La pratique du droit de la commande publique – et plus particulièrement dans le domaine des marchés de travaux – rend indispensable la connaissance, méticuleuse, d’une source de droit particulière : le cahier des clauses administratives générales.
Il faut rappeler que les cahiers des clauses administratives générales (CCAG) sont des documents types qui fixent les dispositions applicables à une catégorie de marchés.
Leur utilité pratique est acquise dès lors qu’ils permettent d’accélérer le rythme de conclusions des accords et à faciliter la standardisation des relations juridiques.
Il appartient au pouvoir adjudicateur de faire expressément référence à ce CCAG dans les documents particuliers de son marché. Le choix du CCAG à retenir dépend de la nature des prestations concernées.
En effet, si en vertu de l’article 13 du code des marchés publics, le pouvoir adjudicateur peut décider ou non de se référer à un CCAG, il ne manque pas de le faire dans l’écrasante majorité des cas.
Il faut à cet égard préciser que si le pouvoir adjudicateur choisit d’y faire référence, il doit prévoir, dans le CCAP (Cahier des clauses administratives particulières), les dérogations aux dispositions du CCAG applicable.
Suivant arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, le « CCAG TRAVAUX » a, récemment, fait l’objet d’une réforme d’ensemble. Cette réforme a conduit à l’abrogation de l’ancien CCAG TRAVAUX (prévu au décret n° 76-87 du 21 janvier 1976).
Cette réforme avait été saluée en tant qu’elle simplifiait, un peu, le dispositif qui figurait dans l’ancien CCAG TRAVAUX de 1976. Ce dernier appelait en effet la critique en ce qu’il était :
1. Trop technique ;
2. Insuffisant en lui-même sans une parfaite connaissance de la jurisprudence ;
3. A certains égards frappé de désuétude.
« Les nuances dans l’application, voire les divergences d’interprétation » de l’ancien CCAG TRAVAUX, conduisaient ainsi les commentateurs à évoquer « l’occasion de se réjouir qu’offre le nouveau CCAG Travaux » [1].
Il demeure qu’aussi satisfaisant qu’il fut, le nouveau CCAG de 2009 appelait certaines réserves, et c’est pourquoi, dès son entrée en vigueur, des voix se sont faites entendre pour plaider déjà sa refonte. Satisfaisante, mais inachevée, la réforme de 2009 méritait donc d’être réformée.
Tel est précisément l’objet de l’arrêté du 3 mars 2014 modifiant l’arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux.
Un des atouts majeurs du CCAG TRAVAUX 2009 était de permettre une accélération et une simplification de la procédure de décompte final. Pour autant, avaient été pointée une certaine persistance du juridisme et du formalisme dans l’ article 13.3 du CCAG [2].
Le nouveau dispositif (qui s’appliquera aux contrats conclus à partir du1er avril 2014) apporte un certain nombre de modifications aux articles 13.3 et 13.4 :
I/ S’agissant de l’article 13.3, relatif à la demande de paiement finale, il est dorénavant précisé que le titulaire «est lié par les indications figurant au projet de décompte final », et que les réserves émises qui n’ont pas été levées doivent être récapitulées, faute de quoi, elles seront abandonnées. Le projet doit également être notifié non plus seulement au maître d’œuvre, mais également, et simultanément, au représentant du pouvoir adjudicateur, dans un délai de trente jours, contre quarante-cinq auparavant, à compter de la notification de la décision de réception de travaux.
II/ S’agissant de l’article 13.4, relatif au décompte général et au solde, il est maintenant prévu que le montant du projet de décompte doit correspondre au résultat de la dernière récapitulation, mentionnée à l’article 13.4.1, des acomptes mensuels et du solde. Par ailleurs, l’article 13.4.2 précise que ce projet doit être transmis, par le maître d’œuvre, « à la plus tardive des deux dates ci-après :
— trente jours à compter de la réception par le maître d’œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ;
— trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur, de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ».
On rappellera, pour mémoire, que le CCAG 2009 « ancienne version » visait les dates suivantes :
« ― quarante jours après la date de remise au maître d’œuvre du projet de décompte final par le titulaire ;
― douze jours après la publication de l’index de référence permettant la révision du solde. »
Cette modification peut donc être regardée comme salutaire en ce qu’elle unifie les délais applicables en fonction des circonstances.
Ensuite, l’article 13.4.3 dispose désormais que dans un délai de trente jours, à partir de la notification du décompte général, le titulaire transmet ce décompte signé, avec ou sans réserves, ou porte à leur connaissance les motifs pour lesquels il refuse de signer. Si le titulaire signe sans réserve le décompte général, il en fait le décompte général et définitif du marché, la date de notification au pouvoir adjudicateur marquant le départ du délai de paiement. Ce décompte lie définitivement les parties, à l’exception de ce qui concerne les montants des révisions de prix et des intérêts moratoires afférents au solde, mais si les réserves ne sont que partielles, le titulaire est réputé avoir accepté implicitement les éléments non visés par les réserves.
Dans l’hypothèse d’une contestation des sommes dues, le représentant du pouvoir adjudicateur dispose d’un délai de trente jours, débutant à la date de la réception de la notification du décompte général accompagné des réserves émises par le titulaire, ou à la date de réception des motifs de refus de signature du décompte général, pour régler les sommes admises dans le décompte final. Après résolution du désaccord, dans les conditions de l’article 50, il est procédé, le cas échéant, au paiement d’une somme majorée, s’il y a lieu, des intérêts moratoires courant à compter de la date de la demande du titulaire.
