La Cour de cassation uniformise, par anticipation, sa jurisprudence par suite de l’entrée en vigueur de la réforme du droit des obligations.
Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-20.399
Avant la réforme du droit des contrats de 2016, la jurisprudence considérait que la rétractation du promettant, antérieurement à la levée de l’option par le bénéficiaire, empêchait toute rencontre de volontés indispensable à la formation d’une vente. Dès lors, la vente forcée ne pouvait pas être ordonnée (Cass. 3e civ., 11 mai 2011, no 10-12.875, no 525 FS-P+B ; Cass. com., 13 sept. 2011, no 10-19.526 ; Cass. 3e civ., 12 juin 2013, no 12-19.105 ; Cass. 3e civ., 6 déc. 2018, no 17-21.170, no 1054 D).
La réforme du droit des contrats a introduit dans le code civil l’article 1124 alinéa 2, lequel dispose :
« La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis ».
En conséquence, depuis la réforme de 2016, le promettant s’engage définitivement dès la date de signature de la promesse unilatérale alors qu’avant l’entrée en vigueur de la réforme, il lui était possible de se rétracter tant que le bénéficiaire n’avait pas encore levé l’option.
La volonté du législateur était de garantir l’efficacité et la sécurité juridique de la promesse unilatérale de vente.
Ces nouvelles dispositions légales sont entrées en vigueur le 1er octobre 2016 et s’appliquent d’office aux promesses signées à compter de cette date. Les promesses et les instances introduites avant cette date sont réputées régies par le régime antérieur.
Par anticipation, la Cour de cassation a progressivement fait évoluer sa jurisprudence pour l’aligner sur la réforme du droit des contrats en appliquant aux contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la réforme, l’intangibilité de l’engagement du promettant.
D’abord, la chambre sociale a opéré un revirement en 2017 (Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-20.103, n° 2063 FS-P+B+R+I ; Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-20.104, n° 2064 FS-P+B+R+I), suivie par la 3ème chambre civile en 2021 (Cass. 3e civ., 23 juin 2021, no 20-17.554, no 583 FS-B ; Cass. 3e civ., 20 oct. 2021, no 20-18.514, no 741 FS-B).
C’est à présent la chambre commerciale qui s’aligne pour poursuivre cette harmonisation.
La chambre sociale et la 3ème chambre civile ont adopté un raisonnement par comparaison avec le régime juridique de l’offre de contrat.
En effet, contrairement à la simple offre, la promesse unilatérale de vente contient déjà tous les éléments essentiels du contrat définitif.
Dès lors, l’engagement du promettant, dans le cadre d’une promesse unilatérale de vente, est d’une portée différente de celle de l’offrant.
La chambre sociale et la troisième chambre civile en ont conclu que le promettant s’engageait définitivement à vendre dès l’avant-contrat sans possibilité de rétractation.
A son tour, la chambre commerciale a adopté ce raisonnement dans le cadre d’un arrêt particulièrement motivé :
« Vu l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
La Cour de cassation jugeait depuis de nombreuses années que la levée de l’option par le bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente postérieurement à la rétractation du promettant excluait toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir, de sorte que la réalisation forcée de la vente ne pouvait être ordonnée (3e Civ., 15 décembre 2009, pourvoi n° 08-22.008 ; 3e Civ., 11 mai 2011, pourvoi n° 10-12.875, Bull. 2011, III, n° 77 ; Com., 13 septembre 2011, pourvoi n° 10-19.526 ; Com., 14 janvier 2014, pourvoi n° 12-29.071).
Cependant, à la différence de la simple offre de vente, la promesse unilatérale de vente est un contrat, préalable au contrat définitif, qui contient, outre le consentement du vendeur, les éléments essentiels du contrat définitif qui serviront à l’exercice de la faculté d’option du bénéficiaire et à la date duquel s’apprécient les conditions de validité de la vente, notamment s’agissant de la capacité du promettant à contracter et du pouvoir de disposer de son bien.
Par ailleurs, le législateur est intervenu, par l’ordonnance du 10 février 2016, non amendée sur ce point par la loi de ratification du 20 avril 2018, pour modifier la sanction de la rétractation illicite du promettant, en prévoyant à l’article 1124, alinéa 2, du code civil que la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis. Si, conformément à son article 9, les dispositions de l’ordonnance du 10 février 2016 ne sont applicables qu’aux contrats souscrits postérieurement à son entrée en vigueur, il apparaît nécessaire, compte tenu de l’évolution du droit des obligations, de modifier la jurisprudence de la Cour pour juger, désormais, à l’instar de la troisième chambre civile (3e Civ., 23 juin 2021, pourvoi n° 20-17.554, publié au Bulletin ; 3e Civ., 20 octobre 2021, pourvoi n° 20-18.514, publié au Bulletin), que le promettant signataire d’une promesse unilatérale de vente s’oblige définitivement à vendre dès cette promesse et ne peut pas se rétracter, même avant l’ouverture du délai d’option offert au bénéficiaire, sauf stipulation contraire.
