Liberté d’expression du salarié : l’utilisation d’un ton ironique et narquois dans le but manifeste de mettre l’employeur en difficulté, ne caractérise pas nécessairement un outrepassement des limites.

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

SOURCE : Arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 24 novembre 2021 n°20-18.143 (F-D)

 

Un salarié a été embauché le 21 janvier 2008 dans le cadre d’un contrat à durée indéterminé en qualité de Responsable espace santé, la relation de travail étant soumise à la Convention Collective Nationale des Entreprises de Courtage d’Assurances.

 

Le 12 janvier 2011, le salarié a présenté sa démission en se plaignant du montant de sa rémunération.

 

Son employeur n’ayant pas cherché à le retenir en lui faisant une proposition d’augmentation, il s’est rétracté de cette démission, rétractation qui a été acceptée par l’employeur.

 

Toutefois, à partir de ce moment, les relations entre l’employeur et le salarié vont se dégrader si bien que le salarié va être l’objet d’un premier avertissement le 8 novembre 2013, l’employeur lui reprochant dans le cadre d’un entretien de recadrage, un comportement inapproprié à l’égard de deux de ses collègues. Puis par un second avertissement le 21 décembre 2014, l’employeur notifie au salarié un nouvel avertissement disciplinaire pour deux mails considérés par l’employeur comme inappropriés.

 

Le salarié sera ensuite licencié pour insuffisance professionnelle le 3 juillet 2015 et il va saisir la juridiction prud’hommale en contestation de l’avertissement notifié le 21 décembre 2014 et contestation de son licenciement, réclamant le paiement de diverses sommes à caractère indemnitaire.

 

En Cour d’Appel, cette affaire arrive par devant la Cour d’Appel de Lyon, laquelle dans un arrêt du 29 mars 2019 va infirmer la décision des premiers juges sur l’annulation de l’avertissement disciplinaire du 21 décembre 2014.

 

La cour d’Appel souligne d’une part que le salarié avait attendu le mois de juin 2015 pour contester cet avertissement, ce qu’il n’aurait pas manqué de faire plus tôt s’il avait été vraiment convaincu d’avoir été victime d’une injustice flagrante par cette sanction.

 

D’autre part, la Cour souligne également que par sa rédaction particulièrement ironique, voire narquoise à l’égard de la Direction de l’entreprise et en particulier de la Direction Générale, le salarié avait manifestement pour but de mettre la Direction Générale en difficulté vis-à-vis des cadres supérieurs de son entreprise qui étaient destinataires en copie, de sorte que contrairement au Conseil de Prud’hommes la Cour d’Appel a estimé que par l’usage de ce ton ironique à l’encontre de sa Direction, le salarié a dans ses deux courriels dépassé clairement les limites de son droit d’expression et de critique au sein de l’entreprise, si bien que la sanction d’un avertissement disciplinaire était en l’occurrence parfaitement justifié.

 

En suite de cette décision, le salarié forme un pourvoi en cassation.

 

A l’appui de son pourvoi, le salarié reproche à l’arrêt d’appel d’avoir rejeté sa demande d’annulation de l’avertissement du 21 décembre 2014, prétendant que la liberté d’expression dont le salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, implique que des termes vifs, critiques et ironiques sur la gestion de l’entreprise ne sont pas diffamatoires, injurieux ou excessifs et ne caractérisent donc pas un abus du salarié dans la liberté d’expression.

 

La Chambre Sociale de la Haute Cour va accueillir les prétentions du salarié.

 

Soulignant qu’aux termes de l’article L1121-1 du Code du Travail il résulte que, sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs le salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées, elle censure l’arrêt d’appel pour avoir refusé d’annuler l’avertissement notifié le 21 décembre 2014 au motif que les courriels adressés par le salarié les 14 et 27 novembre 2014 aux cadres de l’entreprise et à la Direction Générale, avaient manifestement pour but de mettre cette dernière en difficulté et que par l’utilisation d’un ton ironique à l’encontre de sa Direction pour critiquer l’incohérence de la politique menée en matière de véhicules de fonction, il a clairement dépassé les limites de son droit d’expression et de critique au sein de l’entreprise, ceci sans avoir constaté que les courriels constatés litigieux comportaient des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs.

 

Par suite, elle casse l’arrêt d’appel sur ce point.

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