Modification des fonctions : modification du contrat de travail ou changement des conditions de travail ?

Dominique Guerin
Dominique Guerin

Deux arrêts rendus le 25 janvier 2023 par la Cour de cassation nous permettent de faire un rapide focus sur cette délicate nuance entre la modification du contrat de travail ou le changement des conditions de travail lorsqu’il s’agit de modifier les fonctions du salarié en poste.

Pour rappel, une modification du contrat de travail ne peut intervenir sans l’accord du salarié ; en revanche, un changement des conditions de travail est une déclinaison du pouvoir de direction de l’employeur qui s’impose au salarié.

L’employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, peut changer la tâche confiée à un salarié dès l’instant où elle correspond à sa qualification ; ce changement ne caractérise pas une modification du contrat de travail.[1]

La Cour de cassation a précisé que le pouvoir de direction de l’employeur n’est pas limité par les fonctions définies dans la fiche de poste du salarié[2] ; la modification du contrat de travails’appréciant au regard des fonctions réellement exercées[3].

Si les nouvelles fonctions font glisser le salarié vers des tâches relevant manifestement d’une autre qualification, le contrat de travail est alors atteint en son objet même.

Dès lors, il s’agit d’une modification du contrat : par exemple, proposer à un salarié occupant le poste de chef de projet au sein de la DRH d’occuper le poste de chef de projet « livraison à domicile et développement de nouveaux services » et de manager de région alimentaire, qui impliquent tous deux une nouvelle organisation et un autre rattachement hiérarchique[4].

Une diminution des responsabilités et des prérogatives constitue une modification du contrat de travail[5].

Les nouvelles fonctions confiées au salarié peuvent relever d’une autre qualification, impliquant, au surplus, un déclassement de ce dernier, nécessairement constitutif d’une modification du contrat de travail[6].

La modification des fonctions affectant la rémunération s’analyse en une modification du contrat.

Dans un premier arrêt du 25 janvier 2023, la Cour de cassation a jugé qu’un changement de fonction ne constitue pas une modification du contrat de travail.

L’employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, peut changer les conditions de travail d’un salarié et la circonstance que la tâche donnée à un salarié soit différente de celle qu’il exécutait antérieurement, dès l’instant qu’elle correspond à sa qualification, ne caractérise pas une modification du contrat de travail. Ayant constaté que, du fait de ses nouvelles fonctions transversales, la position du salarié était inchangée, qu’il n’avait subi aucune rétrogradation ni déclassification démontrée, avait conservé sa rémunération fixe, la cour d’appel a pu décider que ce changement de fonction ne constituait pas une modification de son contrat de travail et que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié produisait les effets d’une démission[7].

En revanche, dans le deuxième arrêt, la Cour de cassation précise: dès lors que la nouvelle affectation implique la suppression d’une l’indemnité de remboursement des frais de déplacement, cette nouvelle occurrence constitue une modification du contrat de travail

Ayant retenu que, dans la mesure où la lettre d’engagement renvoyait explicitement aux conditions générales du personnel, le salarié bénéficiait, de par son contrat de travail, d’un remboursement de ses frais de déplacement, et que l’employeur lui avait indiqué par courrier qu’un véhicule de l’entreprise lui serait attribué pour effectuer ses déplacements professionnels, cette affectation impliquant qu’il n’avait plus à utiliser son véhicule personnel dans l’exercice de ses fonctions et des déplacements y afférents, la cour d’appel a pu en déduire qu’impliquant l’annulation et le remplacement de l’indemnité de remboursement des frais de déplacement, cette mise à disposition constituait une modification du contrat de travail dépassant le simple pouvoir de direction de l’employeur[8].


[1] Cass. soc., 5 nov. 2014, n° 13-18.209

[2] Cass. soc., 7 juill. 2016, n° 15-17.664

[3] Cass. soc., 6 juill. 2010, n° 09-42.557 . – Cass. soc., 9 mars 2017, n° 15-28.431

[4] Cass. soc., 8 juill. 2015, n° 14-10.356. – Cass. soc., 4 nov. 2016, n° 15-18.147

[5] Cass. soc., 10 mai 2012, n° 10-21.690 – Cass. soc., 29 janv. 2014, n° 12-19.479  – Cass. soc., 7 déc. 2017, n° 16-19.982

[6] Cass. soc., 18 oct. 2007, n° 06-45.331 : 

[7] Cass. soc. 25-1-2023 n° 21-18.141 F-D

[8] Cass. soc. 25-1-2023 n° 21-19.169 F-D

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