Crédit-bail repris dans un plan de cession : faut-il publier de nouveau le contrat pour le rendre opposable aux tiers ?

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

 

Source : Cass. com., 18 janvier 2017, n°15-14.916, F-D 

 

I – Les faits

 

Un contrat de location financière portant sur quatre tracteurs av été consenti à un locataire placé ultérieurement en liquidation judiciaire. Ce contrat n’étant pas un contrat de crédit-bail, mais un contrat de location sans option d’achat, il n’est donc pas soumis à la publicité obligatoire prévue par l’article L.313-10 du Code monétaire et financier. Ce contrat de location financière a été judiciairement cédé au repreneur. Postérieurement à cette reprise, un nouveau contrat, de crédit-bail cette fois, portant sur les mêmes biens, est conclu avec le repreneur. Ce contrat soumis à une publicité obligatoire n’a cependant pas été publié au jour où le repreneur a, à son tour, fait l’objet d’une procédure collective.

 

Le crédit-bailleur a alors soutenu, dans la droite ligne de la jurisprudence de la Chambre commerciale[1], que le défaut de publication du contrat de crédit-bail est pallié par l’effet d’opposabilité erga omnes de son droit de propriété en raison de la publication du jugement arrêtant le plan de cession, qui contient en annexe la liste des contrats repris et le nom du propriétaire, et qu’une telle publication a permis aux créanciers du repreneur d’avoir connaissance de l’existence de son droit de propriété sur les véhicules litigieux. Cette argumentation a convaincu les juges du fond, mais pas la Cour de cassation.

 

II – L’arrêt de cassation

 

La Cour de cassation a infirmé cette décision, considérant que l’absence d’accomplissement des formalités de publication des contrats de crédit-bail postérieurement au jugement de cession desdits contrats ne permettait pas au crédit bailleur d’opposer son droit de propriété aux créanciers de la procédure, sauf à établir que les intéressés avaient eu connaissance de l’existence de ces droits, étant précisé que la mention de la cession desdits contrats dans le jugement de cession ne permettait pas de rendre opposable aux créanciers du repreneur le droit de propriété de ce dernier.

 

Dès lors, il appartient au crédit bailleur dont les contrats sont cédés dans le cadre d’une procédure collective de procéder sans délai aux formalités de publication prévues à l’article L.313-10 du Code monétaire et financier, sous peine de rendre inopposable son droit de propriété à l’égard de la procédure collective.

 

III – Existe-t-il une porte de secours pour le crédit-bailleur ?

 

Oui, en principe…

 

Le contrat de crédit-bail doit faire l’objet d’une publicité obligatoire en application de l’article L.313-10 du Code monétaire et financier. Cette publicité, qui doit répondre aux exigences de l’article R.313-3 du même code, doit permettre l’identification des parties et des biens objets de l’opération de crédit-bail. En l’absence de publicité régulièrement effectuée dans les conditions fixées aux articles R.313-4 à R.313-6, l’entreprise de crédit-bail est sévèrement sanctionnée. Elle ne peut alors « opposer aux créanciers ou ayants cause à titre onéreux de son client, ses droits sur les biens dont elle a conservé la propriété ».

 

Autrement dit, si le bien objet d’un contrat de crédit-bail non publié est cédé, l’acquéreur ne pourra pas être inquiété par une action en revendication émanant du crédit-bailleur. De même, si le crédit-preneur fait l’objet d’une procédure collective, le droit de propriété du crédit-bailleur sera inopposable à la procédure collective. En effet, puisque son contrat n’aura pas été publié, il ne bénéficiera pas de la dispense de revendication posée par l’article L.624-10 du Code de commerce. En outre, une demande en revendication en application de l’article L. 624-9 du Code de commerce, serait nécessairement vouée à l’échec.

 

Que reste-t-il pour le crédit-bailleur ? L’article R.313-10 du Code monétaire et financier. Il permet au crédit-bailleur de mettre en échec cette inopposabilité en établissant que les créanciers ou ayants cause à titre onéreux de son client “avaient eu connaissance de l’existence de ces droits“. Cette preuve de la connaissance par les tiers de l’existence des droits du crédit bailleur est particulièrement difficile à rapporter, surtout lorsque le crédit-preneur fait l’objet d’une procédure collective.

