Précision sur le transfert de la charge de la sûreté en plan de cession.

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

 

Source : Cass. Com., 29 novembre 2016, pourvoi n° 15-11.016 F-P+B.

 

L’article L. 642-12 est un article particulièrement important du droit des procédures collectives. Il prévoit en effet, en son alinéa 4°, le transfert de la charge des sûretés en plan de cession.

 

Il dispose à cet effet :

 

«   Toutefois, la charge des sûretés immobilières et mobilières spéciales garantissant le remboursement d’un crédit consenti à l’entreprise pour lui permettre le financement d’un bien sur lequel portent ces sûretés est transmise au cessionnaire. Celui-ci est alors tenu d’acquitter entre les mains du créancier les échéances convenues avec lui et qui restent dues à compter du transfert de la propriété ou, en cas de location-gérance, de la jouissance du bien sur lequel porte la garantie. Il peut être dérogé aux dispositions du présent alinéa par accord entre le cessionnaire et les créanciers titulaires des sûretés. »

 

En pratique, cela signifie qu’en cas de plan de cession, lorsqu’un bien, mobilier ou immobilier est repris par le cessionnaire, celui-ci est tenu de reprendre le tableau d’amortissement du crédit ayant servi à financer le bien, lorsque ce financement est garanti par une sûreté grevant le bien.

 

Ce transfert de la charge de la sûreté est automatique, de plein droit, et a, en pratique, pour effet de garantir les établissements de crédit du paiement des échéances à échoir, en cas de liquidation judiciaire suivie d’une cession, limitant ainsi leurs risques, même s’ils existent.

 

L’idée sous-jacente du législateur est bien évidemment de favoriser le crédit aux entreprises, en rassurant les banques sur le risque encouru en cas de procédure collective.

 

A l’autre bout du spectre, cet article a également pour effet de renchérir le coût d’un rachat pour un cessionnaire en plan de cession, en rajoutant au prix de cession offert la charge du tableau d’amortissement non encore échu.

 

Sur ce dernier point, la jurisprudence est abondante : en effet, le cessionnaire ne reprend que les échéances à échoir du financement, et non les arriérés antérieurs à la procédure collective, ou même ceux nés au cours de la période d’observation.

 

L’arrêt ici commenté rajoute un élément dans l’étude des dettes reprises. En effet, en l’espèce, une société a fait l’objet successivement d’une sauvegarde, convertie en redressement judiciaire, aboutissant à un plan de redressement par voie de continuation. Le plan est ensuite résolu et converti en liquidation judiciaire, puis fait l’objet d’un plan de cession en liquidation.

 

A ces différentes procédures collectives se combine un financement pour une machine, financement garanti par un nantissement sur le matériel. Le financement consistait en un prêt remboursable en 20 mensualités, venant à échéance fin 2009.

 

Or, la sauvegarde date du 24 février 2009 et le plan de redressement est adopté le 10 mars 2010.

 

Ce plan prévoyait à ce titre le rééchelonnement des dernières échéances du prêt sur la durée du plan de redressement, c’est-à-dire 10 ans.

 

Dans le cadre du plan de cession, après liquidation judiciaire, le cessionnaire reprend le matériel et, corrélativement, la charge de la sûreté, à charge pour lui d’assurer le paiement des échéances encore à échoir.

 

Toutefois, il ne règle aucune somme à la banque et finit par être assigné en paiement des échéances non réglées.

 

Deux thèses s’affrontent alors :

 

– Celle de la banque, estimant que sont dues toutes les échéances rééchelonnées dans le cadre du plan, postérieures à la date d’entrée en propriété ;

 

– La thèse du repreneur, qui estime qu’aucune somme n’est due, dans la mesure où le tableau d’amortissement initial venait à terme au cours de la période d’observation du redressement judiciaire, et que l’intégralité des sommes étaient échues antérieurement à la reprise, nonobstant le rééchelonnement dans le cadre du plan de redressement.

 

La Cour d’Appel avait donné raison à la banque, mais la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, au visa de l’article L. 642-12 al. 4° du Code de Commerce, par l’attendu de principe suivant :

 

«   Attendu qu’il résulte de ce texte que, sauf accord avec le créancier, le cessionnaire d’un bien financé par un crédit garanti par une sûreté portant sur ce bien ne doit s’acquitter que du montant des échéances qui n’étaient pas encore exigibles à la date du transfert de propriété.

 

[…]

 

Attendu que, pour faire droit à la demande de la banque, l’arrêt retient que l’article L. 642-12 al. 4° du Code de Commerce oblige le repreneur à s’acquitter des échéances restant à échoir après le transfert à son profit du bien grevé acquis grâce à un prêt, dès lors que les obligations restant dues sont nées instantanément ;

 

Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher comme elle y était invitée, si les sommes réclamées par la banque à la société [cessionnaire] correspondaient à des échéances du prêt non encore exigibles à la date du transfert de la propriété des outillages et matériels nantis, ou à un arriéré dû à cette date sur des échéances laissées impayées par la société [cédante], la Cour d’Appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

 

La Cour de cassation considère donc que le rééchelonnement dans le cadre du plan ne constitue pas un nouveau tableau d’amortissement et que la totalité des sommes étaient échues au jour du transfert de propriété, de sorte que le cessionnaire n’avait à s’acquitter d’aucune échéance restant à échoir.

 

La précision est d’importance, puisque, ce faisant, la Cour de cassation considère que le moratoire judiciaire constitué par le plan de redressement n’a pas pour effet de nover le contrat, dont seules les dispositions initiales sont opposables au cessionnaire. Sans aucun doute en aurait-il été différemment si le moratoire avait été obtenu contractuellement hors du plan de redressement.

 

Or, en l’espèce, le nouvel échéancier est bien prévu par le plan et obtenu dans ce cadre.

 

La précision méritait d’être apportée par la Cour de cassation.

 

Etienne CHARBONNEL

Vivaldi-Avocats

 

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