Entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) : manquement grave et réunion des patrimoines

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

 

Source : Cass., com. 7 février 2018, n°16-24.481, FS-P+B+I

 

I – Bref rappel sur l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée

 

La loi n°2010-658 du 15 juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, est un dispositif légal de protection patrimoniale de l’entrepreneur individuel, que l’on retrouve aux articles L.526-6 et suivants du Code de commerce.

 

Il permet que « tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale ». Une même personne peut donc posséder plusieurs patrimoines, dont un voire plusieurs affectés exclusivement à une activité professionnelle.

 

Tout l’intérêt du dispositif est que la déclaration d’affectation est opposable de plein droit aux créanciers dont les droits sont nés postérieurement à son dépôt. Ainsi, et sauf cas de fraude (manquements aux règles d’affectation) ou manquements aux règles comptables (tenue d’une comptabilité autonome, ouverture d’un compte bancaire dédié), les créanciers auxquels la déclaration d’affectation est opposable et dont les droits sont nés à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté ont pour seul gage général le patrimoine affecté. Les autres créanciers auxquels la déclaration est opposable ont pour seul gage général le patrimoine non affecté.

 

L’ordonnance n°2010-1512 du 9 décembre 2010, a adapté le livre VI du Code de commerce, et notamment l’article L.621-2, alinéa 3, du Code de commerce, pour prévoir expressément la réunion au patrimoine visé par la procédure d’un ou plusieurs autres patrimoines du débiteur entrepreneur individuel à responsabilité limitée, en cas de confusion.

 

Le risque réside ici dans les « relations financières anormales », traduites notamment par le flux de revenus entre le patrimoine affecté et le patrimoine non affecté. Cette réunion des patrimoines revient à faire perdre au débiteur le bénéfice de la déclaration d’affectation : la procédure visera alors tous les patrimoines confondus.

 

II – L’espèce

 

Un entrepreneur individuel a déposé une déclaration d’affectation de patrimoine afin d’exercer, en qualité d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, une activité de vente ambulante de boissons.

 

L’entrepreneur a déclaré la cessation des paiements, puis est placé en liquidation judiciaire simplifiée. Après vérification de la déclaration d’affectation, le liquidateur judiciaire a sollicité la réunion des patrimoines de l’entrepreneur individuel, au motif que ni déclaration initiale ni une déclaration complémentaire ne mentionnaient les éléments affectés par l’entrepreneur à cette activité.

 

La Cour d’appel d’ANGERS n’a pas fait droit à la demande du liquidateur judiciaire, estimant que l’absence de mention dans la déclaration d’affectation des biens nécessaires à l’activité professionnelle ou une déclaration complémentaire, ne caractérisait en soi ni une confusion des patrimoines professionnel et personnel, ni un manquement grave aux règles de l’alinéa 2 de l’article L.526-6 du Code de commerce (règles d’affectation).

 

Le juge du fond tirait cette argumentation du fait qu’au cas présent, la déclaration d’affectation déposée au greffe par l’entrepreneur individuel, qui ne comportait aucune précision relative aux biens affectés, n’en avait pas moins été acceptée par le greffe, outre que l’entrepreneur avait intentionnellement utilisé le sigle « EIRL » pour ouvrir un compte bancaire dédié à son activité professionnelle, et avait immatriculé le véhicule destiné à l’exercice de l’activité, lequel figurait à l’actif de son bilan simplifié.

 

Il en tirait pour conséquence que ces biens étant en rapport direct avec l’activité exploitée, malgré leur absence de la déclaration initiale ou complémentaire, ils avaient intégré de plein droit le patrimoine affecté. L’exhaustivité de la déclaration était donc une faculté, pas une obligation.

 

III – L’arrêt de cassation

 

La Cour régulatrice ne l’entend pas ainsi, et casse sèchement l’arrêt critiqué, pour affirmer l’orthodoxie des textes relatifs à l’EIRL, et ne laisser aucune place au soupçon de fraude. Autrement dit, la déclaration d’affectation doit être claire et précise, peu importe qu’elle ait été acceptée en l’état par le greffe. Cet impératif légal sert à la fois les intérêts de l’entrepreneur individuel, qui doit savoir exactement quoi affecter, et les intérêts des créanciers, qui doivent connaître avec précision l’assiette de leur gage général.

 

C’est la première fois que les Hauts magistrats se prononcent sur cette question, justifiant la large publicité de l’arrêt. Au regard de la généralité des termes employés, nul doute qu’il s’agit là d’une décision de principe. Elle doit être approuvée :

 

– Pour l’efficacité juridique de l’EIRL : ce mécanisme de faveur ne doit pas laisser de place aux soupçons dans l’esprit des créanciers, au risque à terme qu’ils ferment l’accès au crédit à ce type d’entrepreneurs ;

 

– Pour l’efficacité de la procédure collective de l’EIRL : la faculté de réunion des patrimoines affectés est une arme efficace du liquidateur judiciaire, pour sanctionner l’entrepreneur fraudeur et in fine liquider un maximum d’actifs. Un arrêt de rejet aurait singulièrement porté atteinte à ce dispositif.

 

L’arrêt a d’autant plus de force au regard des faits de l’espèce, puisque l’entrepreneur était accompagné par un expert-comptable, et avait globalement respecté ses obligations juridiques, sociales et fiscales (hormis le dépôt des comptes annuels auprès du greffe). Il avait notamment ouvert un compte dédié à son EIRL, et affectait à son usage professionnel un véhicule utilitaire, acquis après la création de l’entreprise. Le juge-commissaire avait ainsi écarté toutes fautes graves de gestion.

 

La Cour de cassation en fait fi, et consacre le principe de l’obligation d’une déclaration d’affectation de patrimoine exhaustive. Cette décision pourra également être transposée sans difficulté aux déclarations d’affectation de patrimoine complémentaires. 

 

Thomas LAILLER

Vivaldi-Avocats

 

 

 

 

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