SOURCE: Cass. com., 10 nov. 2015, n° 14-15.968, P+B
Un créancier, dont les factures demeurent en souffrance, sollicite et obtient une ordonnance d’injonction de payer à l’encontre de son débiteur. Celui-ci forme opposition à l’ordonnance. Il sera tout de même condamné par les juges du fond à régler le montant des factures impayées, outre les pénalités de retard fixées en application de l’article L. 441-6 du Code de commerce, et capitalisés dans les termes et conditions de l’article 1154 du Code civil.
Mécontent de cette décision, le débiteur forme un pourvoi en cassation. Selon lui, la pénalité de retard de l’article L.441-6 du Code de commerce n’est pas un intérêt moratoire susceptible d’être capitalisé selon les règles de l’anatocisme.
Dans un arrêt de cassation partielle, la Chambre commerciale approuve le raisonnement de la Cour d’appel de Nancy, en ce qu’elle affirme que la pénalité instaurée par l’article L. 441-6 du Code de commerce constitue un « intérêt moratoire », et permet donc à la règle de l’anatocisme édictée à l’article 1154 du Code civil de s’appliquer.
La loi « Nouvelles Régulations Economiques » (NRE) du 15 mai 2001 semblait pourtant avoir clairement posé le principe dans le nouvel article L.441-6 du Code de commerce, disposant notamment que « les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d’application et le taux d’intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture (…) ».
La jurisprudence n’a pas été pour autant unanime sur la question. La Cour régulatrice a donc opté en 2011 pour le caractère moratoire des pénalités de retard, celles-ci ne pouvant être qualifiées de « clause pénale » [1]. La Haute juridiction devait affirmer ce principe, qu’elle ne faisait que poser de façon négative (ce que ne sont pas les pénalités de retard), et le confirmer de façon positive (ce que ce sont les pénalités de retard).
L’arrêt ici commenté consacre désormais le principe : Les pénalités de retard instituées par l’article L. 441-6 du Code de commerce constituent des intérêts moratoires, de sorte qu’elles donnent potentiellement prise à l’article 1154 du Code civil. Tout créancier qui sollicite en justice la condamnation de son débiteur au paiement d’une telle pénalité est donc fondé à solliciter en outre la capitalisation des intérêts qu’elle génère.
Les juridictions du fond semblent désormais faire application de ce principe[2]. L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations[3], et plus précisément le nouvel article 1343-2 du Code civil fixant les règles relatives à l’anatocisme, ne semble pas assombrir l’avenir de cette solution.
L’application des règles de l’anatocisme à la pénalité de retard de l’article L.441-6 du Code de commerce engendre trois conséquences :
– Le montant de l’intérêt appliqué n’est pas révisable par le juge ;
– L’intérêt de retard ne peut se cumuler avec un intérêt au taux légal ;
– La pénalité deretardfixée ne peut être capitalisée que pour des intérêts dus au moins pour une année entière.
En tous les cas, la solution n’est pas neutre économiquement : par exemple, un capital prêté au taux de 5 % double en 14 ans et 77 jours en cas de capitalisation des intérêts, et en 20 ans en l’absence d’anatocisme[4].
Quand les chiffres parlent…
Thomas LAILLER
Vivaldi-Avocats
[1]Cass. com., 2 nov. 2011, n° 10-14.677 , Bull. civ. IV, n° 178
[2] Paris, pôle 5 – ch. 11, 20 nov. 2015, n° 13/25094 ; Versailles, ch. 4, 23 nov. 2015, n° 13/04236
[3]Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
[4] S. Piedelièvre, Rép. com. Dalloz, V° « Intérêts des capitaux », n° 15