Rupture brutale des relations commerciales et contredit de compétence

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : Cass com., 20 octobre 2015, n°14-15851, FS – P+B

 

Aux termes de l’article L442-6 III dernier alinéa du Code de commerce, les litiges relatifs aux atteintes à la concurrence prohibées par ledit article, et notamment ceux relatifs aux ruptures brutales des relations commerciales établies, doivent être soumis à l’appréciation de juridictions spécialisées en premier ressort, désignés par l’article D442-3 et son annexe 4-2-1 du Code de commerce[1]. Le texte ajoute que la cour d’appel de PARIS est seule compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions.

 

Ainsi, dès qu’une juridiction est saisie d’un litige relatif à l’application des dispositions de l’article L442-6 du Code de commerce, elle doit se déclarer d’office et automatiquement incompétente au profit de la juridiction spécialisée désignée, la Cour de cassation interdisant à la juridiction saisie de procéder à l’examen du bien-fondé des demandes, fussent-elles subsidiaires[2].

 

C’est ainsi que le Tribunal de commerce de Lille Métropole, saisi dans cette affaire par un mandataire gérant de fonds de commerce qui reprochait à son mandant d’avoir rompu sans motif légitime le contrat qui les liait et subsidiairement, la brutalité de la rupture, retient sa propre compétence pour statuer sur le litige malgré la clause attributive de compétence au profit du TC d’Agen stipulée au contrat que le mandant ne pouvait invoquer[3].

 

Le mandant forme un contredit de compétence de la décision auprès du greffe du Tribunal, conformément aux dispositions des articles 82 et suivants du CPC, en invoquant l’inapplicabilité des dispositions de l’article L442-6 à cette situation régie par les dispositions d’ordre public de l’article L146-4 du Code de commerce, encadrant la résiliation du mandat de gérance, de sorte que la clause attributive de juridiction devait recevoir application.

 

Le greffe transmet le dossier à la Cour d’appel de DOUAI, qui confirme la décision de compétence des premiers juges en application de la jurisprudence précitée, en rappelant que le tribunal n’avait pas à examiner le bien fondé des demandes… Peut-être, mais ce n’était pas à la Cour d’appel de DOUAI de le préciser, mais à la Cour d’appel de PARIS, seule juridiction compétente pour recevoir les contestations, sous quelque forme que ce soit, des décisions rendues dans le cadre des dispositions de l’article 442-6 du Code de commerce.

 

La Cour de cassation casse donc la décision, sans renvoi en raison de la particularité de cette procédure, et invite le greffe du TC de LILLE à transmettre le contredit à la Cour d’appel de Paris.

 

Cette censure inévitable intervient sur un moyen relevé d’office, bien que celui appuyant le pourvoi ne manque pas d’intérêt mais était prématuré puisqu’il ne saurait être évoqué que devant la juridiction du second degré de la juridiction spécialisée (Paris). Plus précisément, le demandeur soutenait que :

 

« la rupture d’un contrat de gérance-mandat étant soumise aux dispositions spéciales et d’ordre public de l’article L 146-4 du code de commerce, elle échappe à l’application de la règle générale prévue par l’article L 442-6 du code de commerce ; qu’en retenant la compétence du Tribunal de commerce de Lille désigné sur le fondement de ce dernier texte, au motif erroné que l’application de l’article L 146-4 du code de commerce n’exclut pas son application, la cour d’appel a violé les articles L 146-4 et L 442-6 du code de commerce, ensemble le principe specialia generalibus derogant. »

 

En d’autres termes, les relations économiques sous égide d’un statut d’ordre public règlementant ses modes de résiliation permettent-elles aux juridictions spécialisées d’accaparer les litiges en découlant ?

 

Il appartiendra à la Cour d’appel de Paris de trancher cette question.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats

 

 


[1] Pour le détail de ces juridictions, cf article chronos du 27 mars 2012,

[2] Cass Com, 26 mars 2013, n°12-12.685, Publié au bulletin et notre commentaire du 17 avril 2015

[3] Cass. com. 13 janvier 2009 n° 08-13.971, Bull , IV, n° 3 ,confirmé par Cass Com 18 janvier 2011 N° 10-11.885 Bull, IV, n° 9

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