Revirement de jurisprudence de la Cour de Cassation sur l’obligation de l’employeur de reclasser un salarié déclaré inapte par le médecin du travail.

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

 

SOURCE :

Cass Soc, 23 novembre 2016, n°15-18.092 (FS-P+B+R+I)

Cass Soc., 23 novembre 2016, n° 14-26.398 (FS-P+B+R+I)

 

Deux espèces similaires ont été soumises au visa de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation.

 

1. Dans la première espèce (14-26.398), un salarié embauché par la société LIDL en qualité de préparateur de commande au sein d’un entrepôt, a été victime d’un accident de travail le 16 août 2010.

 

Lors de la visite de reprise effectuée le 10 janvier 2011, il a été déclaré inapte à son poste de travail avec danger immédiat.

 

A la suite de cet avis d’inaptitude, la société LIDL va interroger le médecin du travail afin de l’interroger sur les possibilités de reclassement du salarié. Le médecin du travail répondra qu’un poste d’employé administratif sans contrainte posturale avec possibilité d’alterner station assise et station debout pourrait correspondre aux capacités restantes du salarié.

 

Par suite, l’employeur va proposer au salarié six postes de reclassement conformes aux prescriptions du médecin du travail, tout d’abord dans le cadre d’un entretien puis par lettre confirmant ces propositions.

 

Par un courrier du 8 mars 2011, le salarié va informer la société qu’il était dans l’obligation de refuser les postes qui lui étaient proposés au motif d’une part, qu’ils étaient trop éloignés et d’autre part, qu’ils étaient hors de ses compétences professionnelles.

 

Licencié pour inaptitude par lettre du 25 mars 2011, le salarié va saisir le Conseil de Prud’hommes, contestant le motif réel et sérieux de son licenciement.

 

Ses prétentions vont être rejetées par la Cour d’Appel de DIJON, laquelle, dans un arrêt du 9 septembre 2014, va considérer que le salarié n’était pas fondé à reprocher à son employeur de ne pas avoir effectué de recherches de reclassement sur des postes basés à l’étranger, dans la mesure où il avait refusé six postes basés en France en raison de leur éloignement géographique.

 

2. Dans la deuxième espèce (15-18.092), une salariée avait été engagée, toujours par la société LIDL, dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée à temps partiel, transformés par avenant en contrat à durée indéterminée à compter du 4 janvier 2004, aux fonctions de caissière employée libre service.

 

A la suite d’un premier avis du 21 juin 2011, la salariée va être déclarée inapte par la médecine du travail, inaptitude confirmée par un deuxième avis du 2 août 2011 où la salariée va être déclarée inapte définitivement à son poste, le médecin du travail précisant qu’elle pouvait exercer un travail sans appui prolongé sur le pied droit en limitant la marche et la station debout prolongée.

 

Après consultation des délégués du personnel, l’employeur va procéder à une recherche de poste au sein de l’ensemble des directions régionales et du siège de l’entreprise en orientant sa recherche sur des postes de type administratif.

 

C’est ainsi qu’au cours d’un entretien du 30 août 2011, confirmé par un courrier du 31 août 2011, l’employeur va proposer à la salariée six postes de reclassement de type administratif situés à STRASBOURG, en des termes suffisamment précis pour lui permettre de prendre utilement position.

 

La salariée ne va pas répondre à ces propositions, de sorte que par un courrier du 16 septembre 2011, la société LIDL considérait qu’elle les refusait.

 

Par suite, la salariée était licenciée par un courrier du 6 octobre 2011 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

 

Le 15 février 2012, la salariée saisissait le Conseil de Prud’hommes pour contester son licenciement.

 

Déboutée par les premiers juges en date du 1er juillet 2013, la salariée interjette appel de la décision.

 

Saisie de cette affaire en cause d’appel, la Cour d’Appel de BORDEAUX, dans un arrêt du 12 mars 2015, ne va pas plus accueillir les prétentions de la salariée, relevant que son absence de réponse, alors que la salariée avait bénéficié d’un temps suffisant pour pouvoir utilement prendre sa décision, a été exactement considérée comme valant refus de la salariée à ces postes, relevant également que l’employeur proposait une formation complémentaire, de sorte que la salariée ne pouvait faire grief à son employeur de ne pas avoir étendu ses recherches aux seules sociétés européennes du Groupe.

 

3. En suite de ces décisions, les salariés forment un pourvoi en cassation.

 

A l’appui de leurs pourvois, les deux salariés contestent tous les deux leur licenciement considérant, en se fondant sur la jurisprudence antérieure de la Cour de Cassation, que l’employeur avait manqué à son obligation de reclassement en abandonnant ses recherches de postes de reclassement et notamment de postes basés à l’étranger au motif pour le premier salarié, qu’il avait refusé l’ensemble des postes de reclassement proposés en France et pour l’autre salariée qu’elle n’avait pas répondu aux postes de reclassement proposés sur la France.

 

Dans les deux arrêts de la Chambre Sociale rendus le 23 novembre 2016, celle-ci va formuler de la même façon sa nouvelle position de principe : « peut tenir compte de la position prise par le salarié déclaré inapte par le médecin du travail, l’employeur auquel il appartient de justifier qu’il n’a pu le reclasser dans un emploi approprié à ses capacités au terme d’une recherche sérieuse, effectuée au sein de l’entreprise ou des entreprises dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation permettent, en raison des relations qui existent entre elles, d’y effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. »

 

La Chambre sociale affirme en outre le pouvoir souverain des juges du fond dans l’appréciation du caractère sérieux de la recherche de reclassement. 

 

Par suite, dans la première espèce, relevant qu’ayant constaté que le salarié avait refusé des postes proposés en France en raison de leur éloignement de son domicile et n’avait pas eu la volonté d’être reclassé à l’étranger et, relevant pour la deuxième espèce que la salariée n’avait pas accepté des postes à STRASBOURG et fait ressortir qu’elle n’avait pas eu la volonté d’être reclassée au niveau du Groupe, dans chacun des cas, les Cours d’Appel ont souverainement retenu que l’employeur avait procédé à une recherche sérieuse de reclassement.

 

En conséquence, la Chambre Sociale rejette le pourvoi pour l’une et rejette le pourvoi sur ce point uniquement pour l’autre.

 

En suite de ce revirement de jurisprudence de la Chambre Sociale quant au reclassement du salarié déclaré inapte, il est bien évident que l’on attend avec impatience de savoir si la Chambre Sociale infirmera également sa jurisprudence pour ce qui concerne le reclassement des salariés en cas de motif économique de licenciement.

 

Christine MARTIN

Associée

Vivaldi-Avocats

 

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