SOURCE : Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 8 avril 2015, 14-11.129, Inédit
Il n’est pas rare qu’un notaire soit sollicité pour recevoir la vente d’un immeuble faisant l’objet d’un contrat qui, selon le propriétaire, serait résilié ou résolu pour inexécution. Certes, reconnaît par exemple un ancien bailleur, l’immeuble était loué mais aujourd’hui il ne l’est plus. Tel Saint-Thomas, le notaire doit vérifier ce que prétend le propriétaire et s’assurer que le contrat en question, quelle que soit sa nature, a bien pris fin. Si le propriétaire, généralement un bailleur, soutient que le contrat est résolu pour inexécution et que le locataire est désormais en procédure collective, il reviendra au praticien de rechercher dans quelle mesure le droit de l‘entreprise en difficulté contrarie ou non l’anéantissement du contrat.
Un arrêt récent permet de répondre à cette question sensible dans le cas particulier d’un crédit-bail immobilier. En espèce, un juge des référés avait constaté l’acquisition de la clause résolutoire insérée dans le contrat et ordonné l’expulsion du preneur mais ce dernier avait interjeté appel avant d’être mis peu de temps après en liquidation judiciaire. La demande du bailleur sera rejetée en appel au motif qu’au jour de l’ouverture de la liquidation judiciaire du preneur, l’acquisition de la clause résolutoire pour défaut de paiement de loyers de crédit-bail immobilier n’avait pas été constatée par une décision passée en force de chose jugée. L’arrêt d’appel sera cassé par la Cour de cassation au visa de l’article 1134 du Code civil et de l’article L. 622-21 du Code de commerce dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 18 décembre 2008 : « l’article L. 622-21 du Code de commerce ne fait pas obstacle à l’action aux fins de constat de la résolution d’un contrat de crédit-bail immobilier par application d’une clause résolutoire de plein droit qui a produit ses effets avant le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire du crédit-preneur ».
Explication : l’article L. 622-21, texte de la sauvegarde qui joue pour toute procédure collective, prévoit que le jugement d’ouverture interdit, notamment aux créanciers antérieurs, toute action en justice tendant à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent. Tout contractant impayé ne peut donc plus demander la résolution du contrat ou invoquer le bénéfice d’une clause résolutoire ; la règle est générale et vaut pour un vendeur qui n’aurait pas touché son prix ou un bailleur – quelle que soit la nature du bail – qui, au jour de la procédure collective ne serait plus payé de ses loyers. Reste que, comme en ‘espèce, la procédure collective s’ouvre souvent alors que la résolution est en cours. Or, si celle-ci est définitivement acquise avant l’ouverture de la procédure collective, l’article L. 622-21 n’a plus d’effet : s’il interdit d’agir en résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent, il ne saurait faire renaitre un contrat qui serait d’ores et déjà définitivement résolu. D’où la question fondamentale : quand peut-on dire qu’un contrat est définitivement résolu ? La réponse qu’apporte la Cour de cassation est tout en nuance.
En matière de bail commercial, elle a jugé par un arrêt du 12 juin 1990 qui continue de faire référence que « dès lors qu’à la date du jugement d’ouverture, la décision ordonnant la résiliation du bail n’est pas encore passée en force de chose jugée, et qu’en application de la règle de l’arrêt des poursuites individuelles, l’action tendant à la constatation de la résiliation ne peut plus être poursuivie, la demande introduite par le bailleur ne peut plus être accueillie au motif que cette action a pour cause des loyers échus antérieurement au jugement d’ouverture » (Com. 12 juin 1990 : Bull. civ. IV n° 172 ; D. 1990. 450 note Derrida). Stratégiquement, il suffit donc pour le preneur de faire appel de la décision constatant le jeu de la clause résolutoire, puis de déposer le bilan pour empêcher la résolution du contrat. Le fait que la décision constatant l’acquisition de la clause résolutoire soit une ordonnance de référé exécutoire à titre provisoire n’y change rien (Comm. 28 octobre 2008 : Bull. civ. IV n° 184 D. 2008. AJ 2865, obs. Lienhard, Gazette du Palais 21 et 22 janvier 2009 page 32 obs. Kendérian et 6 et 7 février 2009, page 32 note C-E Brault ; Ad. Cass. 3° civ. 17 mai 2011 AJDI 2011, page 698, obs. N-P Dumont-Lefrand ; Gazette du Palais 7 et 8 octobre 2011, page 125, note F. Kendérian).
