Refus de concours de la force publique

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

 

SOURCE : CE, 5ème sous section, 13 décembre 2013, n°354807

 

Sous peine de voir sa responsabilité engagée, et de supporter le coût de l’indemnisation du préjudice subi par le justiciable, l’Etat est tenu de prêter son concours aux opérations d’exécution des décisions de justice.

Ce principe de responsabilité sans faute, dégagé dans l’arrêt Couiteas[1] est repris à l’article 16 de la loi no 91-650 du 9 juillet 1991.

 

L’indemnisation portera sur tout le préjudice résultant de l’inaction de l’Etat, et rien que ce préjudice[2], qu’il appartiendra au juge administratif d’évaluer.

 

Cette distinction entre préjudice indemnisable et non indemnisable n’est toutefois pas aisée, comme l’illustre le présent arrêt :

 

Un immeuble occupé sans droit ni titre a été acquis par un investisseur souhaitant le rénover et le revendre. Après avoir vainement sollicité le concours de la force public, l’investisseur a saisi les juridictions administratives.

 

Il sollicitait l’indemnisation de 3 postes de préjudice :

 

– Une privation de jouissance des lieux acquis ;

 

– Des frais engagés pour obtenir des autorisations d’urbanisme, exposés en pure perte (un permis de démolir et un permis de construire) ;

 

– Les frais d’architecte y afférant ;

 

– Un perte d’un avantage fiscal, à savoir le régime des achats d’immeuble en vue de leur revente.

 

Pour le Tribunal administratif de Montreuil, seul le préjudice relatif à la perte de jouissance du bien loué doit être indemnisé, à l’exclusion des trois autres préjudices :

 

S’agissant des autorisations d’urbanisme et des frais d’architecte, le Tribunal retient que ces frais avaient été imprudemment exposés par la requérante, qui aurait du attendre le concours de la force public et l’expulsion corrélative des occupants pour y procéder ;

 

Concernant les avantages fiscaux, le Tribunal relève qu’aucune tentative de vente de l’immeuble n’est justifié par la requérante dans le délai de 4 ans. Il reproche également à l’investisseur de ne pas démontrer que la revente a été empêchée par l’inaction de l’Etat.

 

Saisi d’un pourvoi de l’investisseur, le Conseil d’Etat annule le jugement, élargissant l’indemnisation de l’investisseur :

 

Pour les autorisations d’urbanisme, le simple fait qu’à l’expiration de ces autorisations, la période de responsabilité de l’Etat avait commencé, suffit à retenir sa responsabilité. L’Etat devra donc rembourser les sommes ainsi versées au titre des dépôts de permis de démolir et construire ;

 

Pour les avantages fiscaux, le Conseil d’Etat relève que l’investisseur ne pouvait vendre le bien occupé sans renoncer au bénéfice escompté d’une revente après rénovation. En conséquence, l’absence de revente dans les délais, ayant entrainé la perte de l’avantage fiscal, est bien inhérente à l’inaction de l’Administration.

 

En revanche, le Conseil d’Etat considère qu’il n’y a pas de préjudice dans l’engagement de frais d’architecte, lesquels n’ont pas été exposés en pure perte, dès lors que les documents réalisés par l’architecte demeurent d’actualité pour les opérations de rénovations à réaliser à compter de l’évacuation des lieux.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats

 


[1] CE sect., 30 nov. 1923, no 38284, Couïtéas, Rec. CE 1923, p. 789

[2] CE, 16 févr. 2000, no 147948, Rec. CE 2000, tables, p. 1230

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