SOURCE : Arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 22 novembre 2017, n° 13-19.855 (FP-P+B+R+I).
Une société de conseil d’ingénierie et de formation spécialisée dans le développement et l’intégration de solutions décisionnelles, appliquant la convention collective des sociétés d’études et de conseil dite SYNTEC, a embauché à compter du 15 juillet 2008, une salariée en qualité d’ingénieur d’étude, sans période d’essai, dans la mesure où cette embauche intervenait à la fin d’un stage de fin d’études effectué au sein de la société.
Dès le début de son stage de fin d’études, son employeur avait alerté la salariée sur le fait que le port du voile pourrait être une source de problème quand elle serait en contact avec la clientèle de l’entreprise.
Au début de son stage, en février 2008, elle s’était présentée non voilée, puis quelques semaines plus tard, s’était mise à porter un bandana, puis très rapidement un voile.
Il lui était alors rappelé par l’entreprise, à plusieurs reprises, que si le port du voile ne posait pas de problème au sein de la société, il en poserait à l’occasion des contacts de la salariée avec les clients de l’entreprise.
La salariée s’étant présentée voilée pour une intervention chez un client de la société, ce client avait alerté l’entreprise indiquant que le port du voile avait gêné un certain nombre de ses collaborateurs et avait demandé à ce qu’elle se présente dorénavant sans son voile.
La salariée ayant réitéré son refus d’ôter son voile pour intervenir en clientèle, la société l’a convoquée à un entretien préalable le 17 juin 2009, puis lui notifiait son licenciement le 22 juin 2009 pour cause réelle et sérieuse, sans toutefois lui régler l’indemnité d’un préavis qu’elle ne pouvait pas effectuer, dans la mesure où elle persistait à ne pas vouloir enlever son voile en clientèle.
Contestant son licenciement, la salariée a saisi le Conseil des Prud’hommes de PARIS, lequel va la débouter de l’ensemble de ses demandes, hormis celle concernant le paiement du préavis.
En cause d’appel, cette affaire arrive par-devant la Cour d’Appel de PARIS, laquelle, dans un Arrêt du 18 avril 2013, va confirmer la décision des Premiers Juges, considérant que la restriction que l’employeur avait posé à la liberté de la salariée de manifester ses convictions religieuses par sa tenue vestimentaire, a été proportionné au but recherché puisque seulement limité au contact avec la clientèle, les travaux effectués dans ses locaux par un ingénieur d’étude portant un voile ne lui créant aucune difficulté.
Par suite, la Cour d’Appel considère que le licenciement de la salarié ne procède pas d’une discrimination tenant à ses convictions religieuses puisque la salariée était autorisée à continuer à les exprimer au sein de l’entreprise, mais qu’il était justifié par une restriction légitime procédant des intérêts de l’entreprise, alors que la liberté donnée à la salariée de manifester ses convictions religieuses débordait le périmètre de l’entreprise et empiétait sur les sensibilités de ses clients et donc sur les droits d’autrui.
Par suite, la Cour d’Appel considère que le licenciement ne repose pas sur une discrimination, mais sur une cause réelle et sérieuse tenant au refus de la salariée de se conformer à la demande légitime de son employeur d’ôter son voile lorsqu’elle se trouvait au contact de la clientèle.
En conséquence, la Cour rejette les demandes de la salariée d’indemnisation pour licenciement nul, licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et licenciement vexatoire.
Ensuite de cette décision, la salariée forme un pourvoi en Cassation.
Dans le cadre de ce pourvoi, la Cour de Cassation saisit la Cour de Justice de l’Union Européenne d’une question préjudicielle quant à l’interprétation des dispositions de la directive 78/2000/CE du 27 novembre 2000.
La CJUE va préciser dans deux Arrêts du 14 mars 2017 :
– « L’article 4, paragraphe 1 de la directive 2000/78/ce du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de cette disposition » (CJUE, Asma BOUGNAOUI, aff. C-188/15) ;
– « L’article 2, paragraphe 2 sous a), de la directive 2000/78/ce du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que l’interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d’une règle interne d’une entreprise privée interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions au sens de cette directive ; qu’en revanche, une telle règle interne d’une entreprise privée est susceptible de constituer une discrimination indirecte au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78/CE s’il est établi que l’obligation en apparence neutre qu’elle prévoit entraîne, en fait, un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse, et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ce qu’il appartient à la Juridiction de renvoi de vérifier » (CJUE, G4S Secure Solutions, C-157/15).
C’est ainsi que tenant compte des précisions apportées par la Cour de Justice de l’Union Européenne, la Chambre Sociale par l’arrêt susvisé du 22 novembre 2017, casse et annule l’Arrêt d’Appel énonçant que l’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail, l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l’article L.1321-1 du Code du Travail, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients, et qu’en présence du refus d’une salariée de se conformer à une telle clause dans l’exercice de ses activités professionnelles auprès des clients de l’entreprise, il appartient à l’employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer à la salariée un poste de travail n’impliquant de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement.
En effet, la Cour d’Appel avait relevé qu’aucune clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail n’était prévue dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service, et que l’interdiction faite à la salariée de porter le foulard islamique dans ses contacts avec les clients, résultait seulement d’un ordre oral et visait un signe religieux terminé, ce dont il résultait l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses, de sorte qu’en statuant ainsi la Cour d’Appel a méconnu la portée des textes applicables.
Christine MARTIN
Associée
Vivaldi-Avocats