SOURCE :
CA COLMAR, Ch civ 3 Sect. A, 18 juin 2018, n°18/0387
CA VERSAILLES, Ch 14, 11 mai 2017, n°16/05403
Issu de la LOI n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, qui est entrée en vigueur, pour la plupart de ses dispositions, le 20 juin 2014, l’article L145-16-2 du Code de commerce dispose que :
« Si la cession du bail commercial s’accompagne d’une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur, celui-ci ne peut l’invoquer que durant trois ans à compter de la cession dudit bail. »,
Cet article, pour lequel la jurisprudence ne s’est à notre connaissance pas encore prononcée sur la faculté d’y déroger, a été source de diverses critiques doctrinales[1] concernant l’imprécision de son contenu, tant en ce qui concerne le point de départ du délai, que la date de son expiration, et plus précisément :
– Le point de départ de la durée triennale est-il la date de signature de la convention, ou celle de sa prise d’effet (notamment en cas de rétroactivité) ?
– Le bailleur peut-il agir contre le cédant postérieurement à l’expiration de la durée pour tout manquement commis par le cessionnaire à l’intérieur du délai de trois ans, ou le délai de trois ans est-il un délai de prescription au-delà duquel le bailleur ne peut agir, réduisant ainsi de fait l’assiette de la garantie ?
Aux cotés de ces difficultés demeure également celle, essentielle, de déterminer si la loi Pinel est applicable aux baux en cours, voire aux garanties en cours au jour de son entrée en vigueur. Et à cet égard, des juridictions du fond ont pu considérer que le cédant, dont la cession du bail est intervenue avant l’entrée en vigueur de la Loi, ne bénéficie pas de la limitation de durée de la garantie posée par l’article L145-16-2 du Code de commerce :
Ainsi pour la Cour d’appel de VERSAILLES :
« L’article L.145-16-2 issu de la loi Pinel a modifié la portée de la clause de garantie puisque, jusqu’à présent, cette garantie pouvait être mise en jeu jusqu’à la fin du bail en cours, alors que désormais, elle ne peut plus l’être que pour trois ans à compter de la cession.
L’article 21 de la loi du 18 juin 2014 portant dispositions transitoires ne vise pas l’article 8 de la loi, devenu le nouvel article L.145-16-2 du code de commerce.
Il en résulte que cette disposition nouvelle est d’application immédiate et est entrée en vigueur au 20 juin 2014, c’est à dire le lendemain de la publication de la loi. Pour autant, elle ne peut trouver à s’appliquer, en application du principe de non rétroactivité de la loi, aux contrats en cours lors de son entrée en vigueur.
Par conséquent la demande de la société Boulangerie la Grâce de Dieu d’application du nouvel article L. 145-16-2 du code de commerce issu de la loi du 18 juin 2014 sera rejetée, la modification de l’application de la loi nouvelle n’étant pas applicable à la cession intervenue le 30 janvier 2010 . »
Et pour la Cour d’appel de COLMAR :
« l’acte du 26 octobre 2006 n’est pas soumis à la loi du 10 juin 2014 restreignant à trois ans l’obligation de garantie du cédant puisque cette loi n’est applicable qu’à compter du 20 juin 2014 »,
Ces positions sont conformes à la théorie selon laquelle les effets des contrats restent régis par la loi en vigueur à l’époque où ils ont été conclus, théorie qui déroge au principe de l’application immédiate de la loi nouvelle afin de ne pas ébranler les accords des parties. Elles devront toutefois être confirmées par la Cour de cassation.
Entre temps, demeure entière la question de l’application immédiate du plafonnement de la durée de la garantie « cédant cessionnaire » aux cessions intervenues, depuis l’entrée en vigueur de la loi Pinel, de baux toujours « en cours » depuis ladite date d’entrée en vigueur, étant toutefois rappelé que les dispositions d’ordre public ou afférentes à un statut légal d’une part[2], et des « effets des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées »[3] d’autre part, sont appliquées par la Cour de cassation aux contrats en cours.
Les différentes réformes du droit des baux commerciaux n’y ont pas échappé, la Cour de cassation estimant, tantôt au titre de l’ordre public, tantôt invoquant un effet légal du contrat, que la loi nouvelle est d’application immédiate aux baux en cours. On se souviendra ainsi de :
– La loi du 6 janvier 1986, réformant le système du plafonnement[4] ;
– La loi Murcef du 11 décembre 2001[5];
– La loi dite LME du 4 août 2008 concernant la date pour laquelle les congés doivent être signifiés [6] ;
– La loi n°2009-888 du 22 juillet 2009 introduisant dans le code de commerce l’article L145-7-1, déclaré comme d’ordre public par la Cour de cassation[7].
Il en résulte qu’une application immédiate du plafonnement de la durée de la garantie « cédant cessionnaire » aux cessions postérieures des baux en cours ne serait donc pas à exclure…
A suivre…
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] Jean Pierre DUMUR, Le « bêtisier » de la loi Pinel en dix stations, AJDI 2014 p821
[2] Jehan-Denis BARBIER, Application de la loi du 18 juin 2014 dans le temps
[3] 3ème civ, 16 décembre 1987, Gaz Pal 1988 1 84 note JD BARBIER
[4] 3ème civ, 16 décembre 1987 préc.
[5] 3ème civ, 4 mai 2006, n°05-10555
[6] 3ème civ, 3 juillet 2013, n°12-21541
[7] 3ème civ, 9 février 2017, 16-10.350, Publié au bulletin