Copie privée : pas d’exception pour SONY MOBILE, MOTOROLA et ACER

Virginie PERDRIEUX
Virginie PERDRIEUX

 

Source : Tribunal de Grande Instance de PARIS – 3ème Chambre, 3ème Section – jugements du 3 janvier 2018 SONY MOBILE c/ COPY FRANCE, MOTOROLA c/ COPY FRANCE et ACER c/ COPY FRANCE.

 

Les constructeurs de téléphones portables SONY MOBILE, MOTOROLA et ACER ont conjointement décidé en 2013 de cesser de payer la redevance due à la société COPY FRANCE prévue à l’article L. 311-1 du Code de la propriété intellectuelle, constituant la contrepartie financière due au titulaire de droit d’auteur et droits voisins pour compenser l’exception de copies privées, permettant la copie d’une œuvre à partir d’une source licite et strictement réservée à l’usage privé du copiste.

 

En effet, les constructeurs invoquaient la non-conformité des dispositions nationales par rapport au droit de l’Union, notamment la directive 2001/29 du 22 mai 2001. Ils invoquent à ce titre trois griefs d’inconventionnalité :

 

– L’assimilation aux copies privées par le droit français des copies qui ne causent aucun préjudice aux ayants-droits, telles que les copies de sauvegarde ou de migration, ne correspond pas au droit de l’Union, de sorte qu’un abattement à ce titre de 40 % des sommes dues serait justifié ;

 

– L’intégration dans l’exception de copies ayant d’ores et déjà donné lieu à un paiement au titulaire de l’œuvre, en ce qu’il crée une surcompensation, se heurte au principe de juste équilibre, s’agissant d’un double paiement, d’une part au titre de la rémunération contractuelle et d’autre part au titre de la rémunération légale pour les copies subséquentes réalisées à partir du téléchargement ;

 

Les supports de reproduction mis à disposition des personnes morales ou des personnes physiques pour un usage professionnel devront être exclus de la présomption irréfragable d’usage à des fins de copies privées et donc exclus de l’assiette de la redevance pour copie privée.

 

Si le Tribunal de Grande Instance de PARIS estime qu’il lui appartient d’assurer la primauté et la pleine efficacité du droit de l’Union Européenne et d’interpréter, dans la mesure du possible, le droit interne à la lumière du texte et de la finalité de la directive, il existe toutefois deux limites à l’obligation d’interprétation conforme.

 

1. Interprétation contra legem.

 

Le Tribunal rappelle qu’il ne peut adopter une interprétation contraire à la lettre même du texte national devant être appliqué et, ce faisant, se livrer à une interprétation contra legem du droit national, car ainsi le Juge se trouverait contraint de se substituer au pouvoir normatif pour se livrer à une réécriture de la règle nationale incompatible avec le droit de l’Union.

 

Or, en sollicitant une interprétation du texte français au regard des principes d’interprétation stricts des exceptions et de juste équilibre, afin que soient exclues de l’exception de copies privées toutes les copies qui ne porteraient pas un préjudice économique aux ayants-droits, les constructeurs proposent, non pas seulement une interprétation conforme des dispositions légales et réglementaires, mais une modification et une réécriture, ce qui excède manifestement les limites de l’intervention du Juge.

 

2. Absence d’éviction.

 

Le Juge rappelle également qu’une directive n’a pas d’effet direct dans les litiges entre particuliers, selon une jurisprudence constante de la Cour de Justice de l’Union Européenne.

 

Il n’est donc pas possible, dans un litige entre particuliers, d’invoquer l’exclusion de la loi nationale en raison de sa contrariété avec une directive.

 

Ainsi, les constructeurs ne peuvent invoquer directement la directive pour écarter les dispositions nationales qui seraient, comme elle le soutient, contraires à la directive 2001/29.

 

Les prétentions des constructeurs sont donc rejetées quant à l’interprétation des articles du Code de la propriété intellectuelle instaurant la redevance pour exception de copies privées, de sorte que les constructeurs sont condamnés à payer l’ensemble des redevances pour copies privées dues depuis 2013, s’élevant à un montant total de 47 millions d’euros.

 

Afin de couper court au débat initié par les constructeurs, le Tribunal de Grande Instance de PARIS précise dans sa décision qu’il n’y a pas lieu par ailleurs de saisir la Cour de Justice de l’Union Européenne de questions préjudicielles sur l’interprétation de la directive au regard de la loi française.

 

Virginie PERDRIEUX

Vivaldi-Avocats

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