Apport temporaire en usufruit de parts d’une société soumise à l’IR à une société soumise à l’impôt sur les sociétés

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

  

SOURCE : Comité abus de droit fiscal : affaire n° 2014-33

Lors de l’acquisition d’un bien immobilier via une personne morale, l’associé se pose toujours la même question : quel régime fiscal dois-je adopter ? Le choix est cornélien, dans la mesure où le régime fiscal des personnes morales ou celui des sociétés soumises à l’IS ont l’un et l’autre des avantages et des inconvénients (I).

C’est la raison pour laquelle les praticiens proposent à leurs clients de combiner les avantages, par la création d’une SCI soumise à l’IR dont l’usufruit des titres serait temporairement apporté à une société soumise à l’IS (II), mais des précautions s’imposent dans ce type de montage assez technique. A défaut, la requalification en abus de droit n’est pas loin (III).

I – CHOIX DU REGIME FISCAL DE LA SOCIETE LORS DE L’ACQUISITION D’UN BIEN IMMOBILIER : AVANTAGES / INCONVENIENTS

I – 1. Les règles fondamentales d’imposition des sociétés de personnes

Le régime fiscal français actuel des sociétés de personnes (SDP) est un système dit de « translucidité », ce qui signifie que la SDP est un sujet fiscal qui réalise le résultat fiscal, sans être redevable de l’impôt dû sur ce résultat. En effet, conformément à l’article 8 du CGI, les associés des SDP sont personnellement soumis à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés pour la part des bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la SDP.

Cette modalité d’imposition comporte des avantages et des inconvénients.

I – 11. Principaux avantages de l’option pour l’impôt sur le revenu pour une SCI.

Deux avantages sont rapidement identifiables : celui du déficit foncier, d’une part, et de l’exonération/abattement des plus-values pour durée de détention, d’autre part.

Déduction des revenus fonciers du déficit global

Le déficit foncier est déductible du revenu global, dans la limite de 10 700 €/an[1]. Encore faut-il ajouter que seule est imputable sur le revenu global la fraction du déficit qui résulte des dépenses déductibles, à l’exception des intérêts d’emprunt. La fraction résultant des intérêts d’emprunt est imputable uniquement sur le revenu foncier des 10 années suivantes.[2]

En conséquence, la SCI soumise au régime des sociétés de personnes a un avantage indéniable sur les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés, lié à la déductibilité dans le revenu global ou dans le revenu foncier, des déficits fonciers.

Abattement ou exonération pour durée de détention d’un immeuble

L’abattement pour durée de détention pour le calcul des plus-values immobiliers s’applique à toutes ventes et cessions de biens immobiliers, quelle que soit leur nature (logement, bureau, terrain à bâtir, etc.)[3]

La plus-value est soumise à l’impôt sous la forme de prélèvements forfaitaires, après application d’un abattement égal à :

       6 % pour chaque année de détention au-delà de la 5ème et jusqu’à la 21ème ;

       4 % pour la 22ème année révolue de détention.

Ce qui aboutit donc à une exonération au bout de 22 ans.

Ces taux ne concernent que l’impôt sur les plus-values immobilières et non pas les prélèvements sociaux.

Pour le calcul des prélèvements sociaux, l’abattement pour la durée de détention est égal à :

       1,65 % pour chaque année de détention au-delà de la 5ème année et jusqu’à la 21ème ;

       1,60 % pour la 22ème année de détention ;

       9 % pour chaque année au-delà de la 22ème.

Ce qui aboutit donc à une exonération au bout de 30 ans.

Les contribuables ont connu des régimes fiscaux plus favorables, et notamment une exonération totale des plus-values et prélèvements sociaux, après une détention de l’immeuble de 15 ans ou 22 ans. Il n’est d’ailleurs pas exclu que l’on revienne à des régimes plus souples, au moins à 22 ans, en ce compris les prélèvements sociaux.

I – 12. Inconvénients du régime des sociétés de personnes

Elle tient essentiellement à la réduction de l’assiette des charges concourant aux calculs des déficits fonciers, et corrélativement au retournement des déficits au profit d’un bénéfice foncier.

Assiette des déficits fonciers relativement réduite

Il faut tout d’abord rappeler que le plafond de déductibilité des déficits fonciers dans le revenu global est de 10 700 €, ce qui est in fine assez peu. Au-delà, le déficit foncier, ne pourra être compensé qu’avec des bénéfices fonciers.

