Requalification d’un acte de vente en donation

Laurent Turon
Laurent Turon

  

Sources : Cass. com., 6 janv. 2015, n° 13-25.049 inédit

 

Cette décision bien qu’inédite s’inscrit dans un mouvement de fond de l’administration fiscale qui semble être suivi de la même manière par le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation.

 

A la base il un a toujours un rédacteur d’acte aussi brillant qu’inventif qui imagine un montage destiné à accréditer une situation (ici vente d’un ensemble immobilier) alors que l’objet est tout autre ( en l’espèce ,donation ).La réponse de l’administration est désormais assez claire : votre acte c’est bien , mais qu’en avez-vous fait ?

 

Démonstration

 

5 avril 1995, un particulier cède à sa nièce, et son époux, un ensemble immobilier moyennant un prix payé comptant pour partie, le solde étant converti en obligation de soins.

 

2000, l’Administration fiscale notifie un redressement aux époux, requalifiant la vente en donation. Elle soutient qu’il existe un faisceau d’éléments prouvant que l’acte de vente cachait en fait une donation. Cela résulte notamment

 

des relations chaleureuses qui existaient les parties avant et pendant la vente,

 

 

du choix du vendeur de restituer aux époux, sous forme de bons anonymes, la partie du prix payé comptant lors de la vente et ce seulement quatre jours après le virement par le notaire,

 

 

de la non-exécution enfin par les époux de l’obligation de soins contenue dans l’acte.

 

 

Après mise en recouvrement des droits de mutation rappelés et rejet de leur réclamation amiable, les époux saisissent le tribunal afin d’être déchargés de cette imposition.

 

La cour d’appel (CA Limoges, 27 juin 2013) accueille cette demande et prononce la décharge de l’imposition :

 

« Attendu enfin que s’il est constant que dès le versement par le notaire des fonds sur le compte de M. C…, celui-ci (témoignage Jean-Paul E…), après avoir effectué des placements anonymes, a remis les titres correspondants aux époux X… dans le coffre desquels ils ont été retrouvés, il ne peut s’en déduire non plus que la vente n’avait pour objet que de cacher une donation ; que s’il est incontestable en effet que le montage utilisé a eu pour conséquence de transférer l’immeuble de M. C… à ses neveux sans que le patrimoine de ces derniers soit diminué du prix de la vente, ce qui avait été retenu par le Tribunal de Grande Instance de Brive pour prononcer la résolution de la vente pour défaut de paiement du prix, il ne peut être exclu toutefois que, en régularisant l’acte de vente, les parties aient cherché à permettre à M. C… de se maintenir dans son immeuble tout en lui assurant les bons soins de sa famille à qui toutefois il entendait garantir, par une donation des fonds lui revenant de la vente, les moyens de respecter l’obligation d’entretien et de soins prévue dans l’acte ; que c’est en ce sens que le tribunal a exactement relevé que, dans cette hypothèse, c’est le transfert anonyme des valeurs à leurs détenteurs qui constituerait une donation et non l’acte de vente qui a effectivement fait rentrer la somme de 450. 000 F dans le patrimoine de M. C…,(…) »

 

Victoire au rédacteur d’acte. Ce sont les opérations réalisées concomitamment à la signature de l’acte qui s’imposent à l’administration fiscale sans qu’il soit nécessaire d’analyser le comportement ultérieur des parties. Pour la qualification de l’acte la forme est donc égale au fond

 

Tel n’est pas l’avis de la Cour de cassation qui censure la juridiction du second degré :

 

« Attendu que, pour accueillir cette demande, l’arrêt relève qu’il ressort du témoignage du notaire que le montage financier de la vente résulte de la volonté d’Eloi X… de disposer de capitaux et de son désir ” qu’on s’occupe de lui ” ; que l’arrêt retient que les éléments du dossier établissent que les relations entre les parties se sont détériorées postérieurement à la vente et qu’il ne peut être déduit de la remise de titres de placements anonymes, par Eloi X…, à M. et Mme Z…, d’un montant correspondant à la partie du prix payée comptant, que la vente dissimulait une donation « ;

La cause et corrélativement la qualification de l’acte doit s’apprécier au regard du comportement global des parties Et sur ce point il faut reconnaitre que dans les faits le patrimoine du vendeur ne s’est pas enrichi du prix de vente et qu’il n’a pas été prouvé que l’obligation de soin avait été respectée.

 

Fin de la partie ? Pas sûr ; la Cour d’appel avait rejeté les dernière conclusions de l’acquéreur qui tendaient à établir que l’obligation de soin avait été respectée tout en lui donnant raison sur le fond.

 

La censure aurait très bien pu ne pas être prononcée dans le cas contraire La leçon a tirée de cette décision est claire: oubliez les principes et prenez votre décision en qualifiant le comportement des parties et rien d’autre.

 

Eric DELFLY

Vivaldi-Avocats

 

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