Droit social européen : sort des congés payés non pris en cas de décès du salarié, quels droits pour les héritiers ?

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

 

SOURCE : Arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 06 novembre 2018, affaire C-569/16 (affaires jointes C-569/16 et C-570/16).

 

Il a été posé à la Cour de Justice de l’Union Européenne deux questions préjudicielles portant sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement Européen et du Conseil du 04 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, ainsi que sur l’interprétation de l’article 31 paragraphe 2 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne.

 

Ces demandes ont été présentées en Allemagne dans le cadre de deux litiges opposant les veuves d’un travailleur salarié au sujet du refus opposé par les employeurs de leurs conjoints de verser à ces dernières une indemnité financière au titre des congés annuels non pris par leur conjoint avant leur décès.

 

Les veuves ont, chacune pour ce qui la concerne, saisi le Tribunal du Travail compétent d’une demande visant à obtenir le paiement desdites indemnités.

 

Ces demandes ont été accueillies et les employeurs ont interjeté appel devant le Tribunal Supérieur du Travail, lequel a rejeté leurs demandes, de sorte qu’ils ont alors saisi la Cour Fédérale du Travail de recours en révision contre ces décisions.

 

La Cour Fédérale du Travail a décidé de surseoir à statuer et d’adresser à la Cour de Justice de l’Union Européenne une question préjudicielle principale par laquelle elle demande si l’article 7 de la directive 2003/88/CE ou l’article 31 paragraphe 2 de la Charte accorde à l’héritier d’un travailleur décédé, alors qu’il était en activité, le bénéfice d’une compensation financière pour le congé annuel minimal auquel il avait droit avant son décès.

 

La question préjudicielle secondaire interrogeait la Cour quant au fait de savoir si la question appelait une réponse affirmative, valait dans le cas de la relation de travail liant deux particuliers.

 

Examinant les cas soumis à son appréciation, la Cour de Justice de l’Union Européenne, relevant que l’article 7 paragraphe 2 de la directive 2003/88/CE instaurant une période minimale de congés annuels payés ne pouvant être remplacés par une indemnité financière, sauf en cas de fin de la relation de travail, vise à assurer que le travailleur puisse bénéficier d’un repos effectif dans un souci de protection efficace de sa santé et de sa sécurité.

 

Elle relève que cette disposition ne pose aucune condition particulière à l’ouverture du droit à une indemnité financière autre que celle tenant au fait, d’une part, que la relation de travail a pris fin, et d’autre part que le travailleur n’a pas pris tous les congés payés annuels auxquels il avait droit à la date où cette relation a pris fin.

 

Elle en conclut que le motif pour lequel la relation de travail a pris fin n’est pas pertinent pour le droit à une indemnité financière prévue à l’article 7 paragraphe 2 de la directive 2003/88/CE, de sorte que si le décès du travailleur a pour conséquence inévitable de priver celui-ci de toute possibilité effective de jouir du temps de repos et de détente s’attachant au droit à congés payés annuels auxquels il avait droit à la date de ce décès, il ne saurait être admis qu’une telle circonstance entraîne rétroactivement la perte totale du droit ainsi acquis qui comporte également le droit à l’obtention d’un paiement.

 

La Cour en conclut donc que le bénéfice d’une compensation pécuniaire dans le cas où la relation de travail a pris fin par l’effet du décès du travailleur s’avère indispensable pour assurer l’effet utile du droit aux congés annuels payés accordé aux travailleurs, ce droit étant de nature strictement patrimoniale, donc destiné à entrer dans le patrimoine de l’intéressé, de telle sorte que le décès de ce dernier ne saurait priver rétroactivement ledit patrimoine du droit à cette indemnité qui est une composante patrimoniale de la succession.

 

En conclusion, la Cour de Justice décide que l’article 7 de la directive 2003/88/CE et l’article 31 paragraphe 2 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui s’opposerait à ce que, lorsque la relation de travail prend fin en raison du décès du travailleur, le droit des congés payés annuels acquis en vertu desdites dispositions et non pris par ce travailleur avant son décès, s’éteindrait sans pouvoir donner naissance à un droit à une indemnité financière au titre desdits congés payés qui soit transmissible aux ayants droits dudit travailleur par la voie successorale.

 

Christine MARTIN

Associée

Vivaldi-Avocats

 

 

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