Pas de TUP à l’associé unique pour la société bénéficiaire d’un plan de redressement prévoyant l’inaliénabilité du fonds de commerce

Antoine DUMONT
Antoine DUMONT

Dans un arrêt en date du 2 octobre 2024 publié au Bulletin, la chambre commerciale de la Cour de cassation énonce que la dissolution d’une société dont les parts sociales sont réunies dans les mains d’un associé unique, intervenue en cours d’exécution d’un plan de redressement prévoyant l’inaliénabilité de son fonds de commerce, n’entraîne pas la transmission universelle de son patrimoine à l’associé précité.

Cass. Com., 2 octobre 2024, n°23-14.912

I – Faits et procédure

Il a été soumis à la Haute Cour un litige concernant le sort d’une société placée en procédure collective, en l’occurrence un redressement judiciaire, dont un actif, en l’espèce un fonds de commerce, aurait été déclaré inaliénable.

En 2011, un plan de redressement est arrêté, celui-ci est prévu pour une durée de 10 ans et comprend l’inaliénabilité du fonds de commerce de ladite société.

En 2018, par suite d’une cession de parts sociales, l’ensemble des parts de la société se trouvent réunies en une seule main, et, le mois suivant cette cession une assemblée générale extraordinaire décide la dissolution de la société et sa mise en liquidation amiable. Par jugement du 29 septembre 2021, l’exécution du plan est constatée et la procédure collective est clôturée.

Or, entre-temps, en 2019, la société a assigné l’un de ses anciens clients, personne morale, pour le paiement de différentes factures. La société ayant été radiée du RCS en 2021, l’associé unique précité a été désigné mandataire ad hoc afin de poursuivre cette procédure.

La société débitrice forme un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Reims en date du 17 janvier 2023 qui avait reconnu la capacité d’ester en justice de la société dissoute mais prise en la personne de son mandataire ad hoc et accueilli sa demande de paiement. Son argument est original : elle allègue que la société aurait perdu le droit d’ester en justice par suite de sa dissolution et donc de la transmission universelle de son patrimoine (« TUP ») prévue par l’article 1844-5 du Code civil.

Dans un arrêt du 2 octobre 2024, la chambre commerciale rejette le pourvoi et affirme que, dans le cadre d’un plan de redressement judiciaire qui prévoit l’inaliénabilité du fonds de commerce, la dissolution de la société qui a vu ses parts sociales réunies dans les mains d’un associé unique n’entraîne par de transmission universelle de patrimoine au profit de l’associé unique.

II – Le droit des procédures collectives et l’article 1884-5 du Code civil

L’article 1844-5 du Code civil prévoit les conséquences de la réunion de toutes les parts sociales en une seule main, c’est-à-dire sa dissolution, qui n’est pas de plein droit. Sur ce point, il convient de préciser que cette concentration en une seule main n’entraîne pas dissolution de la SARL ni de la SAS, qui deviennent respectivement une EURL et une SASU malgré l’absence de régularisation dans le délai d’un an. En l’espèce, la société est une SARL, et la dissolution est intervenue par décision de l’associé unique, cas de dissolution bien connu et prévu par l’article 1844-7 du Code civil.

Le même article 1844-5 du Code civil envisage également qu’« en cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l’associé unique, sans qu’il y ait lieu à liquidation », cette disposition n’étant pas applicable aux sociétés dont l’associé unique est une personne physique.

Cependant, le placement en liquidation ou en redressement judiciaire impose le respect de règles d’ordre public et notamment concernant le patrimoine du débiteur qui ne peut être cédé ou transmis uniquement selon certaines règles à compter du jugement d’ouverture de la procédure collective. La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de préciser que la dissolution de la société dont les parts avaient été réunies en une seule main intervenue après le jugement d’ouverture n’entraînait pas de TUP au profit de l’associé unique[1], et donc de faire prévaloir les règles issues du droit des entreprises en difficulté sur celles de l’article 1844-5 précité.