La même observation peut être répétée en ce qui concerne la déductibilité des intérêts d’emprunt qu’avec les seuls revenus fonciers.

L’optimisation fiscale du déficit suppose donc l’acquisition à période régulière d’immeubles qui vont venir créer un déficit foncier (notamment lors des premières années d’amortissement du prêt dont les mensualités sont en majeure partie consacrées au remboursement des intérêts). A terme, on peut qualifier ce système de cavalerie, extrêmement dangereuse pour l’équilibre financier du patrimoine global du contribuable.

Retournement du déficit en bénéfice

 

Le contribuable prudent évitera bien entendu de multiplier les acquisitions. Dans une telle hypothèse, celui-ci devra puiser dans ses deniers personnels les fonds nécessaires au paiement de l’impôt jusqu’au terme de la période d’amortissement du prêt. C’est la rançon nécessaire à l’exonération des plus-values de cession et des prélèvements sociaux pour durée de détention.

Et à cet égard, on peut se demander si le choix des sociétés de personnes après l’allongement de la durée de détention à 22/30 ans est encore intéressant d’un point de vue fiscal.

I – 2. Avantages et inconvénients de l’option à l’IS

L’impôt sur les sociétés (IS) frappe l’ensemble des bénéfices ou revenus réalisés par les sociétés et autres personnes morales désignées à l’article 206 du Code Général des Impôts.

Les règles d’assiette de cet impôt qui sont pour la plus large, applicables pour la détermination des bénéfices des entreprises industrielles ou commerciales, relèvent de l’impôt sur le revenu (article 209 du CGI).


I – 21. Avantages de l’option pour le régime à l’IS

Le principal avantage est de cumuler aux charges normalement déductibles dans les revenus fonciers des sociétés de personnes non soumises à l’IS, deux charges complémentaires :

       les frais et honoraires d’acquisition, et notamment les droits d’enregistrement et les honoraires du Notaire ;

       ainsi que l’amortissement du bien.

Ce principe de déductibilité totale des charges immobilières conduit à la création d’un cycle de déficit foncier plus long, et neutralise plus efficacement la fiscalité liée aux revenus qui doivent en premier lieu être consacrés à l’amortissement du prêt bancaire nécessaire à l’acquisition du bien immobilier.

I – 22. Inconvénients

L’inconvénient est à la hauteur des avantages, et se situe essentiellement au jour de la cession de l’immeuble.

En effet, la plus-value taxable à l’IS (15 % / 33 %) est alors calculée par différence entre le prix de vente et la valeur nette comptable du bien.

De surcroît, si les associés veulent percevoir les bénéfices, ils devront également procéder à une distribution de dividendes ou procéder à la dissolution de la SCI, et ainsi supporter sur l’imposition le revenu global, les plus-values ou distributions de dividendes.

La cession des parts de SCI, c’est-à-dire sans passer par la cession de l’immeuble, n’est pas une meilleure idée. En effet, l’acquéreur déduira de la valeur des parts de la SCI soumise à l’IS la décote des plus-values latentes, de sorte que quelle que soit la manière dont il tentera de sortir de cette opération, l’associé supporte la double fiscalité.

En définitive, pour l’associé d’une SCI, le choix se résume au diptyque suivant : payer tout de suite ou payer plus tard.

II – LA SOLUTION : COMBINAISON DES 2 REGIMES PAR UN DEMEMBREMENT DES TITRES DE LA SDP AU PROFIT D’UNE SOCIETE SOUMISE A L’IS

Pour mémoire, selon l’article 238 bis K du CGI, lorsque les droits dans la société ou les groupements sont tenus directement ou indirectement par l’intermédiaire d’une autre société ou d’un autre groupement de même nature, la quote-part des résultats correspondants est déterminée selon les règles applicables en matière d’impôt sur les sociétés.

Cette mesure s’applique lorsque :

       la société ou le groupement membre exerce une activité agricole et relève de l’impôt sur le revenu sur le régime du forfait ou sur option selon les règles du bénéfice réel simplifié d’imposition ;

       la société ou le groupement membre a pour activité la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier.

Les praticiens proposent donc à leurs clients de créer une Société Civile Immobilière à l’IR ayant vocation à acquérir le bien immobilier, à l’aide d’un emprunt bancaire.

Concomitamment à la constitution de la société ou à l’acquisition du bien immobilier, l’usufruit des titres détenus par les associés personnes physiques est cédé temporairement à une autre société soumise à l’IS.

