Difficultés des entreprises :Ouverture d’une conciliation : faut-il informer le Conseil d’Administration ?

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

Le livre IV du Code de Commerce instaure un traitement en amont des difficultés des entreprises, grâce à l’ouverture d’une procédure de mandat ad’ hoc ou de conciliation, dont la confidentialité est la nécessaire contrepartie du succès. Mais cette confidentialité doit-elle, également, être opposable au Conseil d’Administration des sociétés anonymes ?

Source :Avis du Comité Juridique de l’ANSA en date du 04 janvier 2023 n° 23-001

I – LE MANDAT AD’ HOC ET LA CONCILIATION

Le livre VI du Code de Commerce codifie les différentes lois de sauvegarde des entreprises qui éprouvent une difficulté économique, juridique ou financière, sans être en état de cessation des paiements, de les traiter en amont à titre préventif, en dehors de toute procédure collective.

Deux procédures préventives sont ainsi à leur disposition, le mandat ad’ hoc[1] et la conciliation[2].

Les deux procédures ont comme tronc commun une première approche des difficultés avec un professionnel .Il s’agira, en général, d’un Administrateur Judiciaire avec lequel est signée une convention de mandat ad’ hoc ou de conciliation, laquelle est jointe à une requête déposée au Greffe du Tribunal de Commerce du lieu du siège social de la société en difficulté, qui autorise l’ouverture de la procédure demandée, en y associant bien entendu, en association à la procédure, les principaux créanciers de la société avec lesquels elle souhaite négocier.

Il peut s’agir indifféremment de créanciers publics (Administrations sociales et fiscales) ou privés, principalement des établissements bancaires et de crédit, mais il peut s’agir également de fournisseurs importants, d’investisseurs actionnaires dans la société, etc.

Le retour d’expérience démontre toutefois qu’il est très difficile de négocier avec les créanciers fiscaux et sociaux au sein des procédures de prévention des difficultés d’une entreprise et qu’il est préférable de saisir parallèlement la Commission Départementale des Chefs des Services Financiers (CCSF)[3].

On relèvera, qu’en fonction de la taille des entreprises,  la procédure de conciliation / CCSF peut être couplée à saisine du Comité Interministériel de Restructuration Industrielle (CIRI)[4].

L’objectif de ces procédures est de centraliser et de limiter les négociations des principaux créanciers avec la société et d’obtenir un accord permettant de geler / moratorier / éteindre partiellement, la dette sous diverses conditions à négocier. Ce peut être un renforcement des fonds propres de la société par une augmentation de capital convenue avec les actionnaires, l’entrée au capital d’une société de retournement, la cession de branches d’activité destinée à mettre en place du cash out, la restructuration de l’organigramme du groupe, etc.

Particularité pour la conciliation : l’accord entre la société et ses principaux créanciers peut être homologué par le Tribunal. Le Jugement à intervenir ne reprend pas les termes de l’accord, il mentionne simplement la garantie et le privilège constitués pour en assurer la bonne exécution, étant ajouté que cette homologation doit être portée à la connaissance du Comité d’Entreprise ou à défaut les délégués du personnel (ce qui n’est pas nécessairement le cas, si l’accord n’est pas homologué).

L’intérêt de cette procédure est, bien entendu, le secret attaché à ces négociations. Il s’agit de ne pas inquiéter, plus en amont, les salariés dont la motivation pourrait être ébranlée avec un risque de perte de productivité et de départ ; la confiance des fournisseurs qui pourrait conduire à réduire les délais de paiement, voire à refuser de livrer sans un paiement d’avance et enfin la confiance des clients, lesquels craignant pour la pérennité de l’entreprise, se tourneraient vers la concurrence.

Or, chacun le sait, plus un secret est partagé, moins … il est secret, d’où la question que se pose tous les chefs d’entreprise : jusqu’où doit aller ce partage du secret ?

II – LA NOTION DE SECRET PARTAGE

L’article L.611-15 du Code de Commerce dispose que « Toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité ». La Cour de cassation, interprétant le texte, a récemment affirmé que la confidentialité s’appliquait non seulement aux tiers, mais également aux parties à la procédure de conciliation[5]. A lire le texte, tel qu’interprété par la Cour de Cassation, il s’agit d’une procédure à huis clos, qui en interdit son évocation, même dans le cadre d’un débat judiciaire qui opposerait les parties présentes à une procédure de mandat ad’ hoc ou de conciliation.

En théorie, le raisonnement est tout à fait défendable ; en pratique, il n’est pas sans poser de difficulté. Ainsi, comment réagir à une contestation judiciaire d’une augmentation de capital par un associé minoritaire qui refuse sa dilution, sans évoquer l’accord de conciliation ou de mandat ad’ hoc qui conditionne précisément l’effort des créanciers à cette augmentation de capital ?

Certes, la société pourra toujours évoquer les difficultés financières, mais sera dans l’incapacité d’expliquer que grâce à l’augmentation de capital, elle pourra bénéficier d’un abandon partiel de créances, ou de délais de paiement, puisque, par définition, cet accord est secret.

Dans la même veine des limites du partage du secret, l’Association Nationale des Sociétés par Action (ci-après : « l’ANSA ») s’est interrogée sur la nécessité, pour le directeur général qui a la main sur la procédure, d’en informer le Conseil d’Administration.

