Article 209 B du CGI : Appréciation de l’existence d’un régime fiscal privilégié dans le cas de sociétés établies dans plusieurs états .Vive l’Europe !

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

  

Source : Sources : CE, plén. fisc., 4 juill. 2014, n° 357264, Sté Bolloré SA

 

I-

 

L’article 209 B du code général des impôts (CGI) a pour objet de dissuader les personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés de localiser une partie de leurs bénéfices[1] dans des entreprises ou entités établies dans un Etat ou un territoire situé hors de France où elles sont soumises à un régime privilégié au sens de l’article 238 A du CGI[2].

 

Le champ d’application du texte fait polémique depuis 20 ans au point que le législateur à du le modifier à plusieurs reprises pour répondre aux exigences posées par le Conseil d’Etat et plus encore aux engagements internationaux pris par la France. .Ainsi depuis 1993 six versions de ce texte ce sont succédées  portant sur les périodes ci-après reprises :

 

Depuis 18 août 2012

 

du 1 janvier 2010 au 18 août 2012

 

du 1 janvier 2006 au 1 janvier 2010

 

du 31 mars 2002 au 1 janvier 2006

 

du 1 janvier 2002 au 31 mars 2002

 

du 18 août 1993 au 1 janvier 2002

 

II-

 

Le litige examiné par le Conseil d’Etat portait sur les exercices de la société Bolloré 2000 à 2005.[3] Plus précisément Le 7 décembre 1998, la société Bolloré Technologies, devenue la société Bolloré SA, a absorbé la société SDV, avec effet rétroactif au 1er janvier de la même année ;à l’occasion de cette opération de fusion-absorption, placée sous le régime prévu à l’article 210 A du code général des impôts, la société Bolloré a recueilli les participations que la société SDV détenait depuis 1988, à hauteur respectivement de 25,72% et 16,9% dans les sociétés Socfinasia et Socfinal, établies au Luxembourg, et de 15,32% dans la société Sennah Rubber, établie à Guernesey ;l’administration fiscale a réintégré les résultats bénéficiaires de ces trois sociétés dans l’assiette de l’impôt sur les sociétés dû par la société Bolloré au titre des exercices clos en 2000 et 2001, dans la proportion des titres qu’elle détenait dans le capital de ses trois filiales, sur le fondement de l’article 209 B du code général des impôts.Elle a ensuite fait de même, s’agissant des résultats bénéficiaires des sociétés Socfinasia et Socfinal, pour l’établissement de l’impôt dû par la société Bolloré au titre des exercices clos en 2003, 2004 et 2005.

 

La CAA de Versailles par deux décisions du 13 décembre 2011[4] et du 3 avril 2012[5] a confirmé la position de l’administration. BOLLORE a alors saisi le Conseil d’Etat d’une demande en annulation des deux décisions précitées

 

Les deux arrêts vont être censurés par la haute juridiction administrative qui juge que les textes susvisés ne sont pas applicables si la société établie en France démontre, ainsi que le prévoient respectivement les II et II bis de l’article 209 B, que la création ou l’acquisition de participations dans une telle société ou un tel groupement n’a pas, pour elle, principalement pour objet d’échapper à l’impôt français.

 

Selon la décision,les dispositions du I et du I bis de l’article 209 B du code général des impôts (CGI), dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004, visent à dissuader toute société passible en France de l’IS de localiser, pour des raisons principalement fiscales, une partie de ses bénéfices dans des sociétés ou groupements soumis, dans d’autres Etats membres de l’Union européenne ou dans des pays tiers, à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du même code, en incluant les résultats bénéficiaires de ces sociétés et groupements dans l’assiette de l’IS.,,,ii) Il n’en va autrement, de manière dérogatoire, que si la société établie en France démontre, ainsi que le prévoient respectivement les II et II bis de l’article 209 B, que la création ou l’acquisition de participations dans une telle société ou un tel groupement n’a pas, pour elle, principalement pour objet d’échapper à l’impôt français.

 

En vertu de ces mêmes dispositions, cette condition est réputée remplie lorsque cette société ou ce groupement exerce à titre principal une activité industrielle ou commerciale effective et que les opérations qu’elle réalise dans le cadre de cette activité sont effectuées de manière prépondérante sur le marché local.,,,b)

 

Ainsi, l’application de ces dispositions peut avoir pour effet d’inclure dans l’assiette de l’impôt sur les sociétés les résultats bénéficiaires de sociétés ou de groupements, alors qu’ils ont une implantation réelle et exercent, quoiqu’à titre non principal, une activité économique effective. Par suite, l’application de ces dispositions à de telles sociétés ou groupements est incompatible avec la liberté d’établissement.

 

III-

 

Pour parvenir à une telle solution la juridiction rappelle que, par un arrêt rendu le 12 septembre 2006 la CJCE[6] a invalidé une loi incluant dans l’assiette imposable d’une société établie dans un premier Etat membre les bénéfices réalisés par une société établie dans un second Etat membre et dans laquelle la première société détient une participation lui conférant une influence certaine sur les décisions de la seconde société, lorsque ces bénéfices y sont soumis à un niveau d’imposition inférieur à celui applicable dans le premier Etat membre, à moins qu’une telle inclusion ne concerne que les montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique, destinés à éluder l’impôt normalement dû dans le premier Etat membre.

 

Or, si l’article 209 B prévoit l’imposition en France des résultats de filiale situées dans un Etat à fiscalité privilégiée, il peut y être dérogé en démontrant que la création ou l’acquisition de participations dans la filiale n’a pas, pour la société mère française, principalement pour objet d’échapper à l’impôt français. Notamment, cette condition est réputée remplie lorsque la filiale exerce à titre principal une activité industrielle ou commerciale effective et que les opérations qu’elle réalise dans le cadre de cette activité sont effectuées de manière prépondérante sur le marché local. Ainsi, l’application de ces dispositions peut avoir pour effet d’inclure dans l’assiette de l’impôt sur les sociétés les résultats bénéficiaires de filiales, alors qu’ils ont une implantation réelle et exercent, quoiqu’à titre non principal, une activité économique effective.

 

En ce sens, l’article 209 B est contraire à la liberté d’établissement. En effet, la condition tenant à ce que l’activité soit réalisée à titre principal sur le marché local va au-delà de ce que la CJUE a prévu

 

Le conseil d’Etat précise toutefois que ces dispositions peuvent légalement être appliquées, sans méconnaître cette liberté, à des sociétés ou groupements qui ont le caractère de montages purement artificiels destinés à éluder l’impôt normalement dû en France. (position conforme aux textes et à la jurisprudence européenne)

 

Eric DELFLY

Vivaldi-avocats

 


[1] Sont ainsi concernées les sociétés françaises passibles de l’impôt sur les sociétés, lorsqu’elles perçoivent des dividendes en provenance de sociétés (filiales) situées hors de France et bénéficiant d’un régime fiscal privilégié. Les dividendes perçus sont alors soumis à l’impôt sur les sociétés en France.

[2] Le Conseil d’Etat dans son arrêt « Schneider Electric » (CE, Ass., 28 juin 2002, rec. n° 232 276), a jugé qu’en présence d’une convention fiscale internationale, ce dispositif ne pouvait être mis en œuvre que si la convention en prévoyait expressément l’application.

[3] Pour 2006 l’article 104 de la loi de finances pour 2005 a adapté ce dispositif en conséquence. Il modifie également l’article 238 A du CGI afin d’inclure dans le texte une définition de la notion de régime fiscal privilégié.

[4] n° 10VE00230

[5] n°11VE01056

[6] CJCE, aff. C-196/04

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