Falsification de la signature du vendeur lors d’une cession de parts sociales – Pas de présomption de connaissance de la fraude par la publication de l’acte au RCS .  

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

L’action en nullité de la cession de droits sociaux fondée sur la falsification de la signature du cédant est soumise au classique délai de prescription quinquennale, dont le point de départ fait toujours débat puisqu’il faut déterminer la date de la connaissance de la fraude par la victime. Au cas d’espèce, la Cour de cassation devait apprécier l’éventuelle connaissance de la fraude par la publication des actes qualifiés de faux, au greffe du tribunal de commerce.

Cour de cassation,  3ème Chambre civile, 25 mai 2022 – N°21.13.620, Publié au Bulletin.

I – Dans un important arrêt, qui a reçu les honneurs de la publication au bulletin, les juges suprêmes interviennent en matière de point de départ de la prescription quinquennale dans un contexte bien particulier : celui où la signature du vendeur, dans le cadre d’une cession de parts sociales, serait falsifiée.

Le vendeur, qui n’a donc jamais donné son accord, peut contester le faux en écriture privée dans le délai de 5 ans posé par l’article 2224 du Code civil, qui prévoit précisément :

«  Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Pour fixer la date de prescription, il faut toutefois connaitre son point de départ :

  • Date à laquelle l’associé a eu connaissance de la cession,

Ou

  • Date à laquelle l’associé aurait pu en avoir connaissance, notamment compte tenu de la publication de l’acte au registre du commerce et des sociétés (ci-après « Le RCS »).

La difficulté résultait parallèlement de l’article 1865 du Code civil, qui impose la publication de l’acte de cession auprès d’Infogreffe, pour que celle-ci soit opposable aux tiers :

«  Elle n’est opposable aux tiers qu’après accomplissement de ces formalités et après publication au registre du commerce et des sociétés ; ce dépôt peut être effectué par voie électronique ».

Cette distinction aura manifestement des effets importants puisqu’à défaut de réaction dans le délai qui lui est imparti, l’ancien associé ne pourra plus agir contre la cession à laquelle il nie avoir consenti.

II – Au cas d’espèce, les lecteurs de Chronos auront bien compris les enjeux.  Une Société civile immobilière (SCI) a été constituée entre plusieurs associés frères et sœurs.

En 2005, un acte de cession est enregistré au RCS, dans lequel l’un des associés cédait sa part, à l’épouse d’un des associés fondateurs.

En 2016, l’ancien associé assigne le cessionnaire, et la SCI pour faire constater l’existence d’un faux, et entend obtenir l’annulation de la cession, outre évidemment, le versement de dommages et intérêts.

Les défendeurs soulèvent inévitablement la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action intentée à leur encontre. Ils considèrent en effet que la publicité de la cession de parts de la SCI était accomplie par dépôt, en annexe au RCS, et qu’en l’espèce, il était acquis que les formalités de publicité avaient été réalisées en temps et en heure. Le « cédant » ne pouvait donc ignorer la cession intervenue 11 ans auparavant.

Pour autant l’argument est rejeté par les juges du second degré, qui considèrent a contrario :

« pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en nullité de ladite cession de part engagée le 21 décembre 2016 par M. [U] [O], la cour d’appel a fixé le point de départ de la prescription quinquennale au 24 juin 2014 en énonçant que ce dernier, dont l’épouse avait constaté qu’il n’était plus actionnaire de la SCI en consultant Internet, n’avait antérieurement aucune raison particulière ni impérieuse de consulter Infogreffe ».

Persistant dans l’affirmation selon laquelle, l’ancien associé pouvait à tout moment consulter Infogreffe, et que « ce dernier avait été en mesure de connaître la cession litigieuse dès sa publication au registre du commerce et des sociétés », les défendeurs se pourvoient en cassation.

En vain.

La Cour de cassation rejette les pourvois, assimilant la falsification d’une signature à une absence de consentement, constituant une cause de nullité inhérente à l’une des parties. Ainsi, le délai de prescription ne court qu’à compter du jour de sa découverte, donc à compter du jour où le soi-disant cédant a eu connaissance de l’acte comportant sa signature falsifiée.

La Cour de cassation rejette l’idée selon laquelle la publication de l’acte de cession auprès d’Infogreffe suffirait à poser une présomption de connaissance pour celui qui n’a pas consenti à l’acte.  

« Il s’ensuit que la présomption de connaissance de l’acte résultant de l’accomplissement de cette formalité ne s’applique pas dans les rapports entre les parties à l’acte ».

En conclusion, les juges de la Haute Cour considèrent que la partie concernée par l’acte litigieux ne peut se voir opposer les formalités réalisées sur le site Infogreffe.fr puisqu’elle n’a, concrètement, aucune raison impérieuse de vérifier si elle demeurait bien associée à la SCI.

La date constituant le point de départ de la prescription est donc celle à laquelle l’ancien associé a déposé plainte, en juin 2014. Son action, initiée dans le courant de l’année 2016, n’est donc pas prescrite. Cependant la véritable difficulté sera, dans un second temps, de prouver le faux en écriture privée….

Attention toutefois, la jurisprudence intervient régulièrement pour délimiter les effets de la publicité légale opérée sur le site d’Infogreffe, et son opposabilité aux tiers.  En effet, il y a de cela quelques mois, elle indiquait justement que le mandat apparent ne pouvait être écarté au seul motif que les formalités de nomination et de cessation des fonctions de gérant d’une SARL avaient été publiées. Pour plus de précisions : https://vivaldi-chronos.com/le-mandat-apparent-en-sarl/ .

En conclusion, ce n’est pas parce que les formalités de publicité ont été opérées, que la victime d’une signature falsifiée sur un acte de cession, qui s’est vue dépossédée de ses parts sociales, peut se voir opposer la prescription de son action. 

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