SOURCE : CE, 9ème / 10ème SSR, 15/04/2016, 375796, Inédit au recueil Lebon
I –
L’attendu de principe synthétise à lui seul la problématique et la réponse qu’entend apporter la haute juridiction administrative :
« Commet une erreur de droit une Cour Administrative d’appel qui juge que le droit d’entrée ne peut donner lieu à aucun amortissement sans rechercher si certains de ces éléments pouvaient faire l’objet d’un tel amortissement, alors que le contrat de bail qui lui était soumis, prévoyait que ce droit était versé en contrepartie non eulement de la durée exceptionnelle de 12 années du bail, mais aussi de la renonciation du bailleur à sa faculté de résiliation pendant 6 ans, avantage indépendant du caractère renouvelable du contrat et dont les effets bénéfiques sur l’exploitation cesseraient à une date prévisible. »
Puisqu’il s’agit d’évoquer le droit d’entrée autrement dénommé « pas-de-porte » ou « droit au bail », la doctrine s’accorde à définir le pas-de-porte en droit commercial comme la qualification de la somme d’argent versée selon les cas :
– par le locataire d’un bail commercial au propriétaire au moment de la conclusion du contrat de bail ;
– par le cessionnaire du bail commercial au précédent locataire, au moment de la cession du bail.
Il est difficile de dresser un panorama de la motivation du preneur ou du cessionnaire lorsqu’il verse au bailleur ou au cédant une telle somme.
En règle générale, il s’agit de payer l’acquisition d’un actif immatériel non rattachable à une clientèle. Ainsi :
– Pour le bailleur, il s’agit généralement de valoriser la qualité d’un emplacement particulièrement convoité ;
– Pour le preneur cédant, de valoriser le droit au bail lorsque la cession n’entraînera pas un transfert d’une clientèle. Ce sera le cas dans toutes les hypothèses où le cessionnaire n’aura pas la même activité que le cédant.
Ces subtilités financières sont classées par l’Administration fiscale en deux catégories :
La première concerne le droit d’entrée versé au bailleur qualifié comme une charge immédiatement déductible (supplément lieu) ;
Et la seconde, comme le coût de revient d’un élément incorporel de l’actif immobilier sur lequel le preneur peut désormais, selon la jurisprudence commentée, procéder à un amortissement.
Cet amortissement est soumis aux deux conditions posées par la juridiction administrative.
II –
Pour parvenir à cette distinction, le praticien doit donc porter la plus grande attention sur la rédaction du contrat. En effet, que ce soit pour la Chambre Commerciale ou le Conseil d’Etat, la qualification des sommes versées dépend des stipulations des parties, lesquelles en matière administrative, devront être également confrontées au caractère normal ou anormal du loyer apprécié par la valeur locative de l’immeuble, ainsi que des avantages effectivement offerts par le propriétaire en supplément du droit de jouissance qui découle du contrat.[1] Ainsi :
Lorsque le droit d’entrée augmenté du loyer stipulé au bail n’excède pas la valeur locative réelle de l’immeuble, il est systématiquement assimilé à un supplément de loyer dès lors immédiatement déductible comme une charge ;
A l’inverse, lorsque le montant des loyers stipulé est considéré comme normal (sans avoir à rajouter le pas-de-porte), il apparaît alors comme un élément du prix de revient du droit au bail[2].
C’est dans cette dernière hypothèse qu’il faut rechercher si le droit peut faire l’objet d’un amortissement dans la catégorie des actifs incorporels amortissables. Nous savons à cet égard que le fonds de commerce est rangé dans la catégorie des éléments d’actifs incorporels non amortissables, dès lors qu’en théorie, cet actif n’a pas vocation à se déprécier. Il s’ensuit que le seul traitement fiscal d’un fonds de commerce ne peut être que la dépréciation de l’actif lors de sa disparition (exemple : fermeture d’un établissement secondaire).
La solution peut être différente si la convention des parties rend normalement prévisible la disparition des effets bénéfiques sur l’exploitation[3]. On écartera bien entendu d’emblée la prétendue fin des effets bénéfiques d’un droit au bail aux termes de la convention (en général 9 ans), dès lors que celle-ci est susceptible d’être renouvelée (droit au renouvellement), sauf pour le bailleur à payer au preneur, une indemnité d’éviction qui prendra notamment en compte la perte de valeur du fonds de commerce parmi lesquels figure le droit au bail[4].
C’est d’ailleurs en se fondant sur ce principe que l’Administration fiscale refusait systématiquement l’amortissement du pas-de-porte (droit au renouvellement). La décision commentée apporte un tempérament à cette rigueur, qui peut être examiné à l’aune des faits qu’avait à trancher la haute juridiction administrative.
III –
A la base, un bail de 12 ans et une convention qui stipulait un loyer annuel indexable auquel s’ajoutent le paiement d’une somme qualifiée par les parties de « droit d’entrée » venant indemniser d’une part, la dépréciation du bien du fait de la durée de 12 ans du bail[5] et la faculté pour le bailleur de renoncer à la résiliation du bail pour 6 ans, d’autre part.
Compte tenu des circonstances relatives au paiement de ce droit d’entrée, la société avait comptabilisé cette somme en immobilisations incorporelles et l’avait amortie linéairement sur 6 ans. Pour le coup, le caractère périssable de l’avantage était certain. En effet :
– le bail de 12 ans se renouvelait selon une jurisprudence constante de la Cour de Cassation pour une période de 9 ans ;
– alors que la renonciation du bailleur à sa faculté de résiliation du bail pour 6 ans n’avait pas vocation à se répéter lors du renouvellement du bail.
Il s’agissait donc d’un avantage unique dont les effets s’atténuaient une première fois aux termes de la période de 6 ans, puis totalement, au moment du renouvellement.
L’argument du contribuable n’a toutefois pas été entendu par l’Administration fiscale, suivie en cela par le Tribunal Administratif de MONTREUIL et la Cour d’Appel de VERSAILLES qui, s’inspirant de la jurisprudence du Conseil d’Etat de 1982 précitée, a jugé que le droit au renouvellement permettait de ranger le pas-de-porte dans la catégorie des immobilisations incorporelles à durée de vie indéfinie.
En censurant la juridiction du second degré pour erreur de droit, le Conseil d’Etat invite l’Administration à examiner les circonstances pour chaque espèce, ce qui lui impose d’identifier clairement notamment au regard de la qualification donnée par les parties et les avantages consentis en contrepartie du paiement du droit d’entrée.
Evidemment, ce raisonnement ne s’applique pas qu’au seul droit d’entrée et peut s’étendre à notre avis, à tout avantage qui ne serait pas lié au caractère renouvelable du bail et dont les effets bénéfiques sur l’exploitation, cesseraient à une date prévisible[6].
Eric DELFLY
VIVALDI-Avocats
[1] CE 19/11/1976, n° 98-701 et pour référence BOI-BIC-CHG-20-10-20, n° 10 et suivants ou BIC-X-11-200 et suivants
[2] CE 23/06/1986, n° 48465
[3] Voir en ce sens CE 01/10/1999, n° 17809 ou BIC-X-1465
[4] Voir CE 15/10/1982, n° 26585
[5] L’Administration considère en effet qu’un bien loué justifie la dépréciation de la valeur intrinsèque d’un immeuble d’au moins 20 %, pourcentage qui peut augmenter si le bail excède la durée légale (ici 12 ans au lieu de 9 ans).
[6] Rappel quand même : lorsque le montant annule des loyers ajoutés au droit d’entrée, est équivalent à la valeur locative annuelle du bien, alors le droit d’entrée est susceptible d’être déduit en une seule fois au titre des charges.