La Cour de cassation s’interroge sur les conséquences juridiques pour la société, lorsqu’un dirigeant s’engage et signe un document, sans apposer la mention de son statut c’est-à-dire sans la mention « en qualité de dirigeant de la société X ».
C.Cass civile, Chambre commerciale, 11 octobre 2023, 22-12.946, Inédit
Ce nouvel arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, quoi que classé « inédit », revient sur les limites du pouvoir de représentation d’un dirigeant, et plus particulièrement celui d’un Président de SAS.
L’article L227-6 du Code de commerce prévoit, dans ses deux premiers alinéas, deux règles juridiques qui nous intéressent :
« La société est représentée à l’égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts. Le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l’objet social.
Dans les rapports avec les tiers, la société est engagée même par les actes du président qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que le tiers savait que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve ».
Le Président est en effet investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société, sans toutefois pouvoir dépasser les limites prévues par l’objet social fixé dans les statuts.
S’il outrepasse quand même ces limites fixées par les statuts, il pourra néanmoins engager la société, mais encore faut-il qu’il l’ait engagée « es qualité de Président ».
En pratique, si le mandataire social entend engager la société dans un acte qu’il accomplit, il doit le faire en sa qualité de « Président ». Sa seule signature sur un acte ne peut suffire à engager la société pour laquelle il bénéficie d’un mandat social.
C’est la raison pour laquelle il est régulièrement indiqué sur les contrats, lettre ou document émanent d’une personne physique, pour le compte d’une société la mention suivante : « Monsieur ou Madame X, en qualité de Président(e) de la société XY ».
Quelles sont les conséquences juridiques de l’absence de la mention de la qualité du signataire ?
Peut-on considérer qu’il appartient au tiers contractant de démontrer que le dirigeant a eu et manifesté la volonté d’agir comme tel, au nom et pour le compte de la société, renversant ainsi la charge de la preuve ? C’est tout l’objet de cette nouvelle jurisprudence.
Au cas d’espèce, les demandeurs au pourvoi ont tenté d’expliquer :
« qu’une société est engagée par l’acte accompli par son dirigeant dès lors qu’il résulte, soit de l’acte lui-même, soit de toute autre circonstance, que le dirigeant a entendu agir pour le compte de la société ».
Pour simplifier le cas d’espèce, les faits sont résumés brièvement de la manière suivante :
- 1. Deux sociétés ont conclu un contrat faisant suite à un appel d’offre, pour la réalisation de différents lots. La société A, SAS représentée par la société B, voulait résilier ce contrat.
- 2. Par le truchement de son propre Président personne physique, la société B établit une lettre avec son papier à entête, laquelle est signée par le représentant légal de la société B, qui ne se présente que comme tel…
Sauf que :
- la lettre de résiliation ne fait pas référence à la qualité de la société B, laquelle est pourtant Présidente de la société A.
- et la société B n’est pas partie au contrat, donc en elle-même ne dispose d’aucune qualité pour le résilier.
La question était donc de déterminer la validité de la lettre de résiliation.
Les juges du fond ont considéré que les actes accomplis par le Président de la société B, en lieu et place de la société B directement n’ont aucun effet juridique concernant la résiliation du contrat vis-à-vis du cocontractant de la société A. La lettre de résiliation du contrat étant alors dépourvue d’effet.
La société B et son Président se pouvaient en cassation. Les demandeurs invoquaient les éléments suivants :
- L’objet de la lettre incluait la mention de l’affaire en objet de la lettre, faisant strictement référence aux deux cocontractants y incluant la société A,
- Le Kbis de la société A indiquait bien que la société B était Présidente,
- La lettre de résiliation comportait l’en-tête de la société B.
A contrario, les défendeurs au pourvoi indiquaient que ces mentions demeuraient sans portées dès lors que ladite lettre n’avait pas été rédigée ou signée par le dirigeant de la société A.
Cette interprétation, quoi que légèrement schizophrénique, rappelle l’impérative nécessité d’ajouter la mention de la qualité du signataire.
En l’occurrence, la société B, et plus particulièrement la personne physique auteure de la lettre de résiliation, n’était pas dispensée de se présenter dans sa correspondance comme agissant en qualité de représentant légal de la société B, elle-même Présidente de la société A.
Les juges de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation, après avoir rappelé les enjeux d’une résiliation de marché, et ses conséquences juridiques importantes pour le destinataire de ladite lettre, tranchent en faveur de dernier.
La lettre se devait impérativement d’exclure toute ambiguïté.
La résiliation devait émaner de la société A, et non d’une personne morale distincte agissant en son nom propre comme la société B.
Le représentant légal de la société B aurait dû résilier le contrat en signant au terme de sa lettre « Monsieur X, agissant en qualité de représentant légal de la société B, elle-même Présidente de la société A ».
En conclusion, peu importe que le dirigeant ait ou non eu l’intention d’agir pour le compte de la société. Son engagement en qualité de Président doit être non équivoque, sinon il sera réputé avoir agi pour son propre compte.
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