Source : Cour d’appel de Paris, 20 décembre 2017, RG n° 13/23287
I. LITIGE SUR L’ASSISTANCE AU FRANCHISE
A la base, une accumulation de redevances impayées d’un franchisé en difficultés financières qui reproche à son franchiseur un manquement grave à son obligation d’assistance et de conseil. A l’issue, une rupture du contrat de franchise dont l’origine et les conséquences sont débattues devant les juges.
Le franchiseur assigne ainsi son franchisé devant le Tribunal de commerce de Paris qui tranche, par un jugement du 15 novembre 2013, la résolution du contrat de franchise aux torts du franchisé et la condamnation du franchisé au paiement des redevances impayées et de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de non concurrence (aucune somme accordée pour la rupture anticipée du contrat de franchise).
Le 4 décembre 2013, le franchisé interjette appel contre ce jugement.
Notons qu’après avoir fait l’objet d’un redressement judiciaire par jugement du 7 décembre 2015, le 3 juin 2016, le franchisé est placé en liquidation judiciaire. De son côté, le franchiseur est également placé en liquidation judiciaire le 15 janvier 2016.
Le 20 décembre 2017, la Cour d’appel de Paris statue de nouveau et prononce la résiliation du contrat de franchise au 14 août 2012 et déclare irrecevable le franchiseur dans sa demande de paiement des redevances impayées et de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de non-concurrence.
II. REIGNEMENTS / RAPPELS DE L’ARRET
II-1. Résolution vs. résiliation
La Cour d’appel de Paris commence par rectifier la décision du Tribunal de commerce de Paris dans sa détermination du mode de rupture du contrat de franchise. En effet, si les premiers juges ont prononcé la résolution du contrat de franchise, la Cour d’appel de Paris corrige en prononçant sa résiliation.
Pour rappel, si la résiliation et la résolution mettent toutes les deux un terme au lien contractuel entre les parties à un contrat, leur principale différence réside dans les effets produits.
De son côté, la résolution fait généralement suite au défaut d’exécution d’une obligation principale par l’un des cocontractants de sorte que le contrat est considéré comme n’ayant jamais produit ses effets. Ainsi, il est mis un terme au contrat de manière rétroactive. En pratique, lors de la rupture du contrat, les cocontractants doivent se restituer ce qu’ils ont perçu l’un de l’autre en exécution du contrat depuis sa signature. La résolution remet ainsi les cocontractants dans l’état dans lequel ils étaient avant la conclusion du contrat. C’est comme si le contrat n’avait jamais existé. En d’autres termes, la résolution du contrat vaut pour le passé.
De son côté, la résiliation met un terme aux effets du contrat pour l’avenir. En effet, la résiliation met fin au contrat, mais n’implique pas la mise en œuvre du principe de rétroactivité. Enfin, il convient également de rappeler que la résiliation porte essentiellement sur des contrats à exécution successive.
En l’espèce, cette rectification des juges du second degré semble logique pour plusieurs raisons : au regard de l’absence de faute grave de la part du franchiseur envers son franchisé, au regard du contrat de franchise avec la prévision d’une clause de résiliation anticipée notamment en cas de défaut de paiement du franchisé et enfin au regard de la nature du contrat de franchise, à savoir un contrat synallagmatique à exécution successive.
II-2. Assister n’est pas financer
A ce jour, à l’exception de la loi Doubin[1] qui n’est d’ailleurs pas spécifique à la franchise, il n’existe pas de texte législatif ou réglementaire propre au contrat de franchise permettant de régir les droits et obligations des parties.
Concernant en particulier l’assistance du franchiseur envers le franchisé, celle-ci est néanmoins abordée dans les Lignes directrices sur les restrictions verticales du 19 mai 2010 accompagnant le Règlement (UE) n° 330/2010 du 20 avril 2010 dans leur définition du contrat de franchise : « […] Outre une licence de droits de propriété intellectuels, le franchiseur fournit normalement au franchisé, pendant la période d’application de l’accord, une assistance commerciale ou technique. […] [2].
La construction du droit de la franchise s’est poursuivie avec un renforcement de cette soft law via le Code européen de déontologie de la franchise et énonce concernant le service d’assistance du franchiseur que le franchisé est autorisé et obligé, « en échange d’une contribution financière directe ou indirecte, à utiliser l’enseigne et/ou la marque de produits et/ou de services, le savoir-faire, et autres droits de propriété intellectuelle, soutenu par l’apport continu d’assistance commerciale et/ou technique, dans le cadre et pour la durée d’un contrat de franchise écrit, conclu entre les parties à cet effet » (gras ajouté) [3].
