Lorsqu’un dirigeant est remercié, attention à ne pas « mettre la charrue avant les bœufs »… et notamment, il convient de rester prudent lorsqu’on recherche le successeur d’un dirigeant qui n’a pas…. encore été révoqué.
CA Poitiers, 2e ch., 25 avr. 2023, n° 22/00108.
I –
Une SARL est gérée par plusieurs cogérant. L’un d’entre eux, qui avait précédemment rejoint les équipes de ventes en qualité de salarié (responsable de magasin), reçoit par lettre recommandée, une missive qui explique les graves négligences qui lui sont reprochées, engendrant une mise en danger du personnel et de la clientèle, en l’occurrence, le défaut d’encaissement quotidien des espèces à la banque.
Il recevait alors une convocation à l’assemblée générale des associés, laquelle avait pour ordre du jour exclusif, sa révocation. Mécontent, il attrait la SARL devant la juridiction consulaire.
L’une des questions posées aux juges était de déterminer si, au regard des circonstances, la révocation pouvait être qualifiée de « dépourvue de justes motifs ou d’abusives ».
II –
Le Code de commerce prévoit à l’article L223-25, qu’un gérant de SARL peut être certes librement révoqué, mais qu’en l’absence de juste motif, la révocation pourrait donner lieu à des dommages et intérêts.
Les associés statuent donc librement, et à tous moment, avec toutefois les garde-fous suivants:
- La révocation doit être loyale dans ses modalités organisationnelles,
- Mais aussi, ne doit être ni abusive, ni dépourvue de juste motif.
La jurisprudence a déjà pu encadrer ce régime juridique, par divers arrêts de principe. Par exemple, elle exige une certaine loyauté dans les modalités d’organisation de la convocation.
En l’occurrence, le gérant doit avoir eu connaissance des motifs de sa révocation, et doit avoir eu l’occasion de présenter ses observations avant le passage au vote des associés[1]. Concrètement, si des fautes lui sont reprochées, il doit pouvoir les connaitre au préalable, pour être invité à se justifier sur ces points précis.
De surcroit, le caractère abusif d’une révocation de gérant de SARL fait l’objet d’une pléthore de jurisprudence.
La Haute juridiction a notamment jugée abusive la décision de révocation inspirée par une intention vexatoire et contraire à l’intérêt social, qui caractérise une volonté de nuire, elle-même constitutive d’une faute[2].
Quand peut-on alors illustrer une intention vexatoire ?
C’est l’objet du présent arrêt.
III –
Débouté en première instance, l’ancien cogérant interjette appel ceci, et maintient sa demande de dommages et intérêts au titre de la révocation sans juste motif, et également au titre de la révocation abusive.
Les juges de la Cour d’Appel du Poitou ont donc pu considérer, au visa du texte susmentionné :
- Que le juste motif peut résulter d’une faute du gérant, et plus particulièrement lorsque celle-ci se rattache à l’exercice de ses fonctions, ou un manquement à une obligation légale ou statutaire,
- Qu’un rapport mets en évidence les négligences des cogérants, dans le respect des processus internes d’encaissement des espèces. Il ressort dudit rapport les défaillances personnelles du cogérant visé par la demande de révocation.
- Ainsi donc, que ces circonstances caractérisent un juste motif lequel permettait de justifier sa révocation es qualité de mandataire social.
L’ancien cogérant est alors débouté de sa stricte demande au titre de son préjudice matériel, et le jugement des premiers juges est confirmé sur ce point.
En revanche, les juges du second degré reviennent sur le caractère brutal, abusif et vexatoire de la révocation. Ils affirment alors que :
« La révocation d’un gérant peut intervenir à tout moment, et n’est abusive que si elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions portant atteinte à son honneur ou à sa réputation ou si elle a été décidée brutalement, sans respecter l’obligation de loyauté dans l’exercice du droit de révocation.
Un gérant concerné par un projet de révocation doit :
- Être convoqué à la réunion des associés en AG,
- Être en mesure de connaitre les griefs qui lui sont reprochés avant le vote, et de présenter ses observations aux associés (Cf. Supra).
Les juges rappellent néanmoins que :
« (…) si le manquement de la société à son obligation de loyauté est de nature à constituer une faute délictuelle, cet éventuel manquement n’emporte en lui-même aucune conséquence quant à la justesse des motifs de la révocation ».
L’ancien cogérant reproche à la société les circonstances brutales et déloyales qui entourent sa révocation de la SARL, et reproches moultes événements, qui n’ont pas été retenu par les juges du second degré. En revanche, l’un des éléments a été retenu à charge de la société.
Le jour même de la convocation en assemblée générale pour que les associés votent la révocation, une annonce est publiée pour recruter un responsable de magasin. L’offre d’emploi concernait le métier justement exercé par l’ancien cogérant remercié, en sus de son mandat social.
La société s’est défendue en insistant sur le fait que (i) cette annonce était guidée par un soucis de bonne gestion de l’entreprise en attendant la décision des associés, et (ii) que de surcroit, le poste n’a été pourvu qu’après la révocation du cogérant. Ces arguments n’ont pourtant pas trouvé écho dans l’oreille des juges du second degré.
La Cour d’Appel a donc jugé que :
« (…) en publiant, le jour même de sa convocation à l’assemblée générale ayant pour objet sa révocation de ses fonctions de gérant, une offre d’emploi sur le poste occupé par le gérant, la société X, a ainsi laissé présumer, de surcroît publiquement, la décision qu’elle prendrait à cet égard en assemblée générale.
Cette circonstance, seule à être vexatoire, a ainsi généré du chef de Monsieur [B] un préjudice moral, qui sera entièrement réparé par une indemnité de XX euros (…) »
La moralité : Ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué.
Annoncer la recherche d’un successeur à un dirigeant qui n’est pas encore révoqué, et qui bénéficie encore du droit à se défendre des griefs émis à son encontre, est considéré comme une circonstance vexatoire pouvant justifier la condamnation de la société au versement de dommages et intérêts.
Ne ratez plus l’actualité !
Abonnez-vous à notre newsletter hebdomadaire, personnalisable en fonction des thèmes qui vous intéressent : Baux commerciaux, banque, sociétés, immobilier, ressources humaines, fiscalité… tout y est !
[1] C.Cass, Com, 29 Septembre 2015, N014.11.491
[2] C.Cass, Com, 29 Mai 1972, N°70.14.186