Source : Cass. civ. 1ère, 17 juin 2015, n° 14-14.326, F-P+B
L’année lombarde : quèsaco ? Historiquement, le terme « année lombarde » nous vient du Moyen-âge. Concrètement, il s’agissait pour les banquiers de Lombardie de calculer les intérêts d’un prêt sur 360 jours, au lieu de 365 ou 366 jours. Le calcul en était simplifié, puisque cela permettait de considérer qu’un mois ne comptait que 30 jours (360/12), au lieu de 30,4167 (365/12). Ce mode de calcul était si pratique qu’il a été utilisé par tous les établissements de crédit, jusque récemment.
Prenons un exemple : un emprunt de 300.000 €, au taux de 4% l’an. Les intérêts journaliers seront de 32,83 € si l’on prend l’année civile classique, mais de 33,33 € si l’on prend l’année lombarde.
Ainsi, la pratique de l’année lombarde distord le calcul du taux d’intérêt conventionnel, et par répercussion le Taux Effectif Global (TEG).
La Cour de cassation a condamné cette pratique pour les prêts consentis aux non-professionnels, condamnation réaffirmée à plusieurs reprises et notamment en 2006 :
« Le taux annuel de l’intérêt ne doit pas être déterminé selon l’usage bancaire relatif à l’année de 360 jours mais par référence à l’année civile, laquelle comporte 365 ou 366 jours. »[1]
La sanction à ce principe n’est pas légale, mais prétorienne :
« La sanction du TEG erroné est la substitution du taux d’intérêt légal au taux conventionnel et la restitution par la banque des sommes trop versées en remboursement du prêt en principal et intérêts à l’exclusion des frais et accessoires liés au prêt. »[2]
Et ce « […] à compter de la date de conclusion du contrat. »[3]
En 2015, la Cour de cassation va plus loin dans la sanction. Le vice formel consistant à calculer le TEG sur 360 jours, au lieu de 365 ou 366 jours, suffit à lui seul pour prononcer automatiquement la déchéance des intérêts :
« Vu l’article 1907 du code civil, ensemble les articles L. 313-1 et R. 313-1 du code de la consommation ;
Attendu que, pour rejeter la contestation fondée sur le calcul du taux conventionnel de crédit par référence à l’année bancaire de trois cent soixante jours, l’arrêt retient, d’une part, que si le taux effectif global doit être calculé sur une année civile, rien n’interdit aux parties de prévoir un taux conventionnel calculé sur une autre base, d’autre part, que le taux de la mensualité correspond bien au taux effectif global indiqué ;
Qu’en statuant ainsi, alors que le taux conventionnel doit, comme le taux effectif global, être calculé sur la base de l’année civile dans tout acte de prêt consenti à un consommateur ou à un non-professionnel, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; » [4] .
Cet arrêt semble vouloir automatiser la sanction du TEG calculé sur l’année lombarde. Il ne serait plus besoin de démontrer que l’erreur de calcul entraîne un écart de plus de 0,1 point en défaveur de l’emprunteur, principe pourtant réaffirmé récemment[5].
Pour les prêts consentis à un consommateur ou un non-professionnel, le vice formel vient donc se substituer au vice de calcul.
Cette jurisprudence ne pourra pas s’appliquer aux prêts entre professionnels, pour qui il est loisible de stipuler un taux d’intérêt conventionnel calculé sur 360 jours[6].
Qui plus est, le régime de la prescription de l’action en nullité de la stipulation d’intérêts diffère :
– Pour un non-professionnel : le point de départ du délai de prescription quinquennal est le jour où il a connu ou aurait dû connaître le vice affectant le TEG, la règle générale précisant que la date de la découverte est celle de la première réclamation ;
– Pour un professionnel : le point de départ du délai de prescription quinquennal est toujours le jour de signature du contrat de prêt ;
Quant à l’exception de nullité, elle n’est pas perpétuelle, mais enfermée dans le délai quinquennal de l’action en exécution du contrat[7].
En pratique, cet arrêt pourrait avoir son importance pour les prêts consentis aux non-professionnels, car nombreux sont les dossiers dont le vice de calcul est inférieur à une décimale.
Thomas LAILLER
Vivaldi-Avocats
[1]Cass. com., 17 janv. 2006, n° 04-11.100, FS-P+B+I+R
[2]Cass. com., 30 sept.2008, n° 07-13.457, F-D
[3]Cass. civ. 2ème, 26 oct. 2004, n° 02-17.781, inédit
[4]Cass. civ. 1ère, 17 juin 2015, n° 14-14.326, F-P+B
[5]Cass. civ. 1ère, 9 avril 2015, n° 14-14.216, inédit
[6]Cass. com., 24 mars 2009, n° 08-12.530, B
[7]Cass. com., 10 juin 2008, n° 06-18.906, FS-P+B+R+I