Renonciation anticipée à un dispositif d’ordre public

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : CA COLMAR, Ch1 Sect B, 4 juillet 2012, n°11/02844, SA Adidas France c/ SCI Ilot de la Rose 1, Jurisdata n°2012-019319,

JCP E n°40 du 4 octobre 2012 p44, note Dannenberger ;

D 2012 n°33 du 27 septembre 2012, p2165, note Dannenberger 

 

En l’espèce, la société Adidas souhaitait obtenir un emplacement de première qualité dans l’hypercentre strasbourgeois. Après d’intenses négociations avec un bailleur, Adidas obtient de ce denier le non renouvellement du bail de ses preneurs avec offre d’une indemnité d’éviction, fixée à 2 M€. En contrepartie de ces diligences du bailleur, Adidas renonçait et s’interdisait expressément de demander une diminution du loyer pour quelques motifs et sur quelques fondements que ce soit, ce qui avait été consigné dans le bail, et versait au bailleur un pas de porte de 675.000 euros. Adidas a ainsi payé pendant 5 ans le loyer fixé en référence au loyer initial indexé, avant d’en demander la révision sur le fondement de l’article L145-39 du Code de commerce, le montant du loyer ayant évolué de plus de 25%.

 

La Cour d’appel de COLMAR, confirmant la décision du Juge des loyers, la déboute de ses prétentions en considérant qu’Adidas avait renoncé, à la lecture des stipulations du bail confirmées par un paiement des loyers sans contestation pendant 5 ans, au bénéfice des dispositions statutaires d’ordre public concernant la demande de révision du loyer.  Selon les juges du fond, elle « ne pouvait donc pas obtenir une révision du loyer ayant pour effet une diminution du loyer de base affecté des variations de l’indice choisi contractuellement ».

 

Comme le relève Monsieur Dannenberger, cette décision, qui se démarque en ce qu’elle admet une renonciation explicite consentie par avance, « ne semble pas conforme à la jurisprudence en matière de dispositifs d’ordre public » puisque, nous le savons, le droit doit être né et actuel pour que son titulaire puisse y renoncer[1]. La position des juges colmariens semble d’avantage dictée par un souci d’équité en considération du déroulement des faits :

 

– C’est Adidas qui souhaitait absolument prendre à bail un ensemble de locaux

– La demande d’Adidas a amené le bailleur au paiement d’une indemnité d’éviction de 2M€ ;

– Cette indemnité n’a été que faiblement compensée par le versement du pas de porte d’Adidas (675.000€), qui aurait du être redevable, si la SCI n’y avait pas renoncé au titre du pas de porte, des montants des indemnités d’éviction.

– Enseigne de renommée internationale, efficacement conseillée, Adidas ne pouvait ignorer la porté de la renonciation contenue dans le bail et ne saurait être protégée.

– La renonciation d’Adidas avait une contrepartie réelle et était donnée sans équivoque ;

 

En résumé, les juges du fonds considèrent qu’une entité économiquement puissante peut parfaitement renoncer dans le contrat de bail à un droit d’ordre public. Si comme le relève Monsieur Dannenberger, cette solution semble économiquement fondée, le preneur étant loin d’être en position de faiblesse dans le cadre de la négociation, les juges du fond sont toutefois conscients qu’une telle position a peu de chances de résister à la censure de la Cour de cassation. En conséquence, la Cour d’appel s’est, de fait, réservé une échappatoire, en constatant également la renonciation postérieure d’Adidas aux dispositions précitées, constituée par un paiement, pendant 5 ans, du loyer initial indexé.

 

Une solution simple aurait toutefois pu être trouvée par le bailleur lors de la conclusion du bail, afin de ne pas enfreindre les dispositions impératives du Statut des baux commerciaux, (outre bien entendu la prise en charge par le preneur des frais relatifs au versement d’une indemnité d’éviction) :

 

– l’insertion d’une clause dans le bail, selon laquelle le loyer issu de l’application de la clause d’indexation sera plafonné à 124% du loyer initial, de sorte de ne pouvoir évoluer de 25 % ou plus.

 

– l’insertion d’une clause dans le bail prévoyant que le loyer ne saurait évoluer qu’à la hausse, sous toutes réserves, puisque la Cour de cassation ne s’est pas encore positionnée sur ce point. Or l’appréciation des juges du fond est mitigée[2] sur la question de la validité de telles clauses qui feraient échec aux dispositions d’ordre public édictées par l’article L145-39 du Code de commerce. Tel n’est cependant pas notre avis[3].

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats

 



[2] Pour la validité de telles clauses, cf CA Douai, Ch 2 Sect 2, 21 janvier 2010, n°08/08568 ; pour la nullité, cf CA Colmar, Ch1, 22 avril 1981

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