Au cas d’espèce, la société a bénéficié d’un plan de redressement antérieurement à sa dissolution et la jurisprudence précise que l’adoption d’un plan permet à la société de redevenir in bonis, c’est d’ailleurs un argument de la demanderesse au pourvoi, et donc libre de disposer de ses biens[2]. La Haute Cour aurait pu se contenter de rejeter le pourvoi en relevant que « la dissolution de la société dont toutes les parts sociales sont réunies en une seule main, intervenue postérieurement au jugement d’ouverture, n’entraîne pas la transmission universelle de son patrimoine à l’associé unique » ; mais elle le rejette en relevant que le plan prévoyait l’inaliénabilité du fonds de commerce. En d’autres termes, la Cour de cassation semble fonder ce rejet sur le respect du plan initial issue d’un jugement et donc bénéficiant de l’autorité de la chose jugée.

En raisonnant a contrario, l’arrêt peut laisser penser qu’en l’absence de la mesure d’inaliénabilité prévue dans le plan, la TUP aurait été possible, mais plusieurs auteurs considèrent que la simple présence du plan permet de paralyser la TUP[3]. Ce raisonnement nous parait logique : permettre une TUP en application de l’article 1844-5 du Code civil en présence d’un plan et sans autorisation du tribunal reviendrait à autoriser une société à organiser la transmission de son patrimoine sans que les créanciers ne puissent intervenir et s’y opposer.

III – En pratique, une solution qui engendrera d’autres difficultés ?

La solution n’est pas dépourvue de logique. L’absorption d’une société fille par TUP conduit la société mère à être débitrice en lieu et place de sa fille juridiquement disparue, notamment des engagements pris par celle-ci dans le plan de redressement.

Corrélativement, toujours dans le cadre de l’universalité liée à ce type d’opérations, le fonds de commerce reste inaliénable le temps de l’exécution du plan. En pratique :

  • La société absorbante peut solliciter du tribunal, qui a adopté le plan, une requête en modification substantielle qui l’autoriserait à vendre le fonds. A n’en pas douter le produit de la vente ne sera pas réparti entre tous les créanciers de la holding mais des créanciers de la fille absorbée et selon l’ordre des priorités, fixé par le livre VI du Code de commerce. Ce ne sera que dans l’hypothèse où tous les créanciers de la fille auront été désintéressés que les créanciers de la holding pourront, le cas échéant, revendiquer un droit du produit de la vente dès lors qu’ils ont formé opposition dans les délais légaux ;
  • La même observation peut être répétée en cas de liquidation de la société mère, le produit de la vente du fonds par les liquidateurs étant affectées en priorité aux créanciers de la société fille absorbée ;
  • Evidemment, ce schéma cesse une fois l’apurement du plan et le désintéressement des créanciers de la société fille à l’origine de la levée de l’inaliénabilité du fonds.

Sur le plan juridique, l’idée est séduisante et s’inscrit dans le prolongement de l’arrêt de la chambre criminelle du 25 novembre 2020[4] qui considère que les fautes pénales commises par la fille entre temps absorbée par TUP peuvent être poursuivies sur la société absorbante.

En pratique, l’inaliénabilité du fonds devra apparaître au Kbis de la société absorbante mais de quel fonds s’agit-il ? Si c’était une holding passive, pas de problème, si c’était une holding active avec sa propre activité et donc son propre fonds de commerce, comment différencier son fonds de commerce de celui absorbé ? En somme, comment fixer les frontières de l’inaliénabilité ?


[1] Cass. Com. 12 juillet 2005, n°03-14.809

[2] Cass. Com. 21 février 2006, n°04-10.187

[3] Thierry Favario, La TUP à l’associé unique en cas de dissolution de la société bénéficiaire d’un plan de redressement en cours d’exécution assorti d’une inaliénabilité du fonds : difficile mais pas impossible, Lexbase Affaires, novembre 2024, n°813

B. Ferrari, obs. sous Cass. com., 2 octobre 2024, n° 23-14.912, Dalloz Actualité, 25 octobre 2024

[4] Cass. Crim. 25 novembre 2020, n°18-86.955

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