Cession d’actifs : une nouvelle obligation pèse désormais sur le cédant

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

 

SOURCES : Loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 sur l’économie sociale et solidaire (articles 18 à 20)

 

Applicable à compter du 1er octobre 2014 (art. 99), la loi impose de nouvelles règles pour certaines entreprises et certaines opérations :

 

I – DOMAINES D’APPLICATION

 

            I – 1. Entreprises concernées

 

Il s’agit :

 

       d’entreprises employant entre 1 et 250 personnes ;

 

       avec un chiffre d’affaires inférieur à 50 M€ ;

 

       ou un total de bilan n’excédant pas 43 M€.

 

Bien entendu, pour faire simple, le législateur a cru devoir poser cette nouvelle règle dans le Code de Commerce, de sorte qu’aucune information n’est donnée sur le calcul des seuils d’effectifs. Dans le silence de la loi, il pourrait être fait référence au principe retenu pour la mise en place des instances représentatives du personnel posées à l’article L 1111-2 du Code du Travail.

 

Les esprits de synthèse se garderont bien de résumer ces seuils aux seules PME. De fait, les holdings entrent dans le champ de ce dispositif, même si en pratique, l’information devra plus être distribuée sur les participations de la holding, qu’à l’intérieur de la holding.

 

            I – 2. Opérations en cause

 

Dans le silence de la loi, et compte tenu du risque (cf. infra) encouru en cas de violation de cette nouvelle obligation, on peut estimer que le spectre est relativement large, et concerne tout aussi bien les cessions de fonds de commerce, que les cessions de titres de contrôle au sens de l’article L 233-3 (vraisemblablement à l’exclusion de l’article L 233-10) du Code de Commerce.

 

Cession de fonds de commerce

 

La section 3 du chapitre 1er du titre IV du livre 1er du Code de Commerce, est ainsi libellée :

 

« De l’instauration d’un délai permettant au salarié de présenter une offre en cas de cession de fonds de commerce dans les entreprises de moins de 50 salariés. »

 

Dont acte : mais qu’est-ce qu’un fonds de commerce ? Au sens juridique du terme, il s’agit d’un meuble incorporel. Les praticiens répondront qu’il s’agit d’un ensemble d’éléments concourant à constituer une unité économique dont l’objet est de nature commerciale comprenant des éléments corporels tels que les matériels, les marchandises et les éléments incorporels tels que la clientèle, le droit au bail et le nom commercial. 

 

Le problème ne se pose pas si ce fonds est composé d’une seule branche d’activité, mais il n’est pas rare que dans les entreprises, le fonds de commerce soit composé de plusieurs branches d’activités. Dans une telle hypothèse, doit-on considérer que la cession d’une branche d’activité entre dans le cadre du nouveau dispositif législatif ? Exemple : un concessionnaire multimarque est lié au sein d’une même société, par 3 contrats de distribution avec 3 constructeurs différents. L’un des constructeurs (le cas n’est pas rare) décide de réorganiser sa distribution sur un secteur géographique et incite ainsi le distributeur multimarque à céder, la branche d’activité relative à sa marque à un autre distributeur qui a vocation à prendre une part de marché plus importante sur le secteur.

 

D’un point de vue fiscal, il s’agit sans aucun doute d’une cession de fonds de commerce assujettie comme telle aux formalités de publicité préalables au paiement des droits d’enregistrement ad hoc, etc. Au regard des nouveaux textes publiés au Code de Commerce, s’agit-il d’une cession de fonds de commerce ?

 

En attendant la jurisprudence, les praticiens seraient bien avisés de considérer que la cession d’une branche d’activité entre bien dans ce nouveau dispositif législatif.

 

Mais la question est encore plus large. Quid en cas de restructuration intragroupe, notamment par la Transmission Universelle du Patrimoine qui aurait pour effet le transfert à titre onéreux de l’ensemble des actifs de la société dissoute au profit de la société de sa mère ?

 

La même observation peut être répétée en ce qui concerne l’apport partiel d’actifs, les fusions, scissions, etc.

 

D’une manière générale, toutes les opérations capitalistiques intragroupes entraînant un mouvement du fonds de commerce ou d’une branche d’activité d’une entité juridique à une autre entité juridique, devront être pris en compte par ce nouveau schéma.

 

Cession de titres

 

La loi ne concerne que les cessions de bloc de contrôle (+ 50 %) pour les sociétés de capitaux. Il s’agit des SARL, des SA à Conseil d’administration et à Directoire et Conseil de surveillance des sociétés par actions. Sont donc exclues de ce schéma, toutes les sociétés de personnes (sociétés civiles sous diverses formes, SNC) et des sociétés hybrides telles que sociétés en commandite ou encore des sociétés à régime particulier comme les SCOP, etc.

