Donation / Cession et abus de droit – Fiscal / Montages abusifs

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

 

SOURCE : CE ch réunies (9-10e) 10 février 2017, n°387960 publié au Bulletin

 

I –

 

A l’origine du litige, une donation faite par un père à ses trois enfants, de titres de société dont il conserve l’usufruit… pendant deux jours, aux termes duquel nue-propriété et usufruit sont cédés à un tiers.

 

L’Administration estime que la concomitance temporelle de ces deux opérations caractérise l’abus de droit, et exige le paiement de la plus-value en faisant abstraction de la donation.

 

Sur ce point, elle a quelques arguments à faire valoir dans sa besace, et notamment :

 

– le trop bref délai entre la donation/cession qui, selon elle, caractériserait l’absence véritable d’intention libérale du donateur ;

 

– l’absence de respect des clauses particulières de la donation, parmi lesquelles figure l’interdiction d’aliéner les droits donnés du vivant du donateur, une charge prévoyant en cas de vente concomitante des droits démembrés, le remploi d’une partie du prix de vente dans l’acquisition d’autres titres, eux-mêmes démembrés et l’attribution du surplus à l’usufruitier dans le cadre d’une convention de quasi-usufruit, le donateur étant dispensé de fournir une sûreté pour garantir la créance de restitution découlant de ce quasi-usufruit.

 

Dans ce débat, l’Administration ne partait pas sans précédant puisque le Conseil d’Etat avait jugé[1] que la conclusion d’une convention de quasi-usufruit postérieurement à la cession des titres et au mépris de la clause de remploi figurant dans l’acte de donation initial, avait permis au donateur d’appréhender le prix de cession, ce qui démontrait un abus de droit.

 

II –

 

La Cour d’Appel de LYON[2] n’est pas de cet avis et réforme la décision rendue par les Premiers Juges au motif essentiel que ni le délai très court qui s’est écoulé entre l’acte de donation et la cession des titres, ni les restrictions apportées à l’exercice du droit de propriété des donataires résultant notamment de l’interdiction d’aliéner ou de nantir des titres donnés pendant la vie du donataire, ni le remploi d’une partie du prix de vente des titres en l’acquisition d’autres titres au sein d’une Société Civile de gestion patrimoniale réservant au donateur des pouvoirs étendus de décision, ne sont de nature à établir le caractère fictif de la donation.

 

Saisi de la difficulté, le Conseil d’Etat annule l’arrêt pour insuffisance de motivation, mais s’empare de l’affaire au fond, pour donner une solution de droit qui désormais s’imposera à ce type de situation.

 

Ainsi, pour la Haute Cour, le contribuable disposant d’un quasi-usufruit sur les sommes issues de la cession de titres d’une société reste redevable à l’égard des donataires d’une créance de restitution d’un montant équivalent. De sorte que le contribuable doit être regardé comme s’étant effectivement et irrévocablement dessaisi des biens ayant fait l’objet de la donation, sans qu’il soit nécessaire d’exiger que ce quasi-usufruit soit garanti par la caution bancaire prévue à l’article 601 du Code Civil.

 

Le Conseil d’Etat ajoute que « ni le délai très bref qui s’est écoulé entre l’acte de donation partage, et la cession des parts détenues par le contribuable et ses enfants, ni la restriction apportée à l’exercice du droit de propriété des donataires résultant notamment de l’interdiction d’aliéner ou de nantir les titres donnés pendant l’avis du contribuable donateur gérant, des pouvoirs étendus de décision, notamment pour la distribution des bénéfices, ne peuvent à eux seuls suffire à faire regarder la donation intervenue comme purement fictive, dès lors que d’une part, la circonstance qu’un acte de disposition soit civil, n’altère pas l’obligation de restitution en fin d’usufruit en vertu de l’article 578 du Code Civil, et n’est pas de nature par lui-même à remettre en cause le constat de dépouillement immédiat et irrévocable dès la signature de l’acte de donation (…). »

 

Et le Conseil d’Etat de juger « Par suite, l’Administration qui n’établit pas le caractère fictif de l’acte de donation ne pouvait l’écarter sur le fondement de l’article L 64 du Livre des Procédures fiscales. »

 

En définitive, ce qui sépare la décision de 2015, de celle ici commentée, est le bon ou le mauvais usage de cette technique qui, in fine, ne peut caractériser un abus de droit, dès lors que le quasi-usufruit est bien prévu dans l’acte de donation initial et que les parties à la donation en respectent toutes les clauses, l’opération n’ayant dès lors aucune raison d’être remise en cause.

 

Eric DELFLY

VIVALDI-Avocats


[1] CE 14/12/2015, n° 37.440

[2] CAA LYON 16/12/2014, n° 13Y02119

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