La transmission à titre onéreux d’un usufruit, d’un immeuble ou de titres à une société étant, selon les dispositions de l’article 619 du Code Civil, limitée à 30 ans, la cession sera forcément temporaire. En règle générale, on opte pour une durée supérieure à la durée d’amortissement du prêt.

Cette cession en application de l’article 13-5 du CGI, issue de la 3ème loi de finance rectificative pour 2012, conduit à ce que le produit résultant de la première cession à titre onéreux est temporaire et par dérogation aux dispositions relatives à l’imposition des plus-values imposables à l’impôt sur le revenu dans les catégories de revenus à laquelle se rattache au jour de la cession, le revenu procuré ou susceptible d’être procuré par le bien ou le droit pour lequel l’usufruit est cédé.

Très clairement, il s’agira pour la première opération, de revenus fonciers, mais qui seront inexistants, puisque la concomitance de la cession de l’usufruit avec la création de la société ou l’acquisition de l’immeuble, conduit à ce que l’usufruit soit valorisé qu’à un euro symbolique, ou au mieux, à valeur du nominal de la SCI.

Par ce mécanisme, et pendant toute la période de détention des titres démembrés, le régime fiscal s’appliquera de la manière suivante :

       la SCI à l’IR ne procèdera pas à une déclaration fiscale au titre de l’article 2072[4], mais établira une comptabilité en BIC qui fera ainsi ressortir un bénéfice ou un déficit ;

       le bénéfice ou le déficit est alors imputable sur les revenus de la société à l’IS.

Ce système conduit à une optimisation des déficits fonciers grâce au régime de l’IS, pendant toute la période de détention de l’usufruit. Aux termes de la période de détention, l’usufruit rejoint la nue-propriété des associés personnes physiques, et se trouve alors imposable selon le régime fiscal des sociétés de personnes. Pour autant, le prêt bancaire ayant été amorti, les revenus fonciers permettent de payer l’impôt y attachés, et le solde (revenus fonciers – IRPP) constitue un gain net pour le contribuable.

Lorsque la SCI vend son immeuble, le contribuable paiera la plus-value foncière en tenant compte de la date d’entrée du bien dans la SCI à l’IR. En d’autres termes, les associés bénéficieront des abattements pour durée de détention au titre des plus-values et prélèvements sociaux.

Magique… pour autant, il ne faut pas abuser du système.

III – LES DERIVES DU SYSTEME DENONCEES PAR L’ADMINISTRATION FISCALE

III – 1. L’affaire examinée par la Commission

A l’origine, deux frères créent en février 2005 une Société Civile (ci-après « SC ») constituée par l’apport en nature de l’usufruit de leurs titres d’une SCI X leur appartenant pour une durée de 12 ans.

Le capital de l’apport de la SC correspond à la valeur des apports fixés à 23 000 € qui a été déterminée en appliquant le barème de l’article 669 du CGI, non pas la valeur de l’immeuble à l’actif de la SCI (600 000 €) mais à celle de la valeur de ses parts en pleine propriété fixée à 50 000 €, ce qui correspond à l’actif net de la SCI, celle-ci ayant un passif évalué à 556 000 €.

Dès sa constitution, la SC a opté pour l’assujettissement de ses bénéfices à l’impôt sur les sociétés selon le régime réel simplifié.

A compter de 2005 et conformément aux dispositions de l’article 238 bis K du CGI précité, le résultat de la SCI a été déterminé selon les règles applicables en matière de BIC et taxé à l’IS au taux de 15 % en application du B du 1 de l’article 219 du CGI au nom de la SC détenant la totalité des titres en usufruit au lieu du taux progressif de l’impôt sur le revenu au nom de chaque associé, comme l’étaient antérieurement les revenus fonciers.

L’Administration a alors mis en œuvre sur le fondement de l’article L 64 du LPF, la procédure de l’abus de droit fiscal, estimant, eu égard aux conditions de fonctionnement de la SC, que l’opération constituait un montage dépourvu de substance n’ayant aucun autre but que celui d’atténuer la charge fiscale des deux frères.

