Source : CA Paris, 9 octobre 2018, RG n° 17-19171
I – Même en présence d’une mésentente entre associés…
Paul est associé au sein d’une société civile de capital-investissement dont l’objet social est la distribution de « carried interest ». Eric est associé gérant de cette société présentant au total 19 associés.
Les deux associés entrent en conflit suite à des divergences quant à l’établissement du règlement intérieur de leur société et notamment en ce qui concerne les règles de répartition des dividendes de la société par le gérant et considérées par Paul comme « déloyal ».
Afin de connaître la manière dont ont été calculés ses droits, l’associé non-gérant a :
1) sollicité la communication de l’ensemble des informations relatives aux comptes de la société et notamment celles relatives aux règles de calcul de l’assiette du résultat qui conditionnent ses droits à dividende ;
2) sans réponse du gérant, lors de l’AG, sollicité la communication d’un certain nombre de documents, ce qui ne lui a pas été accordé ;
3) alors saisi le Président du Tribunal de grande instance de Paris sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile (CPC) pour obtenir la saisie d’un certain nombre de documents sociaux.
Suivant ordonnance sur requête, la juridiction saisie a ordonné la désignation d’un huissier, accompagné de tout sachant ou technicien informatique, aux fins de se rendre au siège social de la société défenderesse, d’accéder notamment à ses dossiers papiers et numériques et de se faire remettre divers éléments de nature comptable pour in fine de comprendre la répartition des dividendes (ce qui constituait l’objet des demandes de Paul).
Le gérant et les 17 associés intervenus volontairement à la procédure ont assigné Paul en référé aux fins de rétractation de l’ordonnance précitée. En vain, puisque le juge des référés a considéré que Paul justifiait d’un motif légitime au sens de l’article 145 du CPC à obtenir les documents qu’il a sollicités, que la mesure d’instruction est légalement admissible et qu’elle ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits des intéressés
Les demandeurs en rétractation et intervenants volontaires interjettent appel de cette seconde décision et d’annuler ainsi la saisie des documents. La suite démontra que s’ils « avaient perdu une bataille, ils n’avaient pas perdu la guerre » …
II – … le mécanisme de consultation avant toute chose
La Cour d’appel de Paris accède à leur demande et rappelle au passage le « mécanisme de consultation » prévue par la loi qui doit être suivi par tout associé désireux d’exercer son droit à information et copie prévu par l’article 1855 du Code civil et l’article 48 du Décret du 3 juillet 1978 :
1) Dès lors que les documents sociaux sont susceptibles de se trouver au siège social de la société, l’associé en question doit d’abord tenter de les consulter ou demander à y avoir accès audit siège.
2) En cas de refus d’accès aux documents sollicités ou en l’absence de certaines pièces, l’associé doit en solliciter officiellement la production au gérant, le cas échéant, en le mettant en demeure d’y procéder et en lui indiquant qu’à défaut, il saisira le juge d’une requête tendant à la saisie desdits documents.
3) En l’absence de réponse ou en cas de refus du gérant, l’associé éconduit pourra enfin intenter une action en justice pour obtenir les documents sociaux. Et la Cour d’appel de préciser « c’est à tort que la saisie des documents réalisée à la demande de [Paul], dont le motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile n’est pas établi, dès lors qu’elle n’a pas été précédée de ladite consultation, a été ordonnée » (gras ajouté).
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Conclusion : même en cas de mésentente y compris en cas de rupture de tout dialogue entre associés, l’associé désireux d’obtenir communication de tout ou partie des documents sociaux aura tout intérêt à suivre scrupuleusement les étapes précitées avant d’emprunter la voie du (pré)contentieux judiciaire.
Victoria GODEFROOD-BERRA
Vivaldi-Avocats