Annulation d’un contrat de prêt accessoire au contrat de vente d’immeuble : quelle indemnisation pour la banque ?

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

 

SOURCE : Cass. Civ. 3ème, 18 février 2016, n°15-12.719, FS-P+B.

 

Un couple acquiert un lot de copropriété d’un immeuble à réhabiliter. Un acte authentique est naturellement dressé, et le financement de l’acquisition est réalisé au moyen d’un prêt bancaire. Les travaux de réhabilitation ne seront jamais exécutés, contraignant les acquéreurs à assigner le conseiller en patrimoine, le syndic de copropriété, le notaire ainsi que son assureur, et enfin la banque, en vue de faire annuler l’acte de vente et de solliciter des dommages et intérêts.

 

La Cour d’appel de Bourges condamnera le notaire et son assureur in solidum à payer diverses sommes indemnitaires. Cependant, elle déboutera la banque de sa demande d’indemnisation de son préjudice résultant de la perte des intérêts conventionnels du prêt qu’elle avait consenti, consécutivement à l’annulation de la vente par la faute du notaire. Le juge d’appel estimera que ce préjudice ne pouvait pas constituer une perte de chance de percevoir lesdits intérêts conventionnels si le contrat n’avait pas été annulé. Le préjudice de la banque ne sera chiffré qu’à 3.000 euros.

 

Le notaire et son assureur ont alors formé un pourvoi en cassation et la banque, un pourvoi incident. Le moyen soulevé devant la Haute juridiction consistait en ce que le notaire qui, par sa faute, a causé l’annulation d’une vente immobilière et par ricochet l’annulation du contrat de prêt souscrit par l’acquéreur pour la financer, doit indemniser la banque de la perte des intérêts conventionnels auxquels elle avait droit en vertu de ce dernier contrat.

 

La Cour de cassation ne suivra pas ce raisonnement et rejettera le pourvoi dans son intégralité. Elle estime en effet que :

 

« Dans la mesure où l’annulation du contrat de vente entraîne la nullité du contrat accessoire de prêt, pour lequel l’établissement prêteur peut solliciter le montant du capital prêté qui n’a pas encore été amorti, la perte de gain que l’établissement bancaire peut espérer par le biais des intérêts conventionnels constitue une perte de chance dont les juges du fond fixent souverainement le montant. »

 

La Cour de cassation approuve donc les juges d’appel dans leur fixation du préjudice de la banque, qui ne peut pas être intégrale.

 

La Cour régulatrice rappelle ici une position classique, puisque celle-ci affirme depuis longtemps et constamment que « la réparation d’unepertedechancedoit être mesurée à lachanceperdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cettechancesi elle s’était réalisée » .

 

Le même attendu de principe se retrouve dans la technique de réparation du préjudice lié à la rupture déloyale de pourparlers contractuels[1], ou encore la rémunération qui aurait été versée à l’agent immobilier si le mandant n’avait pas refusé de signer le compromis de vente[2].

 

Ainsi, laperted’une chancesuppose toujours l’existence d’un aléa qui la distingue du strict gain manqué. Une chance, quelque soit son degrés de certitude, demeure une simple « espérance » et non un « droit acquis » de sorte que, « pour tenir compte du degré de probabilité afférent à la chance perdue, […] la victime ne peut obtenir la totalité de l’avantage espéré, mais seulement une fraction plus ou moins grande selon sa probabilité »[3]. La perte de chance n’est rien d’autre que la disparition certaine d’une éventualité favorable.

 

Quelle est alors la méthode d’évaluation appliquée par la Cour de cassation pour déterminer la chance perdue ? Le préjudice entier doit être, dans un premier temps, estimé et, dans un second temps, pondéré par l’application d’un coefficient en corrélation avec sa probabilité[4].

 

En pratique, les emprunteurs doivent donc restituer les sommes prêtées, la banque doit leur restituer les intérêts, frais, accessoires et cotisations d’assurance. En outre, la Cour de cassation admet, à titre de dommages-intérêts, que chaque organisme prêteur soit remboursé des sommes correspondant à ces restitutions, plus les indemnités de remboursement anticipé afférents à chaque partie, en fonction de sa situation au moment de la nullité[5].

 

Enfin, sur le plan des garanties, la Cour de cassation a déjà précisé que, dans le cas d’une annulation d’une ouverture de crédit garantie par une sûreté réelle, l’hypothèque subsiste tant que l’obligation de restitution des fonds, propre au contrat de prêt, n’est pas éteinte[6].

 

Thomas LAILLER

Vivaldi-Avocats

 


[1] Cass. Com., 26 nov. 2003, Bull. civ. IV, n°186 : « Les circonstances constitutives d’une faute commise dans l’exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels ne sont pas la cause du préjudice consistant dans la perte d’une chance de réaliser les gains que permettait d’espérer la conclusion du contrat »

[2] Cass. Civ. 1ère, 15 mai; Cass. Civ. 1ère, 25 juin 2009

[3] A. Bénabent, Les obligations, Montchrestien, 10ème éd., n°679

[4] Cass. Civ. 1ère, 8 juill. 1997, Bull. civ. I, nos 238 et 239

[5] Cass. Civ. 1ère 10 mai 2005, n°02-11.759 F-P+B

[6] Cass. Com., 26 mars 2002, n°98-23.378, FS-D

 

 

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