SOURCE : CE 24 octobre 2014, Sté Unibail-Rodamco, n°361231
Rappelons préalablement qu’en vertu des dispositions de l’article L. 541-2 du Code de l’environnement, il incombe à tout producteur ou détenteur de déchets d’en assurer ou d’en faire assurer la gestion, étant précisé qu’en vertu de l’article L 541-1-1 du Code de l’environnement, il faut entendre par :
« producteur de déchets », toute personne à l’origine du déchet, et précisément, toute personne dont l’activité produit des déchets (producteur initial de déchets), ou qui effectue des opérations de traitement des déchets conduisant à un changement de la nature ou de la composition de ces déchets (producteur subséquent de déchets) ;
« détenteur de déchets », tout intermédiaire de la chaîne d’élimination des déchets, lequel peut être aussi bien le producteur de déchets ou toute autre personne qui se trouve en possession des déchets (ex : l’exploitant de l’installation de stockage intermédiaire, le transporteur de déchets).
Si la responsabilité du détenteur de déchets est ainsi susceptible d’être envisagée à l’égard de tout intermédiaire _ et en toute logique, à l’égard du dernier intermédiaire connu,de la chaîne d’élimination des déchets, la responsabilité du détenteur initial des déchets peut continuer à être recherchée.
C’est ce qu’avait réaffirmé le Conseil d’Etat, dans le prolongement de l’arrêt « La Quinoléine », avec deux arrêts du 13 juillet 2006, SMIR (req. n°281231) et du 11 janvier 2007, Ministre de l’Ecologie et du développement durable (req. n°287674).
En effet, le Conseil d’Etat avait considéré dans ces affaires que la circonstance que le producteur ou le détenteur de déchets avait passé un contrat avec un prestataire en vue d’assurer leur élimination n’était pas de nature à l’exonérer des obligations légales continuant à lui incomber.
Autrement dit, la conclusion d’un tel contrat ne pouvait être considéré comme susceptible d’opérer un transfert de responsabilité conduisant à exonérer le détenteur initial des obligations légales lui incombant.
Par conséquent, le Préfet était en droit dans l’une des deux affaires, de mettre en demeure la société exploitante d’assurer ou de faire assurer l’élimination des 225 tonnes de pneus, en lieu et place du prestataire chargé d’éliminer les déchets mis en liquidation entretemps.
Si la notion de détenteur de déchets peut ainsi s’entendre du détenteur initial ayant pourtant recouru aux services d’un prestataire tiers afin de faire assurer l’exécution des obligations légales lui incombant, cette même notion peut également viser le propriétaire du terrain sur lequel les déchets ont été entreposés.
En effet, dans un arrêt du 26 juillet 2011, Cne de Palais-sur-Vienne (n°328651), le Conseil d’Etat a reconnu au propriétaire du terrain, la qualité de détenteur des déchets, en l’absence d’autre détenteur connu d’une part, et en cas de négligence de la part du propriétaire « à l’égard d’abandons sur son terrain » d’autre part.
Sur la disparition ou l’absence de connaissance du détenteur de déchets, le Conseil d’Etat a ainsi réaffirmé à deux reprises le caractère subsidiaire de la responsabilité du propriétaire du terrain par rapport à celle encourue par le producteur ou les autres détenteurs de déchets (CE, 1er mars 2013, n°348912, M.D ; CE, 1er mars 2013, n°354188, Sté Nationcrédimurs).
Autrement dit, la responsabilité du propriétaire ne peut être recherchée que s’il apparaît que tout autre détenteur de déchets a disparu ou est inconnu.
A cette première condition, s’ajoute celle d’un « comportement négligent » du propriétaire du terrain.
A cet égard, le Conseil d’Etat avait considéré dans un arrêt du 25 septembre 2013, Sté G. (n°358923) que c’était à bon droit que les juges d’appel avaient caractérisé comme tel, en l’espèce, le comportement des propriétaires du terrain , dès lors que ceux-ci :
– s’étaient abstenus de toute surveillance et de tout entretien du terrain en vue, notamment, de limiter les risques de pollution de la Vienne et les risques d’incendie ;
– n’avaient ni procédé à aucun aménagement de nature à faciliter l’accès au site des services de secours et de lutte contre l’incendie, ni pris aucune initiative pour assurer la sécurité du site, ni facilité l’organisation de l’élimination des déchets ;
– et ce alors même que l’ancienne société exploitante avait chargé une entreprise de travaux publics, sans autorisation préalable, d’enfouir les déchets dans les dépressions naturelles du site pour les faire disparaître et avait refusé à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie l’autorisation de pénétrer sur le site pour en évacuer les produits toxiques et en renforcer la sécurité.
Cette nécessité d’un comportement négligent peut par ailleurs être mise en parallèle avec celle d’un comportement fautif exigée par la Cour de cassation (Cas. 3e civ., 11 juillet 2012, n°11-10.478).
Récemment, les contours de la notion de propriétaire/détenteur ont été davantage précisés par l’arrêt du 24 octobre 2014, lequel vient en réalité étendre la responsabilité de ce dernier
En effet, après avoir rappelé que «les producteurs ou autres détenteurs connus des déchets étaient responsables de leurs déchets au sens des dispositions de la loi du 15 juillet 1975, et qu’ « en leur absence, le propriétaire du terrain sur lequel ils avaient été déposés pouvait être regardé comme leur détenteur, au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, et être de ce fait assujetti à l’obligation de les éliminer, notamment si ce dernier avait fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain », le Conseil d’Etat précise immédiatement que sa responsabilité peut être également engagée si le propriétaire « ne pouvait ignorer, à la date à laquelle il est devenu propriétaire de ce terrain, d’une part, l’existence de ces déchets, d’autre part, que la personne y ayant exercé une activité productrice de déchets ne serait pas en mesure de satisfaire à ses obligations ».
Par conséquent, le propriétaire du terrain peut être tenu d’éliminer les déchets présents sur son site, alors même qu’il n’en serait pas à l’origine, à la double condition désormais que :
– les producteurs ou autres détenteurs connus des déchets litigieux aient disparu ou ne soient pas connus ;
– le propriétaire ait eu un comportement négligent à l’égard l’égard des abandons de déchets sur son terrain ou qu’il ne pouvait ignorer, à la date à laquelle il est devenu propriétaire de ce terrain, d’une part, l’existence de ces déchets, d’autre part, que la personne y ayant exercé une activité productrice de déchets ne serait pas en mesure de satisfaire à ses obligations.
Ainsi, alors même qu’aucune négligence ne saurait être retenue à l’encontre du propriétaire, ce dernier pourrait se voir contraint d’éliminer les déchets dès lors qu’ il en avait la connaissance lors de l’achat du terrain.
Stéphanie TRAN
Vivaldi-Avocats