Pas de (tentative de) soumission démontrée, pas de déséquilibre significatif prouvé

 

Source : Cour d’appel de Paris, 20 décembre 2017, RG n° 13/04879

 

I – Un avis de la CEPC qui « donne la couleur » de l’arrêt à venir

 

En tant que gardien de l’ordre public économique, le Ministre de l’Economie a assigné plusieurs distributeurs sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce estimant que certaines clauses de conventions annuelles conclues avec des fournisseurs créaient un déséquilibre significatif à l’encontre de ces derniers. Le ministre soutient ainsi son action en invoquant l’absence de réciprocité, le défaut de justification, l’atteinte à la sécurité juridique des fournisseurs et l’imposition d’obligations « drastiques » à leur égard.

 

Après un rejet de cette action en première instance, la Cour d’appel de Paris saisit la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales (CEPC) pour avis[1] sur les clauses litigieuses. Le rapport de la CEPC permet de donner la couleur de l’arrêt commenté en ce sens qu’il souligne que certaines des clauses litigieuses figurent fréquemment dans les conditions générales de ventes des fournisseurs eux-mêmes.

 

Dans la foulée, la Cour d’appel s’empare de l’examen du contrat.

 

II – La seule asymétrie du rapport de force entre cocontractants ne suffit pas à démontrer la soumission

 

A cette fin, il convient alors de rappeler que les deux éléments constitutifs du déséquilibre significatif sont :

 

1. la soumission ou la tentative de soumission ; et

 

2. l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif.

 

L’arrêt commenté est intéressant dans le sens où il rappelle de façon explicite que le déséquilibre significatif appelle la démonstration de ces deux éléments.

 

Concernant la soumission ou tentative de soumission, il aurait été opportun de démontrer l’absence de négociations effectives des clauses litigieuses entre les cocontractants. Le simple fait que l’une des parties au contrat soit acteur de la grande distribution et donc présente une grande puissance de négociation ne peut constituer pas en soi la démonstration du déséquilibre significatif. En revanche, cet élément constitue un indice qui devra être complété par un faisceau d’indices permettant d’aboutir in fine à la preuve de la pratique restrictive de concurrence. Ainsi, il est important de souligner que la démonstration se fait in concreto au sens où la taille du fournisseur doit également être prise en compte, ce dernier ayant parfois le « poids économique » pour dire « non ». La relation est alors un peu plus équilibrée notamment lors des négociations. Cela est généralement le cas lorsque les fournisseurs présentent un chiffre d’affaires de dizaines de milliards d’euros (ce qui était le cas en l’espèce, s’agissant de notamment des groupes Danone ou encore Mars)…

 

La preuve de l’absence de négociations aurait pu être apportée par une tentative échouée des fournisseurs d’obtenir la suppression d’une clause qui leur était défavorable. Autre indice probant : l’existence des mêmes clauses litigieuses dans l’ensemble (et non quelques-uns) des contrats du distributeur mis en cause.

 

Or, en l’espèce, le ministre ne se fonde quasiment que sur une audition d’un directeur commercial d’un des géants de l’agro-alimentaire français qui est par ailleurs finalement revenu repréciser ses propos en faveur du distributeur mis en cause.

 

Par conséquent, les juges du second degré ont estimé que le seul fait que l’une des parties au contrat soit dotée d’une puissance économique supérieure à celle de son cocontractant ne pouvait suffire à faire la démonstration de la soumission des fournisseurs. La première condition de la démonstration n’est donc pas remplie.

 

S’agissant de conditions cumulatives, l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif, telles que l’absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation ou encore la disproportion importante entre les obligations des parties, n’a, par conséquent, pas été examinée en seconde instance.

 

La Cour d’appel de Paris a donc confirmé le jugement de première instance.

 

III – Ce qu’il faut retenir

 

La seule asymétrie du rapport de force entre cocontractants ne peut suffire à faire la démonstration de la soumission de l’un par l’autre et donc à démontrer le déséquilibre significatif.

 

En outre, quand bien même un ou plusieurs indices auraient été apportés par le ministre, les clauses doivent être appréciées dans leur contexte global. En effet, les clauses potentiellement litigieuses doivent être appréciées au regard de l’économie générale du contrat et in concreto. Ainsi, une clause prise isolément peut sembler « drastique » pour un cocontractant, mais si l’autre partie est, elle aussi, soumise à une ou plusieurs autres clauses « drastiques », un rééquilibrage du contrat se fait par « compensation » entre les droits et obligations des parties. Dans ce cas, le contrat ne peut plus être entaché de déséquilibre significatif.

 

L’arrêt commenté est une première défaite pour Bercy qui même en présence d’une clause jugée abusive dans les conventions produites, n’est pas dispensé de démontrer la soumission du fournisseur à la volonté du distributeur.

 

Victoria GODEFROOD-BERRA

Vivaldi-Avocats


[1] Conformément à l’article L. 440-1, IV du Code de commerce.

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