 

…Mais la réalité est tout autre.

 

Le crédit-bailleur dont le contrat n’était pas publié au jour du jugement d’ouverture devra démontrer que chacun des créanciers du débiteur sous procédure collective connaissait, à l’ouverture de la procédure, le droit de propriété du crédit-bailleur. Autant dire qu’il s’agit là d’une preuve quasiment impossible à rapporter, et ce d’autant que la jurisprudence est particulièrement sévère pour le crédit-bailleur. Ainsi, par exemple :

 

– Le fait que la carte grise du véhicule crédit-baillé ait été établie au nom du crédit-bailleur ne permet pas de rapporter la preuve de la connaissance par les tiers du droit de propriété du crédit-bailleur[2] ;

 

– La continuation du contrat par l’administrateur judiciaire, ou la déclaration de créance du crédit-bailleur au passif ne rapporte pas d’avantage cette preuve[3].

 

A l’inverse, lorsque le contrat de crédit-bail a été judiciairement cédé, mais qu’aucune publicité modificative n’a été faite au nom du repreneur, nouveau crédit-preneur, il a été jugé que les créanciers du nouveau crédit-preneur avaient connaissance du droit propriété du crédit-bailleur sur le matériel faisant l’objet du contrat cédé, cette preuve résultant de ce que le jugement arrêtant le plan de cession, qui en rend les dispositions applicables à tous selon l’article L.642-5, alinéa 3 du Code de commerce, faisait mention de la cession judiciaire du contrat en cause[4].

 

Alors comment interpréter cet arrêt ? La solution est-elle justifiée par le fait que le contrat initial n’était pas un contrat de crédit-bail publié, mais un contrat de location financière non soumis à une telle publication ? Non, car ce qui importe, c’est la connaissance par les tiers, c’est-à-dire les créanciers du repreneur et non les créanciers du cocontractant initial, de l’existence des droits du crédit-bailleur sur les biens. Or, cette connaissance ne peut résulter de la publication du contrat initial sur quelqu’un d’autre que le repreneur. Il est donc indifférent, pour poser la solution, que le contrat initial ait ou non été publié.

 

La solution est-elle justifiée par le fait que le contrat fondant le droit de propriété du propriétaire est différent de celui qui a été judiciairement cédé au repreneur ? C’est ce que semble indiquer la Chambre commerciale par l’arrêt commenté : les droits du crédit-bailleur nés du nouveau contrat n’avaient pu résulter de la publication du plan de cession emportant la transmission au repreneur d’un autre contrat, même sur la location des mêmes biens.

 

La solution semble sévère pour le crédit-bailleur. La solution rendue par la Cour de cassation aurait été justifiée si l’identité du bailleur financier d’origine et celle du crédit-bailleur avait été différente. En revanche, elle est critiquable dès lors que le bailleur financier et le crédit-bailleur sont une seule et même personne, qui a toujours été propriétaire des biens financés.

 

En résume, il faut retenir pour le bailleur financier que, dans l’hypothèse de la cession judiciaire d’un contrat portant sur des biens loués, il est essentiel, dans l’hypothèse où un nouveau contrat, ayant la nature d’un crédit-bail, est conclu avec le repreneur, de publier ce contrat sur le repreneur pour opposer le droit de propriété à l’occasion de la procédure collective de ce dernier.

 

Une publicité… vaut mieux que rien.

 

Thomas LAILLER

Vivaldi-Avocats


[1] Cass. com., 11 février 1997, n°94-14.243, publié ; Cass. com., 28 octobre 2008, n°07-16.443

[2] Cass. com., 29 avril 1997, n°95-15.099, publié

[3] Cass. com., 7 décembre 2004, n°02-14.088, F-D

[4] Cass. com., 11 février 1997, n° 94-14.243, publié

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