Cession du droit au bail au bailleur : quid des défaillances du preneur antérieures la cession ?

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : 3ème civ, 30 novembre 2017, n°16-23.498, FP – P+B+I

 

En l’espèce, des preneurs à bail commercial personnes physiques, cèdent leur fonds de commerce à une société qui, elle-même, le cède au bailleur. Rappelons qu’une telle cession du droit au bail au profit du propriétaire des locaux est possible depuis un revirement de jurisprudence du 13 octobre 2004[1], qui en consacre la validité (auparavant, la Cour de cassation validait le raisonnement selon lequel le preneur ne peut céder son droit au bail au propriétaire des murs puisque la relation triangulaire cédant-cessionnaire-bailleur n’existe pas, le cessionnaire et le bailleur ne faisant qu’un, de sorte la cession se trouverait dépourvue de cause[2]).

 

Se fondant sur l’application d’une clause de garantie cédant cessionnaire stipulée au bail, le propriétaire des murs assigne les locataires initiaux (Ci-après : les Garants) en règlement des loyers et charges dus par le preneur à la date de la cession, ainsi qu’au paiement d’une certaine somme au titre des dégradations commises par le preneur dans les lieux.

 

Les Garants opposent au propriétaire les dispositions de l’article 1300 du Code civil (dans sa rédaction initiale), selon lesquelles « Lorsque les qualités de créancier et de débiteur se réunissent dans la même personne, il se fait une confusion de droit qui éteint les deux créances ».

 

En conséquence, la confusion des droits éteindrait la dette du preneur envers le bailleur et ainsi, la garantie du cédant du fonds qui se trouverait de fait déchargé de toute obligation solidaire du preneur. La Cour d’appel de Bourges partage cette position et déboute le propriétaire des murs de ses demandes.

 

La Cour de cassation n’est pas de cet avis :

 

1. Le règlement du solde locatif :

 

Pour la Haute juridiction, réunie en formation plénière[3] pour statuer sur cette question complexe, la confusion des droits ne libère le garant du paiement du solde locatif que si le bail contient une clause de garantie cessionnaire-cédant. Plus clairement dit, seule une clause par laquelle le cessionnaire est tenu solidairement des défaillances du cédant entraine un transfert de la dette du preneur au bailleur/cessionnaire et éteint les créances.

 

Sans une telle clause, la dette du preneur reste ainsi pleine et entière, de même que l’obligation de garantie cédant-cessionnaire des Garants.

 

2. La remise en état des locaux

 

Pour la Cour de cassation, l’obligation de remise en état des locaux n’est pas transmise au cessionnaire bailleur, puisque le bail s’est éteint dès l’acquisition du droit au bail. Le bailleur/cessionnaire reste donc créancier de l’obligation de remise en état.

 

L’arrêt de la Cour d’appel de Bourges est donc cassé.

 

L’habilité du bailleur est ici remarquable : tout en acquérant un fonds de commerce a un prix qui a vraisemblablement été fixé en tenant compte du solde locatif débiteur, ce dernier semble ainsi en bonne voie d’obtenir le paiement dudit solde locatif, ce qui dépendra de la décision de la Cour d’appel d’Orléans, cour de renvoi.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats

 


[1] 3ème civ, 13 octobre 2004, n°03-12035, Dalloz 2005 p1617

[2] 3ème civ, 19 décembre 2000, D 2004 AJ p3140, obs Rouquet ; Cass, 30 décembre 1941, DA 1942 p98

[3] On parle de formation plénière lorsque l’ensemble des membres d’une chambre délibère sur une affaire. En l’espèce, l’ensemble des magistrats de la troisième chambre civile. La formation plénière intervient à la demande du président lorsque l’affaire touche à une question difficile ou que la décision pourrait donner lieu à un revirement de jurisprudence. À ne pas confondre avec l’assemblée plénière de la Cour. (cf lexique Cour de cassation)

 

 

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