Si désormais, l’obligation d’assistance du franchiseur envers le franchisé est aujourd’hui bien établie et consacrée par la jurisprudence[4], à travers cet arrêt, la Cour d’appel de Paris a entendu préciser (de nouveau) le contenu de cette obligation. En effet, la Cour considère que si « le franchiseur est tenu de procurer une assistance, celle-ci est de nature exclusivement technique et commerciale et constitue une obligation de moyens. Le franchisé est un commerçant indépendant seul responsable de la gestion de son entreprise. Les manquements du franchiseur ne se déduisent pas du seul fait de l’existence de difficultés financières rencontrées par le franchisé. En effet, l’exploitation d’un fonds est soumise à de multiples aléas dont notamment ceux liés à la gestion du franchisé et à la situation économique du marché de référence » (gras ajouté). Et de poursuivre, « l’insuffisance de marge dégagée par la société Sushi Montpellier ne peut caractériser une faute contractuelle imputable à la société Eat Sushi. Ainsi, seule l’inexécution grave d’obligations contractuelles du franchiseur peut fonder la résiliation d’un contrat de franchise à ses torts. L’absence de rentabilité du magasin exploité par la société Sushi Montpellier ne peut donc être invoquée utilement par les appelants pour motiver l’exception d’inexécution » (gras ajouté).
En l’espèce, le franchiseur s’est efforcé d’assister et de conseiller son franchisé notamment en procédant à plusieurs visites afin d’identifier les difficultés de fonctionnement du restaurant, en lui formulant des recommandations afin de réduire les coûts relatifs la gestion du personnel, en lui envoyant un chef cuisinier en vue de former ses équipes de cuisine ou encore plusieurs cuisiniers afin de pallier à l’instabilité récurrente de son personnel.
Au regard de ces éléments, la Cour d’appel de Paris a ainsi jugé que le franchiseur a tout mis en œuvre pour respecter son obligation d’assistance et de conseil envers son franchisé. La Cour confirme donc que l’obligation d’assistance et de conseil du franchiseur est bien une obligation de moyens d’ordre technique et commercial et non une obligation de résultat impliquant l’apport d’un soutien et d’une aide financière.
Cet arrêt reste dans le prolongement de la jurisprudence précédemment établie qui pose que « le franchisé [étant] un entrepreneur indépendant qui assume et porte la responsabilité de ses résultats d’exploitation, financiers et commerciaux »[5], il ne peut reprocher à son franchiseur « un défaut d’assistance technique et commercial et de ne pas lui avoir consenti une remise de redevance pour conserver une trésorerie, alors qu’[il] était en difficulté »[6].
Par conséquent, il faut en déduire que le franchisé ne peut reprocher à son franchiseur un manquement à son obligation d’assistance dès lors qu’il ne démontre pas que ses difficultés sont imputables à un défaut d’assistance exclusivement technique et/ou commerciale de sa part.
II-3. Vigilance sur la déclaration de créances
La Cour d’appel de Paris rappelle dans cet arrêt que conformément aux articles L. 622-24 et L. 622-26 du Code de commerce, les créances nées antérieurement à l’ouverture de la procédure collective doivent faire l’objet d’une déclaration auprès du mandataire judiciaire dans les deux mois suivant la publication au Bodacc du jugement d’ouverture de la procédure collective. A défaut, les créances seront inopposables au débiteur.
En l’espèce, le franchisé a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire dont le jugement a été publiée le 7 décembre 2015.
Or, les redevances dues par le franchisé à son franchiseur sont bien antérieures au 14 août 2012 et, par conséquent, au 7 décembre 2015. Il résulte de cela que le franchiseur aurait dû procéder à la déclaration de sa créance au passif de la société de son franchisé avant le 7 février 2016, ce dont il s’est abstenu.
Par conséquent, les demandes indemnitaires notamment celles relatives aux redevances impayées par le franchisé sont donc irrecevables.
En conclusion, si le rappel des contours de l’obligation d’assistance du franchisé est ici favorable au franchiseur, la négligence de ce dernier des règles de procédure collective profite financièrement à son franchisé. Une règle de droit peut en cacher une autre…
Victoria GODEFROOD-BERRA
Vivaldi-Avocats
[1] Loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989 relative au développement des entreprises commerciales et artisanales et à l’amélioration de leur environnement économique, juridique et social, dite loi « Doubin ». Elle précise essentiellement les obligations d’informations précontractuelles qui pèsent sur le cocontractant qui met à disposition de son cocontractant un nom commercial, une marque ou une enseigne sous condition d’exclusivité totale ou partielle pour que ce dernier exerce une activité. Cette obligation d’information précontractuelle a été codifiée avec l’article L. 330-0 du Code de commerce.
[2] Lignes directrices sur les restrictions verticales du 19 mai 2010 relatives au Règlement (UE) n° 330/2010 du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, point 185.
[3] Code européen de déontologie de la franchise, Article 1 – Définition de la franchise.
[4] Voir notamment l’arrêt Cour d’appel de Paris, 5 juillet 2006, RG n° 312416.
[5] Cour d’appel de Paris, 27 février 2013, RG n° 10/21270.
[6] Cour d’appel de Paris, 27 mars 2008, RG N° 05/12294.