 

En revanche, ce texte ne s’applique que lorsqu’un cédant cède à lui seul plus de 50 % des titres des sociétés concernées. Ainsi, la cession de la totalité des titres de participation par 4 actionnaires/associés disposant chacun de 25 % du capital, ne rentrera pas dans le champ d’application de la nouvelle loi.

 

            I – 3. Opérations capitalistiques dans les professions réglementées

 

La cession d’un fonds de commerce relevant d’une activité règlementée ne semble pas entrer dans le champ d’application de la nouvelle loi.

 

A l’inverse, la cession par un seul cédant de plus de 50 % des titres d’une société réglementée entre dans le champ d’application :

 

       dans tous les cas où la cession « ne porte pas sur la partie du capital soumise à la réglementation et détenue par l’associé ou l’actionnaire répondant aux conditions requises », ce qui, à notre connaissance, est une hypothèse qui pour l’instant, n’a pas vocation à s’appliquer, dans la mesure où les conditions de qualification professionnelle requises dans les sociétés réglementées s’imposent pour au moins 50 % du capital ;

 

       au profit des salariés pouvant « présenter l’offre d’achat », dans la mesure où ils remplissent les conditions requises par la loi.

 

            I – 4. Opérations exclues du dispositif

 

Deux types d’exemption sont prévus :

 

       des mouvements de fonds de commerce ou de titres en cas de succession de liquidation du régime matrimonial ou de cession du fonds à un conjoint, un ascendant ou un descendant ;

 

       en cas de mouvement d’actifs à l’intérieur d’une entreprise entrant dans le champ du livre VI du Code de Commerce, c’est-à-dire tout ce qui concerne les procédures collectives : sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire.

 

II – LE REGIME DE L’OBLIGATION

 

            II – 1. Modalités de déclenchement de l’obligation

 

Pour la cession de fonds de commerce, il s’agit à l’évidence d’une formalité venant s’ajouter aux autres. Ainsi, désormais l’entreprise (ce qui inclut selon le nouveau dispositif, les artisans, les commerçants, les professions libérales et les PME), devra faire un inventaire de l’ensemble des droits consentis à des tiers susceptibles de remettre en cause l’opération. Ainsi :

 

en cas d’insertion au bail d’un droit de préemption au bénéfice du bailleur, informer préalablement le bailleur à la cession (et obtenir son accord) ;

 

en cas de dispositif réglementaire ad hoc, procéder à une déclaration d’intention d’aliéner au profit de l’autorité à qui a été délégué le droit de préemption ;

 

et désormais informer le ou les salariés du projet de cession.

 

Pour les cessions de titres, l’opération est « plus simple » et surtout son champ d’application est assez restreint (cf. supra).

 

Qui sont les bénéficiaires de cette information ? Selon le cas, il s’agira :

 

       de chaque salarié pris individuellement en cas d’absence d’institution représentative ;

 

       des représentants du personnel ;

 

       du comité d’entreprise.

 

L’information doit être transmise 2 mois avant le « closing ». Ce délai peut être abrégé lorsque « chaque salarié fait connaître au cédant sa décision de ne pas présenter d’offre d’achat ». Doit-on comprendre qu’il s’agit de tous les salariés ou lorsqu’elles existent, des institutions représentatives du personnel ?

 

On relèvera toutefois qu’en présence d’un comité d’entreprise, l’information doit être délivrée « au plus tard en même temps » que la consultation du comité d’entreprise sur le projet de cession, conformément aux dispositions de l’article L 2323-19 du Code du Travail.

 

            II – 2. L’étendue de l’information et les modalités de sa délivrance

 

Le texte est imprécis. L’obligation est-elle satisfaite si l’employeur informe les salariés de son souhait de céder dans un délai qui ne pourrait être inférieur à 2 mois, ou au contraire, doit-il transmettre aux salariés ou leur institution représentative, le contenu des offres, ce qui suppose la transmission du nom de l’acquéreur, du prix, des conditions de vente (garantie de passif et d’actif, contre-garantie, etc.) ? En l’absence de précision, il faut souhaiter que le dispositif réglementaire annoncé par la loi apporte ces précisions. A défaut, ce sera à la jurisprudence de fixer le cadre de l’information, ce qui corrélativement créera des dégâts à chaque fois que l’information jugée insuffisante sera considérée par la jurisprudence comme un défaut d’information, avec pour sanction, comme nous le verrons, l’annulation de l’opération.

 

En revanche, il ne s’agit que d’un droit à information concédé au salarié, destiné à favoriser l’achat des entreprises par les salariés (RES). L’entreprise ou le cédant reste libre de céder l’actif objet de l’information (fond/titre) à qui ils le souhaitent sans contrainte particulière. Plus clairement dit, les salariés n’ont aucun droit de préférence ou de droit de préemption sur le fonds de commerce ou les droits sociaux. Une offre de reprise a un prix équivalent au bien cédé, ou même à un prix supérieur, n’oblige ni le chef d’entreprise, ni le cédant des titres.