Le Comité fait notamment valoir :

       que la SC ne dispose d’aucun compte bancaire, ni de trésorerie, qu’elle ne bénéficie de distribution du résultat de la SCI que pour des montants limités, représentant dans le meilleur des cas, celui des charges (essentiellement fiscales dont elle est redevable) ;

       que ces charges sont cependant acquittées dans le fait par la SCI X, de sorte que les montant distribués inscrits au compte courant de la SC dans la SCI sont compensés par ces paiements ;

       que la SC n’a développé depuis sa création, aucune autre activité que la seule détention temporaire de l’usufruit des titres de la SCI X, laquelle permet en application des dispositions de l’article 238 bis K du CGI, la détermination des résultats de la SCI selon les règles applicables en matière de bénéfices industriels et commerciaux, puis sa taxation effective au moment de la société.

Le Comité en a déduit qu’eu égard aux circonstances de l’espèce, qu’en interposant la SC dépourvue de toute substance économique ayant opté pour l’assujettissement de ses bénéfices à l’IS à seule fin de bénéficier des dispositions de l’article 238 bis K, les associés de la SCI X ont fait une application littérale de ces dispositions contraire aux objectifs, qu’en les adoptant, le législateur a entendu poursuivre.

Le Comité a donc fort logiquement émis l’avis que l’Administration était fondée à mettre en œuvre la procédure de droit fiscal.

III – 2. L’avis du Comité ne remet pas en cause ce type de montage, mais la constitution d’une société sans substance économique.

Rappelons en effet que ce montage est très précisément organisé par l’article 238 bis K du CGI, de sorte que fondamentalement, ce type d’organisation ne peut pas être abusif.

On peut également rappeler que l’option à l’IS ne nécessite pas d’obligation pour le contribuable d’établir la légitimité de son choix.

Mais à l’évidence, le montage mis en place par les deux frères était tellement grossier que celui-ci pouvait être aisément qualifié d’artificiel, la SC n’ayant à l’évidence aucune substance économique.

On relèvera à cet égard :

       un seul actif : l’usufruit temporaire des titres de la SCI ;

       aucune activité économique et même pas de compte bancaire ;

       un montage qui se traduira par la simple constatation de perte.

Et à cet égard, on peut qualifier ce montage de suroptimisation. En effet, les deux frères ont vraisemblablement profité des déficits fonciers les premières années où ils ont été détenteurs des parts de la SCI en pleine propriété, puis au moment du retournement, ont décidé d’en faire l’apport à la SC, tout en bénéficiant de la fiscalité avantageuse de la détermination de la plus-value et du report d’imposition.

Pour contourner une telle critique, le contribuable peut donner un sens économique, patrimonial et financier à ce montage. Voici quelques exemples qui peuvent être suggérés :

       si l’immeuble acquis est destiné à être donné à bail à une société commerciale également détenue par l’associé personne physique, le démembrement temporaire de l’usufruit pourra intervenir au bénéfice de la société d’exploitation, ou de la holding qui la détient ;

       si au contraire, une Société Civile est créée pour l’occasion, cette société doit avoir une activité complémentaire et pourquoi pas, avoir vocation à détenir plusieurs titres de sociétés démembrés, et se comporter en quelque sorte comme une holding animatrice, en centralisant la trésorerie pour les besoins du groupe, en centralisant également les besoins en Conseils (Experts-comptables, Avocats, Notaires, etc.), le cas échéant, tenter de mettre en place toutes les procédures nécessaires à l’identification des travaux et à leur réalisation pour le compte des SCI à l’IR ;

       enfin, il est impératif que la durée de l’usufruit temporaire soit supérieure à celle de l’amortissement du bien. Il faut en effet accepter de payer des impôts si vous ne voulez pas être critiqué.

Eric DELFLY

VIVALDI-Avocats


[1] Article 156 du CGI

[2] Il faut également ajouter comme seconde condition que lorsque le contribuable propriétaire d’un immeuble, impute un déficit foncier sur son revenu global au titre d’une année, l’immeuble doit être affecté à la location jusqu’au 31 décembre de la 3e année qui suit l’imputation. Ainsi, aux termes desdispositions de l’article 31 du CGI, les charges de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net, comprennent :

       les frais d’administration et de gestion ;

       les indemnités d’éviction et de frais de relogement ;

       les dépenses de travaux ;

       les charges locatives ;

       les impôts et taxes ;

       les primes d’assurance ;

       les provisions pour charges de copropriété ;

       les intérêts et frais d’emprunt ;

       certaines déductions spécifiques.

[3] Article 150 VC du CGI

[4] Sauf s’il subsiste dans le capital de la société un associé personne physique. Auquel cas, la SCI établira un bilan à l’IS et procèdera également à une 2072.

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