Il s’agit, bien entendu, que d’une simple information, puisque le directeur général, en sa qualité de mandataire social est seul, au visa de l’article L.611-5 du Code de Commerce, habile à pouvoir  saisir sous sa responsabilité le Président du Tribunal de Commerce d’une demande d’ouverture d’une procédure de mandat ad’ hoc ou de conciliation. C’est en effet, principalement, sur ses épaules que pèse la responsabilité civile et pénale liée au défaut de respect des règles s’imposant dans le traitement des entreprises en difficulté, au point que celui-ci ne pourrait s’exonérer de cette responsabilité en soutenant avoir saisi en vain son Conseil d’Administration d’une demande d’autorisation d’ouvrir une procédure collective et donc, par extension, de mettre en place une procédure de traitement préventif des difficultés de l’entreprise ou que l’entreprise pourrait subir.

Et, sur ce point, la lecture du Code de Commerce n’est pas d’un grand secours puisque l’article L.225-35 relatif à l’information des administrateurs, fixe un principe général du droit selon lequel « le président ou le directeur général de la société est tenu de communiquer à chaque administrateur, tous les documents et informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission ». Et force est de constater qu’il est difficile pour un Conseil d’Administration de se prononcer notamment sur les comptes sociaux, sans avoir une connaissance des procédures destinées à l’aménagement des dettes, c’est-à-dire du bas de bilan, qui peut même impacter le haut de bilan, lorsqu’il s’agira d’évoquer l’entrée d’investisseurs ou une augmentation de capital.

La particularité dans les SA est la possibilité de dissocier la direction générale du Conseil d’Administration. Ainsi, le directeur général peut-il être, par ailleurs, président du Conseil d’Administration : on parle de président directeur général (PDG), mais ce président peut ne pas être directeur général et, auquel cas, on se trouve face à un véritable bicéphalisme avec une direction générale d’un côté et un Conseil d’Administration présidé par un président actionnaire non exécutif de l’autre.

Dans cette seconde hypothèse, il faut prendre en considération le risque qu’aucun des actionnaires ne soit informé de l’ouverture d’une procédure de mandat ad’ hoc / conciliation, de sorte qu’en cas de dissociation de ses fonctions de président du Conseil d’Administration et de directeur général, le Comité Juridique de l’ANSA est unanime pour considérer que le directeur général doit informer le président qu’une procédure de conciliation a été demandée, même si le Comité estime que l’ouverture de la procédure de conciliation, en tant que telle, ne devrait pas être le déclencheur de cette information, mais plutôt les difficultés juridiques, économiques ou financières qui en sont la raison[6].

Le raisonnement se complique, voire se contrarie, lorsqu’il existe un CSE présent au Conseil d’Administration. En effet, l’article L.611-6 alinéa 3 du Code de Commerce, précise que le débiteur n’est pas tenu d’informer le CSE de l’ouverture d’une procédure de conciliation. Or, le Code du Travail prévoit que les membres du CSE assistent à toutes les réunions du Conseil d’Administration[7].

Ainsi, la solution proposée par l’ANSA consisterait à ne pas réunir le Conseil d’Administration pour l’informer mais, à l’inverse, l’informer sans le réunir.

Il s’agit, bien entendu, d’un avis dont la qualité peut être saluée et qui peut servir de soutien à une argumentation juridique en cas d’engagement de la responsabilité du directeur général.


[1] Articles L.611-3 et R.611-18 à R.611-20 du Code de Commerce

[2] ArticleS l.611-4 0 l.611-15 et R.611-22 à R.611-46 du Code de Commerce

[3] En cas de difficulté à régler une échéance fiscale ou sociale, le CCSF, dont le secrétariat permanent est assuré par les Directions Départementales des Finances Publiques (DDFIP), peut être saisi par les entreprises qui souhaitent bénéficier de ce dispositif, sous réserves d’être à jour de leurs obligations déclaratives et de paiement de la part salariale des cotisations sociales. La Commission examine alors en lien avec chaque comptable ou organisme chargé du recouvrement des créances publiques, l’établissement d’un plan de règlement échelonné des dettes fiscales et sociales (part patronale du débiteur) puis elle en arrête les conditions.

[4] Le CIRI relève, dont le secrétariat général est assuré par la Direction Générale du Trésor, concerne les entreprises de plus de 400 salariés et peut aider les entreprises en difficulté à trouver des solutions pour assurer leur pérennité et leur développement et notamment, par la mise en œuvre d’audit et de prêt FDES.

[5] Cf Cass. Com. 05 octobre 2022 n° 21-13.108 F – B

[6] La saisine du Conseil d’Administration doit être faite au visa de l’article L.225-36-1 du Code de Commerce selon lequel le directeur général peut demander au président de convoquer le Conseil sur un ordre du jour déterminé, dans ce cas, le président est tenu par cette demande. Cet avis se défend tout naturellement par la citation de l’article L.225-37 du Code de Commerce selon lequel les administrateurs, ainsi que toute personne appelée à assister aux réunions du Conseil d’Administration, sont tenus à la discrétion à l’égard des informations présentant un caractère confidentiel et données comme telles par le président du Conseil d’Administration.

[7] Articles L.2313-72 et L.2312-75

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