 

Cette limitation est logique, indépendamment de l’entrave au droit de propriété qui pourrait constituer une violation de l’article 1er du protocole additionnel n° 1 de la CESDH (Droit de propriété), voire du dispositif constitutionnel français sur le droit de propriété) il faut quand même rappeler que l’intention du chef d’entreprise lorsqu’il cède des titres ou un fonds de commerce, est d’abord de s’assurer de la pérennité de l’outil de travail qu’il a su patiemment constituer.

 

Or, il est du droit du chef d’entreprise ou du cédant, de considérer que ses salariés, même faisant une offre supérieure, seront moins aptes à reprendre l’actif cédé, qu’un acquéreur dûment sélectionné disposant d’une expérience et d’un savoir-faire et peut-être même d’un projet laissant penser que l’entreprise sera dans de bonnes mains.

 

III – SANCTIONS AU MANQUEMENT DE L’OBLIGATION D’INFORMATION

 

C’est, sur ce point que le texte crée une source d’insécurité juridique supplémentaire.

 

En effet, le manquement à l’obligation d’information entraîne la nullité de la vente.

 

Certes le législateur a tenté de réduire cette insécurité juridique en procédant à une prescription super-abrégée. Et sur ce point, force est de constater qu’il y est parvenu en ce qui concerne la sanction au manquement de l’obligation de l’information anticipée des salariés en cas de cession de fonds de commerce, puisque le délai de 2 mois après la publication dans un journal d’annonces légales. Par sécurité, on considèrera que le point de départ est la date de la dernière des 2 publications obligatoires : journal d’annonces légales régional ou BODACC.

 

Le problème reste entier en ce qui concerne la prescription super-abrégée des titres de sociétés de capitaux, puisque le délai commence à courir à compter de l’information donnée aux salariés ou à la date de publication de la cession. Une cession de titres n’étant pas à proprement parler soumise à une publicité, le législateur envisageait-il l’annonce officielle dans la presse d’un changement dans le contrôle de la société ? Il va falloir attendre le dispositif réglementaire pour pouvoir apporter une réponse à cette question.

 

En l’absence de précision à ce sujet, il faut donc considérer que l’employeur doit apporter la preuve de l’information de chaque salarié en l’absence d’institution représentative du personnel ou des institutions représentatives du personnel.

 

IV – SYNTHESE

 

 

V – CONCLUSION

 

La loi favorise-t-elle véritablement l’économie sociale ?

 

Le praticien peut sérieusement en douter. Tout d’abord, prétend tout d’abord qu’un salarié ou un groupement de salariés est capable de concevoir, monter et financer un projet de rachat de fonds de commerce ou de société en moins de 2 mois, relève de l’angélisme. Ce type d’opération suppose une concertation avec le vendeur, la transmission d’informations souvent confidentielles. La description des forces et des faiblesses de l’entreprise, en bref, toute une série d’informations que le chef d’entreprise n’a pas nécessairement envie de communiquer à l’ensemble de son personnel.

 

Cette évidence s’impose lorsque l’on sait qu’en général, le chef d’entreprise qui souhaite transmettre son outil de travail, interroge d’abord les salariés, et souvent bien avant qu’ils se décident à « passer la main ».

 

En bref, si le législateur a cru qu’il pouvait favoriser la transmission d’entreprise par les salariés par l’insertion de ce dispositif, il s’est sans nul doute trompé.

 

En revanche, le législateur est parvenu à créer deux sources d’insécurité venant s’ajouter aux autres :

 

       D’une part, en informant les salariés ou leur institution représentative du personnel, le chef d’entreprise ou le cédant crée un risque de divulgation de l’information qui est toujours nuisible au secret des affaires ;

 

       D’autre part, à briser « bulle de silence » qui doit envelopper ce type de négociations. Certes, les salariés et institutions représentatives sont soumises au secret professionnel, mais l’expérience montre que ce secret est souvent mal traité, les salariés n’ayant pas la culture du secret.

 

On peut même imaginer un détournement de la finalité du texte dans l’hypothèse où les salariés ne souhaitent pas acquérir l’entreprise, mais sont également hostiles au changement de direction. L’information donnée en vue de la reprise peut alors motiver un mouvement de grève ou permettre aux salariés de manifester leur désaccord auprès de l’acquéreur.

 

Cette nouvelle loi ne nous semble donc pas être un progrès social :

 

       Elle ajoute une contrainte juridique supplémentaire qui va encore peser sur les petits commerçants, artisans, professions libérales, avec des risques de sanction disproportionnés par rapport à l’intérêt de la loi ;

 

       Elle ne favorisera pas, en tout cas dans son dispositif actuel, la reprise des entreprises par les salariés ;

 

       Créera un risque de tension et d’incertitude juridique supplémentaire à une époque où tout le monde s’accorde à dire qu’il faut « simplifier la vie de l’entreprise ».

 

Eric DELFLY

VIVALDI-Avocats

 

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