Le bailleur, à qui incombe la charge des travaux de réparations, autres que celles locatives, qui intéressent la structure et la solidité de l’immeuble loué, peut par une clause claire et précise dont la portée est interprétée restrictivement, en transférer la charge au preneur.
Source : Cass. civ 3ème, 16 mars 2023, n°21-25106, Inédit
A l’origine de l’arrêt soumis à la censure de la Cour de cassation, un bail commercial en date des 14 et 25 avril 2009, portant sur des locaux situés au sein d’un centre commercial.
En cours d’exécution du bail, le bailleur délivre au locataire un commandement visant la clause résolutoire, d’avoir à payer les loyers commerciaux en souffrance intégrant une contribution aux dépenses relatives à des travaux portant sur la toiture et la climatisation du centre commercial.
Au cours du délai d’un mois imparti au locataire aux fins de paiement des causes du commandement de payer, le locataire assigne en opposition à commandement de payer et en indemnisation des préjudicies en résultant.
Echec en cause d’appel pour le locataire requérant, lequel est condamné à contribuer aux dépenses relatives aux travaux de réfection de la toiture du centre commercial. Pour les juges d’appel, le bail commercial constituant la loi des parties, met à la charge du preneur une contribution aux charges des parties communes et d’utilité collective, et notamment les réparations et remplacements des équipements du centre commercial.
La clause litigieuse stipulait littéralement :
« 1 – Les charges et prestations, et toutes dépenses d’exploitation, de réparation, d’entretien, de ravalement, de décoration, de remplacement, de rénovation et d’amélioration afférentes aux parties communes et/ou à usage collectif du Centre Commercial et de ses abords, des parkings, des espaces verts et des VRD, y compris les grosses réparations visées à l’article 606 du code civil quand bien même ces dépenses résulteraient la vétusté ou de la force majeure ou encore seraient imposées par l’administration par une injonction municipale et/ou par la réglementation actuelle ou future
2 – L’entretien, les réparations, la création, la vérification, la rénovation, la modernisation, les remplacements de toutes natures des équipements de toute nature du Centre Commercial et de ses abords, y compris des parkings, ayant un caractère obligatoire ou non, y compris les grosses réparations visées à l’article 606 du code civil quand bien même ces dépenses résulteraient la vétusté ou de la force majeure ou encore seraient imposées par l’administration et/ou par la réglementation actuelle ou future (équipements électriques, chauffage, climatisation, réseau des sprinklage, nappe haute et nappe basse, ascenseurs, de PC sécurité, escalators, monte charges) »
Pour le locataire, la clause ne stipulait pas expressément une refacturation sur le preneur des dépenses relatives à la réfection de la toiture.
Le locataire reçoit une oreille favorable de la troisième chambre civile qui juge au visa des articles 1720 et 1754 du Code civil, qu’à défaut de stipulation claire et précise mettant à la charge du locataire les travaux de réfection de la toiture du centre commercial, ce dernier n’a pas à les supporter.
Pour mémoire, les textes du Code civil sont très favorables au locataire qui n’est tenu qu’à l’entretien courant des locaux et aux réparations locatives ou de menues entretien (article 1754), tandis que le bailleur doit faire les autres réparations (article 1720, alinéa 2), dont les gros travaux (article 605 transposable au locataire commercial).
Mais la pratique des baux commerciaux s’éloigne très fortement de ce schéma, les textes du code civil n’étant que supplétifs de volonté.
La jurisprudence a interprété strictement les clauses de transfert de charge en étendant l’exigence d’une stipulation expresse à tous travaux excédant le cadre des réparations locatives de l’article 1754 du Code civil. D’abord, dans un arrêt du 19 décembre 2012[1], la Haute juridiction avait censuré un arrêt d’appel qui avait admis la refacturation au preneur des frais de ravalement de l’immeuble, au visa de l’article 1720 du Code civil, puis dans un arrêt du 6 mars 2013[2], elle avait exigé des stipulations expresses pour la refacturation par le bailleur des travaux de ravalement, réparation de toiture et remplacement de la chaudière collective de l’immeuble, et ce au visa des article 1134 (ancien) et 1754.
Pour mémoire, les travaux de réfection d’une toiture (entière) font partie des grosses réparations de l’article 606 du Code civil énonce littéralement repris que :
« Les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières.
Celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier.
Toutes les autres réparations sont d’entretien ».
Au fil de sa jurisprudence, la Cour de cassation a jugé que la lettre de l’article 606 du Code civil n’était pas limitative mais énonciative, et que les grosses réparations devaient s’entendre comme celles qui intéressent l’immeuble dans sa structure et sa solidité générale[3].
Enfin, il est à noter que cette décision a été rendue sous l’empire de la loi antérieure à la loi Pinel du 18 juin 2014. Pour tous les baux conclus ou renouvelés après le 5 novembre 2014, l’article R145-35 du Code de commerce énonce que les charges et dépenses relatives aux grosses réparations (article 606 du Code civil) ne peuvent plus être transférées du bailleur vers le preneur ainsi que le cas échéant, les honoraires liées à la réalisation de ces travaux, et les travaux relatifs à la vétusté ou à la mise en conformité dès lors que ces travaux relèvent des grosses réparations[4].
[1] Cass. civ 3ème, 19 décembre 2012, n°11-25414, FS – PB
[2] Cass. civ 3ème, 6 mars 2013, n°11-27331, FS – PB
[3] https://vivaldi-chronos.com/bail-commercial-grosses-reparations-de-larticle-606-du-code-civil/
[4] https://vivaldi-chronos.com/application-dans-le-temps-de-la-loi-pinel-aux-baux-en-cours-pour-les-charges-transferables/