Cette « jurisprudence défavorable aux intérêts du bailleur » (F. Kendérian in Jurisclasseur notarial répertoire « Bail à loyer » fasc. 1286-10 n° 19) s’explique par l’article L. 145-41 du Code de commerce qui permet de « suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l’autorité de la chose jugée », le texte ajoutant que « la clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge ». Tant qu’il n’y a pas cette « décision de justice ayant acquis l’autorité de la chose jugée », le bailleur ne peut donc soutenir que la résolution est acquise.
Reste que ce sauvetage judiciaire du contrat suppose un bail soumis à l’article L. 145-41 du Code de commerce ; pour les autres contrats, si la clause résolutoire a joué avant le jugement d’ouverture, force est d’admettre que la résolution est acquise même si elle n’est pas encore constatée judiciairement. C’est ce qui explique qu’en matière de vente en viager, il a été jugé par la Cour de cassation que la règle de la suspension des poursuites individuelles n’empêche pas la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire du contrat au jour du jugement d’ouverture pour défaut de paiement des arrérages échus antérieurement à la procédure (Cass. Com. 8 décembre 1998, Actualité des procédures collectives 1999, N° 19. Comp. 2 mars 1999 Actualité des procédures collectives 1999 n° 91, obs. Vallansan, Revue des procédures collectives 2000.13, obs. Macorig-Venier ; Ad. Notre étude in Droit et Patrimoine avril 2001 page 45). De même a-t-il été jugé que l’article L. 622-21 com. ne s’oppose pas à ce qu’un tribunal constate, après le jugement d’ouverture à l’encontre de l’acheteur, l’acquisition, pour défaut de paiement d’une fraction du prix, de la clause résolutoire insérée dans l’acte de vente de biens immobiliers, dès lors que n’est pas en cause la résiliation du bail d’un immeuble affecté à l’activité de l’entreprise en liquidation judicaire (Cass. Com. 5 avril 1994 : D. 1994. IR. 174).
L’arrêt sous examen confirme ce distinguo : parce qu’il s’agit d’un crédit-bail immobilier, il n’est pas interdit de faire judiciairement constaté après le jugement d’ouverture le jeu antérieur de la clause résolutoire. Evidemment, la solution ne remet nullement en cause la jurisprudence rendue en matière de bail commercial ; elle se justifie par l’absence de disposition équivalente à l’article L. 145-41 du Code de commerce.
Le praticien, pressé par un vendeur d’acter, se souviendra de cette distinction : si le propriétaire soutient qu’il peut vendre un immeuble qui faisait l’objet d‘un contrat de crédit-bail immobilier, d’un contrat de vente en viager ou encore d’un bail à construction, il lui appartient d’établir qu’il a mis en œuvre la clause résolutoire et qu’elle a produit effet avant la procédure collective. Evidemment, il sera toujours prudent de vendre sous condition suspensive d’obtention d‘une décision constatant l’acquisition de la clause puisqu’à défaut, l’appréciation du jeu de la clause résolutoire se ferait sous la responsabilité du notaire.
S’il s’agit d’un bail commercial, la vente de l’immeuble présentée comme libre d’occupation, supposera de vérifier, à l’aide d’un certificat de non-appel, que la décision constatant le jeu de la clause résolutoire est bien passée en force de chose jugée avant le jugement d’ouverture ; si un appel était formé ou si a fortiori une telle décision n’était pas rendue, la procédure collective du vendeur empêcherait de soutenir que le bail est résolu.
Frédéric VAUVILLE
Vivaldi-Avocats