire saisissait la Cour de Cassation, laquelle dans sa décision précédemment commentée, confirmait l’arrêt de la Cour d’Appel de DOUAI dans sa partie qui censurait tant le jugement du Tribunal de Commerce frappé d’appel, que la décision votant l’exclusion de l’associé minoritaire.
En revanche, la Cour cassait l’arrêt de la Cour d’Appel sur la partie qui confirmait la nomination d’un expert au visa de l’article 145 du Code de Procédure Civile.
Sur ce point, l’enseignement qu’elle fournit est aussi intéressant que la première partie de cette décision.
II –
Tout d’abord, l’arrêt rappelle les conditions dans lesquelles l’associé minoritaire avait formé sa demande :
« Attendu que pour confirmer le jugement en ce qu’il ordonne une mesure d’expertise sur le fondement de l’article 145 du Code de Procédure Civile, l’arrêt relève que M. B… fait valoir qu’il entend se ménager des éléments de preuve susceptibles de lui être utiles dans l’optique d’une action en responsabilité contre le dirigeant de la société L… ; qu’il retient qu’il s’agit là d’un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. »
Et la Cour de censurer la Cour d’Appel de DOUAI au motif ci-après repris :
« Attendu qu’en statuant ainsi, alors que les mesures d’instruction ne peuvent être ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile que sur requête ou en référé, avant tout procès, la cour d’appel, qui n’a pas statué en qualité de juge des requêtes ou des référés, a excédé ses pouvoirs et violé le texte susvisé. »
Nous savons désormais que l’expertise in futurum ne peut pas être demandée devant les juridictions du fond, même si comme en l’espèce, cette demande s’inscrit en connexité avec un litige plus global entre associés.
Cette décision était-elle évidente ? Une réponse négative s’impose. En effet, le minoritaire, sur la base du principe selon lequel qui peut le plus peut le moins, avait légitimement sur la base de la connexité des moyens développés par les associés, saisi la juridiction du fond en considérant que finalement ce que le Juge des référés peut ordonner, la juridiction saisie au fond, peut également le faire.
En statuant de manière contraire, la Cour de Cassation affirme de façon nette l’autonomie des pouvoirs du Juge des référés par rapport à la juridiction du fond. Ainsi, doit-on désormais admettre que le Juge des référés dispose de pouvoirs que n’a pas la juridiction du fond.
Est-ce un drame pour notre associé minoritaire ? Un contretemps sûrement, mais il lui appartient désormais, suivant les enseignements de la Cour de Cassation, de saisir les juridictions des référés de la même demande, pour parvenir à la fin de son expertise.
Eric DELFLY
Associé
Vivaldi Avocats