Selon le nouvel article 13.4.4, si le décompte général n’est pas notifié par le pouvoir adjudicateur au titulaire, dans les délais précités, il revient à ce dernier de lui notifier, avec une copie à destination du maître d’œuvre, un projet de décompte général signé comportant :
« — projet de décompte final tel que transmis en application de l’article 13.3.1 ;
— projet d’état du solde hors révision de prix définitive, établi à partir du projet de décompte final et du dernier projet de décompte mensuel, faisant ressortir les éléments définis à l’article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ;
— projet de récapitulation des acomptes mensuels et du solde hors révision de prix définitive ».
Pour mémoire, l’article 13.4.4 du CCAG 2009 « ancienne version » prévoyait que « dans un délai de quarante-cinq jours compté à partir de la notification du décompte général, le titulaire renvoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d’œuvre, le décompte général revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer ».
La modification apportée par l’arrêté du 4 mars 2014 est donc utile en ce qu’elle clarifie la situation du titulaire du marché en cas de défaut de notification du décompte général définitif.
A ce stade de la procédure d’établissement du compte entre les parties, pour éviter que le projet de décompte transmis par le titulaire ne dispose de la valeur d’un décompte général et définitif, le pouvoir adjudicateur devra réagir promptement.
Il lui faudra en effet notifier le décompte général au titulaire dans un délai de dix jours après réception des documents.
Ce décompte liera définitivement les parties, à l’exception des montants des révisions de prix, qui seront calculés dans les conditions prévues à l’article 13.4.2, et des intérêts moratoires afférents au solde. Le délai du paiement du solde, à l’exclusion des révisions de prix définitives, débute au lendemain de l’expiration de ce délai.
Un délai de dix jours après publication de l’index de référence permettant la révision du solde, est laissé au pouvoir adjudicateur pour notifier au titulaire le montant des révisions de prix et la date de notification marque le départ du délai de paiement du montant du.
Il faut enfin ajouter que l’article 50 du CCAG TAVAUX 2009, relatif au règlement des différends, a été amendé pour tenir compte des changements opérés par ce décret.
Un délai de trente jours, contre quarante-cinq auparavant, est ouvert au titulaire pour transmette un mémoire en réclamation portant sur le décompte général.
Ce délai court à compter de la notification du décompte général.
Après avis du maître d’œuvre, le pouvoir adjudicateur dispose d’un délai ramené à trente jours, contre quarante-cinq auparavant, à compter de la réception du mémoire, pour notifier au titulaire sa décision motivée.
C’est donc un toilettage – modeste mais certain – qui résulte de l’arrêté du 4 mars 2014.
La procédure d’établissement du décompte entre les parties demeure complexe et faite de chausse-trappes pour les parties, mais – point positif – elle gagne en clarté et donc en prévisibilité et aussi un peu en rapidité.
Il demeure que seule la pratique du « CCAG 2009 nouveau » permettra de s’assurer que les effets attendus se produisent bel et bien.
D’ici là, à n’en pas douter, nul doute que la rédaction du CCAG TRAVAUX 2009 aura à nouveau évolué.
Une telle instabilité n’est pas sans poser de difficultés aux praticiens qui sont donc soumis, selon la date de conclusion du marché :
– Soit au CCAG de 1976 (l’essentiel des litiges pendants concernent des marchés qui lui sont assujettis, dès lors qu’une consultation a été engagée ou un avis d’appel public à la concurrence envoyé à la publication avant l’entrée en vigueur du CCAG 2009, soit le 1er janvier 2010) ;
– Au CCAG TRAVAUX 2009 dans sa version initiale (dans sa rédaction issue de l’arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux) ;
– Au CCAG TRAVAUX 2009 dans sa version issue de l’arrêté du 4 mars 2014 (qui sera applicable dès lors qu’une consultation a été engagée ou un avis d’appel public à la concurrence envoyé à la publication à partir du 1er avril 2014).
Un tel chevauchement de stipulations applicables doit rendre le praticien particulièrement vigilant dans la détermination du CCAG applicable aux litiges dont il a la charge.
On pourrait d’ailleurs émettre la critique que cette succession de CCAG est source de complexité, et donc d’insécurité juridique, ce qui est précisément l’inverse de l’objectif annoncé ; mais il faut rétorquer que c’est le revers de l’évolution, et de l’amélioration, du droit applicable à la matière contractuelle, laquelle ne se conçoit pas, évidemment, sans une préservation des droits acquis.
La dernière réflexion, là encore prospective, concerne la Jurisprudence.
Il faudra en effet établir la frontière entre les arrêts du Conseil d’État dont la portée s’arrête à tel ou tel CCAG, et ceux qui, porteurs de véritables principes généraux, ont vocation à s’appliquer quel que soit le CCAG applicable.
Vaste débat qui dépasse le champ de la présente chronique et qui ne manquera pas d’occuper les spécialistes des marchés de travaux publics.
Stéphanie TRAN
Vivaldi-Avocats
[1] P. SOLER-COUTEAUX et F.LLORENS, « Le CCAG Travaux fait peau neuve… et la procédure de règlement des différends avec lui », Contrats et Marchés publics n° 11, Novembre 2009, repère 10
[2] Cf. en ce sens : M.KARPENSCHIF et W. SALAMAND, « CCAG Travaux : une réforme entre progrès et régression », Contrats et Marchés publics n° 3, Mars 2010, étude 3.