Il incombe à l’employeur public de prouver les faits fondant une sanction disciplinaire, et ce de manière loyale !

Eloïse LIENART
Eloïse LIENART

Dans un arrêt récent, la Cour administrative d’appel de Marseille rappelle l’importance de l’exigence de loyauté en matière de preuve dans le cadre d’une procédure disciplinaire.

Source : CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 10 janvier 2023, n°21MA00447

En l’espèce, un surveillant du cimetière des Vaudras s’est vu infliger un blâme par un arrêté en date du 18 octobre 2018 pris par le Maire de la commune de Marseille aux motifs qu’il aurait manqué à son devoir d’obéissance ainsi qu’à son devoir de réserve.

Pour infliger cette sanction, le Maire de la commune s’est fondé sur deux notes rédigées par la directrice des opérations funéraires les 24 mai et 7 septembre 2018.

Ces deux notes reprochaient à l’agent des services de la commune de Marseille d’avoir manqué à deux de ses obligations découlant de son statut :

  • d’une part, à son devoir d’obéissance, en ne respectant pas les directives et les consignes de travail, notamment les 16 et 22 mai 2018, en matière de récupération, en refusant systématiquement d’appliquer les règles et en ne cessant pas de se déplacer sur l’ensemble des cimetières en dehors de ses autorisations syndicales ;
  • d’autre part, à son devoir de réserve, en divulguant de fausses informations auprès de ses collègues de travail, notamment le 16 mai 2018, au sujet de la question des jours de récupération.

L’agent sanctionné contestait la sanction qui lui a été infligée aux motifs, notamment, que la matérialité des faits qui lui sont reprochés n’est pas établie et que cette sanction est disproportionnée.

Le Tribunal administratif de Marseille n’a pas fait droit à sa demande tendant à ce que cet arrêté soit annulé.

La Cour administrative d’appel cite d’abord les termes de l’article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version applicable au litige, selon lesquels :

« Toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire (…) »

Elle rappelle ensuite la jurisprudence classique en la matière selon laquelle il appartient au juge de l’excès de pouvoir de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

La Cour précise que sauf disposition législative contraire, l’autorité investie du pouvoir disciplinaire qui doit établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public peut apporter la preuve de ces faits par tout moyen.

Toutefois, elle nuance cette faculté en énonçant que l’employeur public est assujetti à une obligation de loyauté. Ainsi, il ne peut fonder une sanction disciplinaire sur des pièces ou documents obtenus de manière déloyale, sauf si un intérêt public majeur le justifie.

Revenant au cas d’espèce qui lui est soumis, la Cour administrative d’appel de Marseille relève que le Tribunal administratif n’a pas annulé la sanction disciplinaire en accueillant la substitution de motifs demandée par la commune de Marseille.

En effet, le Tribunal a considéré que bien que la matérialité des faits reprochés à l’agent municipal relatifs au non-respect des consignes de travail et de divulgation de fausses informations à ses collègues les 16 et 22 mai 2018 n’était pas établie, le Maire de la commune de Marseille aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur les circonstances que l’intéressé aurait refusé la mise en œuvre de la réforme des rythmes de travail initiée par la commune intimée et se serait obstiné à se prévaloir du précédent système de récupération des jours fériés travaillés, d’une part, et qu’il se serait déplacé dans les autres cimetières en dehors des autorisations syndicales accordées par l’administration, d’autre part.

La Cour relève néanmoins que l’agent municipal n’a pas, contrairement à ce qu’ont relevé les premiers juges, admis la matérialité des deux derniers griefs invoqués.

Également, elle constate que ces faits, rapportés par la directrice des opérations funéraires dans ses notes, n’établissement pas que l’agent aurait personnellement manqué à son devoir d’obéissance hiérarchique, ni qu’il aurait refusé de remplir ses obligations en matière de temps de travail, et qu’ils ne sont corroborés par aucune autre pièce.

La Cour administrative d’appel en conclut que l’agent est fondé à soutenir que c’est à tort que, pour rejeter ses conclusions à fin d’annulation, le Tribunal administratif de Marseille a estimé que le maire de Marseille pouvait fonder sa sanction sur les circonstances énoncées précédemment.

Enfin, la Cour se prononce sur les autres motifs de la décision en litige, en vertu de l’effet dévolutif de l’appel.

Elle considère que le Maire de la commune n’a pu légalement reprocher à son agent de s’être entretenu avec l’adjoint au responsable des cimetières au sujet des heures de récupération le 16 mai 2018, dès lors qu’il a reconnu, dans ses écritures d’appel, que celui-ci était en repos ce jour-là.

Aussi, elle relève que la directrice des opérations funéraires a reconnu, dans sa note du 7 septembre 2018, le caractère infondé du grief tenant à la diffusions de fausses infirmations de la journée du 22 mai 2018, qu’elle avait formulé dans sa note du 24 mai 2018.

Par ailleurs, elle écarte les pièces produites par la commune de Marseille pour la première fois en appel, à savoir un courriel du 16 juillet 2018 du responsable surveillance et sécurité de la direction des opérations funéraires, et deux attestations établies le 12 juillet 2018 par trois agents de cette direction sans respecter les formes prescrites par l’article 202 du code de procédure civile, au motif que ces documents ne sont pas suffisamment précis et circonstanciés pour étayer l’un quelconque des motifs de la décision en litige.

Elle rejette également la demande de substitution de motifs sollicitée par la commune de Marseille qui faisait valoir que l’emploi, dans l’arrêté litigieux, de l’adverbe « notamment », signifie que les faits reprochés à l’agent « n’étaient pas survenus seulement les 16 et 22 mai 2018, mais les 16 et 22 mai 2018 parmi d’autres dates », en considérant qu’elle elle ne livre aucune précision utile sur la consistance ou la date de ces autres faits.

Estimant que l’ensemble des motifs du blâme du 18 octobre 2018 est entaché d’erreurs de fait, la Cour administrative d’appel de Marseille annule le jugement critiqué et l’arrêté litigieux.

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