Source : Cass. Com., 18 janvier 2017, pourvoi n° 15-16.531 FS-P+B.
L’arrêt ici fait suite à la liquidation judiciaire d’un administrateur de biens.
Dans ce contexte, l’un de ses mandants, pour lesquels l’administrateur de biens avait encaissé les loyers d’un immeuble donné à bail, déclare sa créance de restitution de ces loyers au passif de la procédure collective.
Pourtant, la Cour de cassation avait déjà jugé par un arrêt du 15 février 2011[1] que « le mandant d’une agence immobilière en liquidation judiciaire n’a pas à déclarer sa créance de restitution résultant des dispositions de la loi du 2 janvier 1970 au passif de la procédure, celle-ci échappant par sa nature aux dispositions de la procédure collective obligeant les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d’ouverture à déclarer leur créance au Liquidateur ».
En effet, les administrateurs de biens sont tenus de justifier d’une garantie financière permettant le remboursement des fonds, effets ou valeurs déposés et spécialement affectés à ce dernier.
En clair, les fonds collectés par l’administrateur de biens pour le compte de ses mandants bénéficient d’une garantie financière que doit nécessairement souscrire l’administrateur. La conséquence de cette garantie obligatoire est l’inutilité pour le mandant de déclarer sa créance de restitution.
S’est néanmoins posée la question du sort de cette déclaration de créance, ainsi que de ses conséquences, si le mandant y procédait malgré tout : c’est l’objet de l’arrêt ici commenté.
En effet, le garant financier a tenté d’utiliser l’argument selon lequel, en déclarant sa créance au passif, le mandant avait en pratique renoncé à l’affectation spéciale au remboursement des fonds, c’est-à-dire au bénéfice de la garantie. Le Juge Commissaire avait jugé à l’inverse que la déclaration au passif, et corrélativement l’admission, ne remettait pas en cause le bénéfice de la garantie.
La Cour de cassation confirme ici cette solution, ce qui nous semble devoir être entièrement approuvé.
En effet, nous sommes ici dans une hypothèse d’une partie de l’actif échappant à la procédure collective. Les fonds sont spécialement affectés au remboursement de leur propriétaire et ne peuvent bénéficier qu’au créancier bénéficiaire de cette affectation : le mandant. Pour autant, ce même mandant est bien créancier de l’administrateur de biens et peut être payé indifféremment sur le patrimoine constituant le gage commun des créanciers, ou sur les sommes qui lui sont spécialement réservées. C’est l’effet réel de la procédure collective, auquel échappent les fonds spécialement affectés.
Ce mécanisme peut d’ailleurs être rapproché de celui, mieux connu, relatif à la déclaration notariée d’insaisissabilité. Cette déclaration n’est en effet opposable qu’aux créanciers postérieurs. Le Mandataire intervenant pour le compte de tous les créanciers, s’il en existe certains auxquels la déclaration notariée d’insaisissabilité est opposable et d’autres à qui elle ne l’est pas, le Mandataire ne peut alors pas appréhender l’immeuble. Dès lors, le bien objet de cette déclaration échappe à la procédure collective et à son effet réel.
Pour autant, les créanciers à qui la déclaration est inopposable, pourront agir et exécuter sur ce bien, nonobstant la procédure collective.
Là encore, ces créanciers sont cependant des créanciers du débiteur et peuvent (même s’ils n’y sont pas obligés) déclarer leur créance au passif et être payés sur le gage commun. Une partie du patrimoine du débiteur, échappant à la procédure collective, leur est en quelque sorte réservée, mais rien ne les empêche de bénéficier des distributions dans le cadre de la procédure collective.
Cet arrêt est en fait la confirmation de la solution dégagée en matière de déclaration notariée d’insaisissabilité selon laquelle le créancier qui a la faculté de se faire payer sur des biens hors procédure collective, peut, sans en avoir l’obligation, tout de même déclarer sa créance au passif et être payé sur le gage commun.
L’arrêt est donc particulièrement intéressant à ce titre et se trouvera d’ailleurs publié au Bulletin annuel de la Cour de cassation.
Etienne CHARBONNEL
Vivaldi-Avocats
[1] Cass. Com., 15 février 2011, pourvoi n° 10-10.056.