La société MG soutient qu’un tel revirement ne devrait pas pouvoir être appliqué de façon immédiate au présent litige sans porter une atteinte injustifiée et disproportionnée au principe de sécurité juridique ainsi qu’au droit à un procès équitable et au droit au respect des biens, tels que garantis par l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par l’article 1er du Protocole n° 1 à cette Convention.
Toutefois, les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante (CEDH, arrêt du 18 décembre 2008, Unédic c. France, n° 20153/04, § 74 ; CEDH, arrêt du 26 mai 2011, Legrand c. France, n° 23228/08, § 36 ; CEDH, arrêt du 12 juillet 2018, Allègre c. France, n° 22008/12, § 52). En effet, une évolution de jurisprudence n’est pas en soi contraire à une bonne administration de la justice, dans la mesure où l’absence d’une approche dynamique et évolutive serait susceptible d’entraver tout changement ou amélioration (CEDH, arrêt du 14 janvier 2010, Atanasovski c. « l’ex-République yougoslave de Macédoine », n° 36815/03, § 38 ; Legrand c. France, précité, § 37 ; Allègre c. France, précité, § 52).
En l’espèce, la société MG ne peut se prévaloir d’un droit définitivement acquis, dès lors que l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, qui a rejeté la demande d’exécution forcée en nature de la vente, était, en tout état de cause, susceptible d’un pourvoi en cassation selon les formes et délais prévus par le code de procédure civile. Le nouvel état du droit, issu du revirement de la troisième chambre civile, n’était pas imprévisible au jour où la société GTM a formé son pourvoi. En effet, une très grande majorité de la doctrine l’appelait de ses voeux bien avant la conclusion du protocole du 21 juin 2012 et la réforme du droit des contrats du 10 février 2016, intervenue antérieurement à la rétractation par la société MG de sa promesse, qui y a mis fin pour les contrats conclus à compter de son entrée en vigueur, confirmant ainsi les doutes préexistants quant au bien-fondé, et donc au maintien, de la jurisprudence antérieure. Le revirement consacré par la présente décision n’a donc pas pour effet de priver, même rétroactivement, la société MG de son droit à un procès équitable.
En outre, le grief soulevé par la société MG sous l’angle de l’article 1er du Protocole n° 1 se confond dans une très large mesure avec celui tiré de l’article 6 de la Convention. A cet égard, cette société ne dispose pas en l’espèce d’une créance exigible, dans la mesure où l’arrêt de la cour d’appel n’a pas acquis de caractère irrévocable, et n’a pas davantage une « espérance légitime » de ne pas être condamnée à l’exécution forcée du contrat conclu, compte tenu de la controverse qui existait sur la jurisprudence antérieure et de la réforme du droit des contrats qui y a mis fin pour l’avenir.
Enfin, les conséquences du revirement pour la société MG n’apparaissent pas disproportionnées dès lors qu’en l’état de la jurisprudence antérieure, celle-ci aurait dû, en tout état de cause, payer des dommages-intérêts pour réparer le préjudice causé par sa faute, d’un montant destiné à replacer, autant que possible, la société GTM dans la situation qui aurait été la sienne si la société MG ne s’était pas rétractée de façon illicite. Si la société MG perçoit comme une injustice le fait qu’il soit donné gain de cause à la société GTM, cette situation est inhérente à tout changement de solution juridique, et l’application du revirement a pour seule conséquence de faire subir à la société MG, plutôt qu’à la société GTM, les conséquences de sa rétractation illicite, en lui imposant de céder ses titres pour respecter ses engagements.
Par conséquent, il y a lieu d’appliquer à la présente espèce le principe selon lequel la révocation de la promesse avant l’expiration du temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis.
Pour rejeter la demande de réalisation forcée de la vente, la demande de dommages-intérêts en réparation des préjudices résultant de la réalisation tardive de la vente et dire que la promesse de cession prévue à la troisième partie du protocole du 21 juin 2012 est nulle, l’arrêt, après avoir constaté que le contrat litigieux avait été conclu avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, retient que, conformément au droit positif antérieur à la réforme, la levée de l’option par le bénéficiaire de la promesse unilatérale postérieurement à la rétractation du promettant exclut toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir. Il en déduit que le rejet de la demande de réalisation forcée de la vente entraîne le rejet de la demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la réalisation tardive de la vente, ainsi que l’anéantissement de la promesse de cession prévue à la troisième partie du protocole, en raison du non-accomplissement de la condition suspensive relative à la réalisation de la deuxième partie du protocole.
En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
La Cour de cassation uniformise ainsi sa jurisprudence et juge, y compris pour les affaires antérieures à l’entrée en vigueur de la réforme du droit des obligations, que le promettant s’engage définitivement lors de la conclusion d’une promesse unilatérale.